Georgios Rorris, peintre figuratif porté aux nues

Un autre regard sur la femme dévoilée.
« Je ne peints pas des nus, mais des portraits de gens déshabillés ». C’est par cette phrase sibylline que Georgios Rorris répond lorsqu'on l’interroge sur cette facette de son œuvre qui met en représentation des femmes dans le plus simple appareil. Le hiatus peut paraître d’une subtilité formelle et théorique, relevant plus d’une argumentation hypocrite que d’un manifeste artistique authentique. Cependant, la distinction entre le nu (nude) et le dénudé (naked), qui a suscité de nombreux débats au sein de l’intelligentsia artistique, est essentielle pour comprendre ce que l’artiste donne à voir. Le critique d’art, romancier et peintre anglais, John Peter Berger la formule en ces termes : « Être dénudé c’est être soi-même. Être nu c’est vouloir être vu dénudé et finalement accepter l’idée de ne pas être reconnu pour soi-même. Un corps dénudé perçu comme un objet devient un nu... et le fait de le voir comme un objet, légitime son utilisation en tant qu’objet. »
Blue Alexandra
Georgios Rorris, est un peintre grec, né en 1963 dans le Péloponnèse. Dans les années 80, il étudie à l’école des Beaux-Arts d’Athènes puis de Paris et en 2001, il est honoré par l’Académie d’Athènes. En 1988, il propose à la Galerie d’art Méduse, sa première exposition personnelle. Reconnu comme représentant de la peinture figurative, son œuvre se distingue par un anthropocentrisme qu’il définit ainsi : « Dans un temps de masse et de disparition de la personne, insister à peindre et à révéler la personne, est un acte politique. » Dans cette optique, il noue une forte relation avec les portraits en pied, en buste ou en tête. Les femmes « déshabillées » qui constituent une grande partie de sa production révèlent différentes approches artistiques des sujets à traiter. Au début des années 2000, une série de tableaux, les mettant en scène dans des espaces vides et délabrés, nous a particulièrement impressionnés et donné envie de présenter cet artiste.
Chez Rorris les corps déshabillés ne sont pas exposés sur un étal, comme des produits prêts à être consommés. Ils ne sont pas marchandisés et tournés en ridicule, comme ils le sont de manière systématique par les publicitaires, ni dégradés, ni souillés par la vision des porno-phallocrates. Ils ne sont donc pas destinés à satisfaire le regard lubrique du spectateur. Ils résistent même à son envie d’en prendre possession en imposant le respect de leur altérité. Les portraits dénudés de Rorris rendent compte de l’irréductibilité de la personne humaine à toute forme de représentation exhibitionniste. Ils assument de challenger le spectateur en lui ôtant la possibilité de se satisfaire d’une vision où l’autre exposé devient objet de désir. Car les femmes que Rorris met en scène, aussi dévêtues soient-elles, s’opposent à toute tentative d’objectification et d’envie de possession. La force de Rorris réside dans cette faculté à mettre une distance emplie de respect entre l’observée et l’observant, à habiller de pudeur les corps dénudés. Cette partie de l’œuvre de Rorris dédiée aux femmes, ne déplairait pas à Kant qui estimait que pour juger de la beauté d’un corps de façon exclusivement esthétique, il était indispensable de se satisfaire de sa simple représentation en excluant tout désir de le posséder (sexuellement).
Angéliki
Dans une interview donnée à un magazine grec, Rorris affirmait vouloir rendre lisible l’histoire inscrite dans le corps de chacune de ces femmes. Délestées de leurs attributs vestimentaires, dont la vocation contemporaine se résume à construire un moi falsifié, elles peuvent exprimer la vérité et la sincérité de leur existence, des émotions qui façonnent leur monde intérieur. Avec talent, le peintre dévoile l’unicité de chacune d'entre elles et témoigne de la singularité de chaque être humain. Georgios Rorris met à nu des vies, des histoires, des espoirs, des attentes, avec l’amour et la compassion seyant aux hommes de cœur.
Si les corps sont expurgés de leur superficialité, les pièces dans lesquels ils se trouvent le sont aussi. Une chaise, un fauteuil, une table, un canapé ou un quelconque objet, sont les seuls éléments de décor restants. Rien de superflu ne vient troubler le regard qui dès lors se concentre sur l’essentiel, l’être humain.
Woman standing in a pink room.
La palette des couleurs apporte une note de nostalgie. Et sur ce point il est difficile de ne pas confronter l’art de Rorris à celui des Grecs anciens pour qui la quintessence de l’art reposait sur la représentation des corps dans leur prime jeunesse, non pas dans l’idée qu’elle puisse exprimer la toute-puissance de l’homme, mais dans une perspective voulant dévoiler la tragédie de sa condition de mortel ainsi que la fugacité de sa jeunesse et de son bonheur. Rorris peint a contrario, des corps ayant vécu, mais finalement avec la même idée hormis qu’il semble poindre dans ses créations, non la nostalgie du corps rayonnant de jeunesse, mais l’allégorie d’un peuple qui écrasé par la crise économique a été délesté de tout y compris de la possibilité d’être heureux.
Yianna
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