Il n'y a rien de divin chez le petit marquis (2/9)
De 1772 à 1794, Sade enchaînera arrestations, cavales et incarcérations successives. Ce sera sans aucun doute la période la plus mouvementée de sa vie.

Le temps des affaires : fuites, incarcérations et liberté.
Le 27 juin 1772, nouveau scandale : « l’affaire de Marseille ». Selon le récit le plus plausible, le marquis aidé par son valet aurait convié quatre prostituées à la maison d’une certaine Mariette Borelly. Là, il en aurait joui par-devant et par-derrière, les fouettant et s’en faisant fouetter, se masturbant sur son domestique et s’en faisant sodomiser, tout en proférant toutes sortes d’obscénités et de blasphèmes. La séance n’aurait sans doute pas poussé les quatre invitées à porter plainte si le marquis n’avait servi des bonbons à vertu aphrodisiaque qui, leur causant d’affreuses crampes d’estomac accompagnées de vomissements, leur avait fait craindre l’empoisonnement. Fait étrange, les filles reviendront sur leur déposition quelques temps après. Mais l’histoire qui fait grand bruit enfle en démesure par le truchement du bouche-à-oreille. La partie marseillaise se commue en un bal ayant, sous l’effet de la cantharide, dégénéré en orgie généralisée. Il se dit que des femmes des plus sages n’ont pu résister à la rage utérine qui les travaillait, que Sade a joui de sa belle-sœur et enfin qu'une poignée d’hommes pris d’un effroyable priapisme ont succombé à un excès d’activité sexuelle.
Italie terre de replis.
Anticipant la furie de la justice, le marquis, accompagné de sa belle-sœur (avec laquelle il entretient une relation adultère depuis de nombreuses années), prend soin de s’enfuir en Italie. Juste intuition. Le 3 septembre il est condamné, pour empoisonnement et sodomie, à la peine de mort par contumace et exécuté en effigie à Aix-en-Provence. Le 8 décembre il est rattrapé par les forces de l’ordre et incarcéré au fort de Miolans. Il s’en évadera, avec la complicité de sa femme, au printemps suivant. Fin 1773, toujours en cavale, il fait un court séjour en son château de Lacoste, puis repart pour la péninsule. En 1774, il revient en France et en 1775 s’installe à Lacoste au vue et au su de tous. Bien qu'étant sous le coup d'un mandat d'arrêt et d'une condamnation à la peine capitale il n’est pas inquiété. Il fait même donner ses pièces de théâtre devant un parterre de notables des alentours. S'il peut narguer aussi ouvertement la justice c'est qu'à cette époque il bénéficie encore du soutien des réseaux d'influence de sa belle-famille. Mais la sulfureuse réputation du marquis se trouve une nouvelle fois sur la sellette. La rumeur enfle autour de parties fines organisées au château durant lesquelles des adolescentes seraient mutilées. Énième fuite vers l’Italie, cette fois sous un nom d’emprunt : le Comte de Mazan. Passant par Florence puis Rome, il trouve refuge à Naples, début 1776, auprès du beau-frère de Marie-Antoinette qui lui propose divers emplois à sa Cour. Vraisemblablement fin 76 ou début 77, de retour en France, il se terre à Paris où il pense passer inaperçu. Erreur d'appréciation. Le 13 février 1777 il est arrêté et enfermé au donjon de Vincennes.
Le château de Lacoste aujourd'hui.
Du donjon de Vincennes à la Bastille.
Son épouse se démène alors pour faire réviser son procès et sa condamnation à mort. Début 1778 Sade est transféré à Aix en Provence et rejugé sur l’affaire de Marseille. Le jugement de première instance est cassé, l’accusation « d’empoisonnement et sodomie » remplacée par celle de « débauche et libertinage ». Alors qu’il pense être libre, il oublie être encore sous le coup de la lettre de cachet signée par Louis XV. Louis XVI, que l’on dit horrifié par les comportements du marquis, s’en saisit pour lui refuser la liberté. On le conduit alors sous bonne escorte à Paris. Nouvelle évasion. Repris un mois plus tard, en septembre 1778, il est renvoyé au donjon de Vincennes. Pendant six ans il y mène une vie confortable, sa femme paie pour que lui soit réservé un traitement digne de son rang. Durant cette période il écrit nombre de lettres pour clamer son innocence et invectiver son influente belle-mère qu’il tient pour responsable de son enfermement. Certainement à raison. Car cette dernière, qui l’avait pris en « amour », ne tolère plus ses frasques et ses dépenses outrancières qui dilapident le capital familial. Au cours de l’année 1781, supportant de moins en moins sa mise à l'écart, son attitude devient agressive, particulièrement envers sa femme. Pris d'une féroce jalousie, il lui impose un contrôle strict de son emploi du temps et la traite en véritable souffre-douleur. Une attitude d'emprise relationnelle qui révèle toute la perversité du personnage.
En février 1784 le marquis est envoyé à la Bastille. Il y restera jusqu’aux évènements de 1789. Pendant ces cinq années d'embastillement il produit d'innombrables textes, des pièces de théâtre, des dialogues philosophiques et les funestement célèbres « Cent vingt journées de Sodome » : une abomination littéraire consignée sur un rouleau de papier de 12,10 mètres de long. Le 2 juillet 1789, sentant la fureur du peuple massé rue Saint-Antoine, il se saisit d’un entonnoir qui lui sert à vider ses eaux sales et hurle à qui veut l’entendre qu’on égorge, qu’on assassine les prisonniers de la Bastille et qu’il faut leur venir en aide. L’intervention n’est pas du goût des autorités. Quelques jours plus tard il est transféré, manu militari, au couvent de Charenton. Tous ses biens et ses écrits restent cependant à la Bastille. Sa femme tentera de les récupérer sans succès et ainsi se perdra, pendant plus d’un siècle, le manuscrit des « Cent vingt journées de Sodome ».
La Bastille.
La liberté retrouvée : la naissance de Louis Sade.
Après 13 ans de prison, le 2 avril 1790, on libère le marquis. Sa femme demande le divorce, divorce à la suite duquel il entame une liaison platonique avec Marie-Constance Quesnet, la supposée muse de « Justine ou les malheurs de la vertu ». Dans la France nouvelle, il se présente sous le nom de Louis Sade, homme de lettres et injuste victime de l’Ancien Régime. En 1791 il fait publier anonymement son premier roman : « Justine ou les malheurs de la vertu ». L'ouvrage licencieux rencontre un franc succès. Étrangement, à la même époque il fait amende honorable et déclare : « Tout cela (la débauche) me dégoute à présent, autant que cela m’embrasait autrefois. Dieu merci, penser à autre chose et je m’en trouve quatre fois plus heureux. »
À partir de 1792 il intègre la révolution, s’inscrit à la section des Piques et en devient le Secrétaire. Nommé Commissaire des sections de Paris dans les hôpitaux, il œuvre pour le bien-être des malades. Désormais démocrate et humaniste convaincu il se déclare contre les violences. Visant particulièrement celles du 10 août 92, qui ont consommé la chute de la monarchie constitutionnelle et marqué le début de la première « Terreur », il écrit : « La violence de mes écrits est bien peu de chose à côté des massacres actuels. » Printemps 1793 il est élu Vice-Président de la section des Piques. L’aristocrate vaniteux, qui a tourné sa veste dans le sens du vent révolutionnaire, dit de sa famille : « Ce sont des gueux et des scélérats reconnus que je pourrais perdre d’un mot… mais j’ai pitié d’eux et leur rends mépris et indifférence. » Habile lecteur des évènements politiques, pressentant que la Révolution ne durera pas éternellement, le ci-devant marquis sait qu'il doit ménager le chou révolutionnaire et la chèvre aristocrate. Mais si le citoyen Louis Sade parvient à tirer son épingle du jeu en se faisant passer pour un insurgé de la première heure, Robespierre, peu enclin à la crédulité, s'en méfie comme de la peste. Début décembre 93 il le fait incarcérer aux Madelonnettes. En janvier 1794 on le transfert aux Carmes puis à Saint-Lazare. Le couperet de la guillotine lui chatouille la nuque quand quelques-uns de ses amis le soustrait à la vindicte des révolutionnaires et le cache dans une maison parisienne. Le 26 juillet, le Tribunal Révolutionnaire le condamne à mort par contumace pour « conspiration contre la République ». Par chance Robespierre est renversé par la Convention le lendemain. Il échappe à la peine capitale et on le décharge de tous les chefs d’accusation.
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