De l'alimentation à la sexualité
Par l’oralité originelle, la nourriture s’associe avec, le désir, le dégoût, le plaisir, le déplaisir, la satisfaction, la frustration et l’allaitement peut être appréhendé comme le premier véhicule exploratoire des émois hédonistes.

Plaisir de la chère, plaisir de la chair ?
Très documentés, ayant fait l’objet de multiple études, les rapports entre alimentation et sexualité sont-ils suffisamment évidents pour que l’on puisse au travers de la première deviner tout ou partie de la seconde ? Pouvons-nous affirmer que nous faisons l’amour comme nous mangeons ou déduire les comportements sexuels d’un.e inconnu.e de l’observation, plus ou moins furtive, de sa manière de manger ? Oui et non, car l’acte de manger subit l’influence du contexte, des circonstances, qui en modifient l’expression naturelle. On reconnaîtra que l’on ne mange pas de la même façon lorsque nous sommes seuls.es face à nous-même, au restaurant, lors d’un dîner romantique, d’un repas d’affaire, d’une bouffe arrosée entre amis.es, ou encore lorsque nous sommes soumis.es à des impératifs de temps. Toutefois, existe bel et bien un tronc commun à la sexualité et l’alimentation, organisé autour de la relation qu’un individu entretient avec le désir et le plaisir, le wanting et le liking, relation nourrie de ses premières expériences hédonistes alimentaires.
D’un point de vue animal, se nourrir et se reproduire génèrent des besoins dont le contentement repose sur l'aboutissement d’un processus objectif incluant : la production de stimuli de désir/manque, la mobilisation de l’énergie nécessaire à la réalisation du projet sexuel ou alimentaire, dans le meilleur des cas la distribution de gratifications sensorielles et in fine la satiété ou l’orgasme. Il en est de même sur le plan humain, si ce n'est que la conscientisation des ressentis a donné naissance à deux notions subjectives, le désir et le plaisir, dont la bouche a la primeur de la découverte.
Par l’oralité originelle, la nourriture s’associe avec l'envie, le dégoût, le plaisir, le déplaisir, la satisfaction, la frustration et l’allaitement peut être appréhendé comme le premier véhicule exploratoire des émois hédonistes. C’est aussi par la bouche que se réalise l’expérience initiatique de l’autre, catalyseur d’émotions et cause de dépendance. Pour le nourrisson autrui détient les clés de la satiété, il est perçu comme objet de désir et de plaisir quand lui s’en croit le sujet exclusif. Ses premiers contacts avec la « jouissance » sont donc à sens unique, sans nécessité de réciprocité, et certainement à comprendre comme un apprentissage égocentré du couple désir-plaisir. Cette objectification primordiale de l’autre, résonne avec celle qui plus tard, à l’âge adulte, pourra acquérir un pouvoir érogène. On présumera donc que les comportements hédonistes sexuels portent quelques traces de l’initiation infantile au plaisir.
On pourrait dire qu’il se joue à l’endroit de la bouche un subtil mélange de management du désir et de stratégie de jouissance. Par exemple, les gastronomes, au-delà d’apprécier les bonnes choses, placent la barre de leur satisfaction au-dessus de la simple sustentation. Il n’est plus seulement question de manger pour se nourrir, de boire pour s’hydrater, ou même de bien manger, les mets et les boissons doivent susciter un intense désir et assurer une mise en bouche parfaitement jouissive. Il est d’ailleurs fréquent qu'ils développent une esthétique gestuelle pour goûter plus encore à la volupté du manger et du boire. L’art culinaire est un horizon à l’alimentation tout comme l’érotisme l’est à la sexualité et l’on peut conjecturer que la fonction érotique des gastronomes s’organise autour d’une perception raffinée, voire complexe et initiatique, de l’hédonisme.
La relation entre la sexualité et l’alimentation a été scrutée sous différents angles et quelques études ont donné des résultats surprenants. En 2008, les neuroscientifiques Van den Berg et al. ont pu noter qu’exposés à des contenus licencieux les hommes montraient parallèlement un appétit soutenu pour les aliments sucrés et les récompenses… pécuniaires ! Il appert donc que la perspective d’une gratification sexuelle stimulerait l’appétit pour d’autres types de gratification et conséquemment qu’une seule entité cérébrale assurerait la gestion du plaisir. En 2012 les psychologues Kniffin et Brian ont montré que prendre un déjeuner, un dîner avec un.e ex déclenchait, chez le/la partenaire du moment, plus de réactions jalouses qu’un échange épistolaire ou téléphonique. On supposera que le partage d’un repas s’inscrit dans l’intime relationnel au même titre que les rapports sexuels. Par ailleurs, il semblerait que les individus souffrant de troubles de l’alimentation, telles la boulimie et l'anorexie, manifestent des spécificités du comportement sexuel. Ainsi, comparées à un groupe contrôle, les femmes boulimiques rapporteraient une plus grande activité sexuelle, mais aussi des expériences émotionnellement plus intenses. À l’inverse l’anorexie féminine s’associerait avec un déclin de l’intérêt pour la sexualité et des perturbations de la fonction érotique (Culbert et Klump/2005). Chez les hommes les troubles alimentaires iraient de paire avec une inclinaison pour la multiplicité des partenaires (Ackard et al./2009). Notons que l’imagerie médicale a révélé que les comportements liés au manger et au sexuel activaient des régions cérébrales pour partie identiques.
Enfin, on remarquera qu’avoir faim de quelqu’un, le dévorer de baisers, le trouver à croquer, le bouffer, le lécher, le boire, l’avaler, sont autant de verbes qui dévoilent la proximité émotionnelle du manger, du boire et du sexuel.
Si les émotions découlant du sentiment de satiété et celles attachées à l’orgasme restent foncièrement dissemblables, le désir et le plaisir de la chère ont un lien de parenté certain avec ceux de la chair. Pour autant cela n'autorise pas à tirer des conclusions définitives sur les qualités érotiques d’un potentiel partenaire à la simple analyse de sa relation à l’alimentation. Le tiers observateur étant un perturbateur de la réalité, la modération s’impose et ce n’est finalement qu’une fois la rencontre érotique consommée que pourront se confirmer ou s’infirmer les doutes et les espoirs.
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