L’harmonie sexuelle dans le couple, la question du désir
Si le plaisir sexuel occupe depuis longtemps une grande part des préoccupations humaines, l’importance qu’il revêt dans l’histoire du couple est une donnée contemporaine. Mais ce n'est qu'à l'aube des années 80 que l'harmonie sexuelle devient un facteur qui influence de façon significative la perception du projet marital.

La sexualité, enjeu contemporain de la réussite conjugale.
Dans la conception moderne de la durabilité du couple, la sexualité tient un rôle prépondérant. Aujourd’hui les populations occidentales pensent le sexe comme partie intégrante du projet conjugal et de sa réussite. Cependant, en dépit des nombreux conseils distillés dans les magazines spécialisés, l’activité des sexologues continue d'être largement alimentée par les mésententes sexuelles. Car la relation intime est un exercice périlleux et d’autant plus lorsqu’on lui assigne des objectifs d’harmonie, d’épanouissement et de bien-être réciproques.
La fonction primordiale de la sexualité est la procréation. La nature nous a doté des outils organiques nécessaires pour atteindre cet objectif. Il n’est pas besoin d’une éducation particulière, simplement d’une bonne santé génésique pour que tout un chacun soit en mesure de satisfaire au dessein de la procréation. Si elle était restée cantonnée à sa fonction première, nul doute que la sexualité aurait été moins problématique. Moins problématique, mais moins réjouissante.
La perception qualitative du projet de couple.
Si le plaisir sexuel occupe depuis longtemps une grande part des préoccupations humaines, l’importance qu’il revêt dans l’histoire du couple est une donnée contemporaine. Jusqu’aux années 60, la sexualité ne semble pas être un facteur qui influence de façon significative la perception qualitative du projet marital. Au mieux elle est la cerise sur le gâteau de la réussite sociale qui est alors une priorité. Avec les années 70, le développement de la société de consommation, porté par l’émergence d’une classe intermédiaire, induit un changement de paradigme sociétal. Si le travail reste une valeur indiscutable, les Occidentaux ne comptent plus seulement travailler pour subvenir à leurs besoins fondamentaux ou acquérir une position sociale. Il est question de jouir de la vie, de consommer, de s’offrir des loisirs, des vacances, des voyages, et finalement de se calquer sur le mode de vie hédoniste des classes les plus aisées. Parallèlement, sous l’influence des idéologies libertaires, la sexualité s’extrait des carcans de la morale. Mais si l’on veut jouir sans entrave, on veut aussi que cette jouissance soit partagée. À cette fin, les courants féministes stigmatisent la sexualité hétéro, les processus érotiques centrés sur le plaisir masculin, et revendiquent l’égalité orgasmique, un appel légitime à reconnaître aux femmes le statut de sujet jouisseur à part entière.
À partir des années 80, l’ensemble de ces bouleversement va redéfinir les marqueurs de la réussite du projet de couple. L’épanouissement sexuel qui était jusque-là un facteur subsidiaire acquiert un statut de premier plan. Désormais l’harmonie sexuelle est un objectif que tout couple qui se veut dans l’air du temps se doit d’atteindre. Pour autant personne n’envisage de mettre en place une véritable éducation à l’érotisme. Les couples sont livrés à eux-mêmes et à la pornographie qui devient le référent éducatif le plus médiatisé. Alors que les féministes avaient fait du rapport égalitaire à la jouissance l’incontournable élément d’une pensée érotique plus ambitieuse, plus respectueuse des attentes féminines, les pornographes glorifient un érotisme bas de gamme, hideux et purement androcentré. Reprenant à l’outrance les clichés et stéréotypes du machisme sexuel, ils formatent les individus à l’expérience d’une sexualité ultra-violente, dégradante et dépourvue de sens. Et là est tout le paradoxe de l’époque. D’un côté le couple est invité à trouver l’harmonie sexuelle et de l'autre, on l’enjoint d’embrasser un érotisme prosaïque incompatible avec celle-ci.
Aujourd’hui quand un jeune couple entre dans son histoire, il sait qu’il devra satisfaire à un cahier des charges aussi dense que complexe s’il compte perdurer. Car les exigences imposées par la conception moderne de la vie conjugale se traduisent malheureusement par une recrudescence de ses faillites. Clairement identifiée comme l'une des principales causes d’échec : les mésententes sexuelles. Dans une étude parue en 2008, les sociologues Sinikka Elliott et Debra Umberson ont mis en évidence l’importance que les couples du 21ème siècle accordaient à la sexualité, tout en constatant qu’elle était plus que jamais un terrain de conflits nourris par un mélange d’idées reçues et d’attentes incomprises. Si trouver l’harmonie sexuelle est un objectif honorable, encore faut-il que les partenaires s’accordent sur sa définition, puis la manière d’y parvenir. Et c’est bien là que le bât blesse.
Repenser l'harmonie sexuelle à l'aulne du désir.
Malgré la somme d’informations disponibles, il apparaît que les couples réfléchissent l’harmonie sexuelle en se référant au vieux poncifs des besoins masculins et du manque d’intérêt des femmes pour le sexuel. Et dans ce domaine, ce sont les hommes qui sont les plus monolithiques. La question de l’étiage des rapports est récurrente et bien représentée dans leur cahier de doléances. Leur frustration témoignerait du manque de désir de leur partenaire, désir qu’ils souhaiteraient spontané et détaché des tracas de la vie quotidienne. Si de leur côté les femmes sont raccord avec l’idée que l’entente sexuelle est signe de la bonne vitalité de leur couple, elles valident le préconçu qui veut que la gent féminine soit moins désirante. Toutefois elles ciblent le poids de la gestion des affaires familiales qui reposent sur leurs épaules, une charge de travail qui s’ajoute à celle de leur emploi salarié et les détourne de la sexualité. L’étude sus-citée souligne que la plupart des couples font des efforts. Les hommes pour contenir leurs « besoins » et s’investir un peu plus dans les tâches ménagères, les femmes pour stimuler leur désir, des adaptations résultant de négociations plus ou moins âpres.
L’idée que les femmes sont sexuellement moins désirantes est inlassablement rebattue. Pour autant elle ne répond que très partiellement à la réalité. Car si l’on peut pointer l’horloge hormonale féminine, reconnaissant des périodes biologiques naturellement propices à la sexualité, l’expression du désir n’en est pas esclave. Des situations, des contextes, suffisamment érogènes sont en mesure de pallier avantageusement les fluctuations hormonales. Néanmoins, pour un couple qui a déjà quelques années de vie commune, l’érogène est tout autant déterminé par l’instant que par son historique érotique. Autrement dit, si les rapports sexuels sont au mieux décevants ou tout juste satisfaisants, on peut comprendre que l'envie en soit affecté à la baisse. Mais quand les expériences sont réellement calamiteuses on constate des obstructions volontaires à l'appétit même du désir. On ne peut donc négliger la mémoire du plaisir ou du déplaisir et s'abstenir de lui reconnaître un rôle essentiel pour dans la préservation de la bonne vitalité du désir.
Performer le désir.
L’étude de Sinikka Elliott et Debra Umberson révèle que dans la majorité des cas, face à l’érosion du désir de leur compagne, les hommes n'envisagent pas l'ombre d'un instant en être la cause. Les femmes par contre se stigmatisent volontiers et préfèrent le performer que questionner la qualité de leurs rapports intimes. La performance du désir doit s’entendre comme un auto-conditionnement réalisé au prix d'un investissement émotionnel et dans le but de se conformer aux attentes du partenaire. Ainsi de nombreuses femmes s'emploient à modifier l'expression de leur désir et acceptent de s'infliger une charge psychique supplémentaire. Cette solution qui montre quelque efficacité, reste un pis-aller, un traitement du symptôme qui ne règle pas la problématique de fond. Alors quid de l’harmonie sexuelle ? En filigrane, il ressort de l’étude que sa recherche est le plus souvent motivée par la volonté de se normaliser, de s’ajuster à un modèle socialement validé. Et surtout de rassurer le partenaire quant à sa désirabilité et indirectement à son savoir-faire. Finalement on constatera que face à leur problématique érotique, les couples jouent plus à faire semblant qu’à repenser en profondeur leur relationnel sexuel.
Par ailleurs force est d’admettre que le concept d’épanouissement sexuel recoupe autant de réalités qu’il existe types d'union. On ne saurait penser d’une façon identique la relation de deux jeunes adultes inexpérimentés et celle d’un couple ayant plusieurs années de vie commune, ou encore celle de deux quinquagénaires débutant une nouvelle aventure. Il est donc vain de prétendre à la création d’un archétype relationnel qui donnerait toutes garanties de réussite. Plus logiquement il s’agirait d’éduquer, de fournir toutes les informations utiles pour que chacun puisse appréhender ses propres attentes comme celles de sa/son partenaire et être en capacité de construire un projet de couple sexuellement épanouissant. Généralement sollicités quand les conflits sont déjà bien enracinés, sexologues et sexothérapeutes pourraient jouer un rôle éducatif majeur. Mais encore faudrait-il que se développe une culture de la consultation sexologique éducative et préventive, ce qui dans une société foncièrement portée sur le curatif ne va pas de soi.
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