Sphère émotionnelle

Héloïse et Abélard, les amants spirituels

Héloïse et Abélard, les amants spirituels

Héloïse et Abélard, les amants spirituels

Héloïse et Abélard, un symbole de l'amour courtois.

Les péripéties amoureuses d’Héloïse et Abélard entrent souvent et à tort, dans la catégorie des histoires d'amour tragiques ; Roméo et Juliette, Troïlus et Cressida, Pelléas et Mélisande ou encore Pyrame et Thisbé. À vrai dire, il faut reconnaître que leur aventure rassemble tous les éléments constitutifs d'un scénario dramatique : un philosophe et théologien, Pierre Abélard, s’éprend d’une étudiante, Héloïse d’Argenteuil ; l’oncle de celle-ci s’y oppose ; Abélard enlève la jeune fille ; ils se marient en secret ; la jeune mariée donne naissance à un enfant, Astabale ; le philosophe subit une castration brutale ; les deux finissent par rentrer dans les ordres mais continuent de s’envoyer des lettres débordantes de passion jusqu’à la fin de leur vie. 

Mais Héloïse et Abélard étaient-ils ces amants idylliques que Pierre Bayle, traducteur emblématique de leur correspondance, a voulu nous décrire ? À y regarder de près on peut en douter. En rupture avec les dogmes philosophiques et religieux de leur époque, Héloïse d’Argenteuil et Pierre Abélard, furent de vrais libres penseurs, des intellectuels épris de liberté, et Héloïse en particulier une féministe d’avant-garde. Si dans la mémoire populaire les deux amants portent les stigmates de l'amour romantique, leur histoire réelle fut le fruit d'un mélange détonnant de sexe, de tragédie et de foi religieuse.


1ère représentation d'Héloïse et Abélard



À en croire les traductions de Betty Radice, les premiers commentaires d’Abélard au sujet de son étudiante n’avaient rien de romantique. Dans son Historia Calamitatum (Histoire de mes malheurs), une épître autobiographique adressée à un ami, dont il se peut qu’Héloïse ait eu vent, il la décrit de la manière la plus indélicate possible, "En apparence elle ne peut pas tomber plus bas" et se vante de pouvoir la séduire sans coup férir, "j’aurai un succès aisé" fanfaronne-t-il. Mais, les pièges de l'amour se cachent aux yeux des séducteurs impénitents et les charmes d'Héloïse ne tardent pas à envoûter Abélard qui, oubliant ses premières impressions, avoue : "Nous nous sommes unis sous un toit, puis dans nos cœurs, et ainsi avec l’excuse de mes leçons, nous nous sommes abandonnés entièrement à l’amour." Si leur relation physique fut de courte durée, personne ne peut douter de l'érotisme sulfureux qui l'habita, Abélard reconnaissant frapper sa maîtresse lorsque celle-ci le désirait et que si l’amour les poussait à inventer des choses nouvelles, elles étaient les bienvenues. 

Comme dans toute tragédie qui se respecte, les protagonistes vont anticiper le sort que la vie leur réserve, ainsi la peur et le remord affleurent même dans les passages les plus extatiques de leur correspondance. La jeune femme alors enceinte déclare : "Nous serons anéantis tous les deux. Tout ce qui nous reste c’est de souffrir autant que nous nous sommes aimés."  Une prophétie qui se réalisera quand des hommes répondant aux ordres vengeurs de son oncle entreprendront de castrer Pierre Abélard.


Tombeau d'Héloïse et Abélard - Cimetière du Père Lachaise


Parmi les éléments troublants ayant précédé la castration d'Abélard, l’opposition d’Héloïse pour un mariage public est certainement celui qui questionne le plus. Dans une de ses lettres, elle clame haut et fort : "Je méprisais le nom d’épouse, je pouvais vivre heureuse avec celui de maîtresse."  Et Abélard de justifier la position de sa jeune maîtresse : "Seulement un amour librement consenti me permettra de la garder et non la contrainte des liens du mariage."  L’insistante opposition d’Héloïse à la reconnaissance officielle de leur relation, via un mariage en bonne et due forme, peut s’expliquer par son dédain de ce qu'elle assimile à une tartufferie servant de caution à la sexualité, mais aussi par sa crainte de voir les représailles familiales porter préjudice à leur carrière professionnelle. Il serait toutefois inepte de ne pas considérer le caractère héroïque et proto-féministe de la décision d’Héloïse qui semble ne pas vouloir se conformer à un modèle où il est impensable qu'une femme puisse s'épanouir émotionnellement, sexuellement et professionnellement, sans la présence d'un homme à ses côtés.

De nombreux spécialistes d’Héloïse et Abélard se sont interrogés sur l’intensité de leur correspondance, y voyant pour certains, l’expression manifeste d’une frustration sexuelle. S’il n’est pas opportun de nier la chose, il est toutefois clair qu’elle ne fut pas la seule source de leurs échanges épistolaires enflammés. Lettre après lettre, Héloïse vacille entre aspiration à la piété la plus profonde et désir d'un amour ardent, Abélard lui recommandant le plus souvent de s’attacher à la première, car : "Le plus grand amour sera toujours de n’en montrer aucun."  Nous pourrions voir dans cette volonté de renoncer aux plaisirs de la chair une transcription de ce que Freud nommait la sublimation, cette faculté particulière du psychisme à détourner l’énergie sexuelle de son objectif premier pour lui en attribuer d'autres, intellectuels ou artistiques. L’abstinence n’est jamais un déni stricto sensu de la sexualité, mais plutôt une façon d’aller au-delà de soi, de se métamorphoser. La résolution d’Héloïse de rendre à Abélard son entière liberté, de l’affranchir de ses serments et obligations pour que les deux puissent se consacrer entièrement à leur vie religieuse, s'inscrit parfaitement dans cette dynamique de sublimation de la sexualité.

La fin de cette histoire d’amour ne répond pas aux standards en la matière, pas d’happy-end ni à l’inverse, de disparition des amants dans une agonie amoureuse pleine d’affres et de tourments. Ce qu’il en  reste aujourd’hui se trouve au cimetière du Père Lachaise, dans une magnifique chapelle sépulcrale néo-gothique où Héloïse et Abélard reposent en paix. Leurs effigies de pierre sont allongées l’une à côté de l’autre, leurs mains jointes sur leur poitrine. Sur les lèvres d’Héloïse se dessine la suggestion d’un sourire. Ils sont, au-dessus de tout, une femme et un homme qui se sont aimés éperdument, dans la joie et la souffrance, mais qui n’ont jamais renoncé à leur quête de lumière et de vérité.

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