L'inégalité orgasmique

Hommes et femmes ne sont pas égaux devant l'orgasme.
Nous savons aujourd’hui combien il est important d’avoir une vie sexuelle épanouie et pas uniquement pour une question de satisfaction sensuelle. L’estime de soi, la santé mentale et physique peuvent être lourdement impactées par la mauvaise qualité des rapports intimes. Pour l'OMS la notion de satisfaction sexuelle entre dans celle plus large de santé sexuelle, soit "Un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en relation avec la sexualité, et non pas simplement l'absence de maladies, de dysfonctionnement ou d'infirmités." Que l'organisation mondiale de la santé se préoccupe de ce sujet confirme que la vision de la sexualité comme facteur de bien-vivre s'est universalisée. Mais du point de vue pragmatique, l'état de bien-être physique, émotionnel et mental en relation avec la sexualité, dépend de plusieurs facteurs : sécurité, consentement et volupté. Si la jouissance ne peut être le seul élément participant à la bonne santé génésique, il n'en est pas moins fondamental. Pourrions-nous prétendre atteindre le bonheur sexuel sans jouir complètement de nos relations intimes ? En ces temps où les femmes revendiquent à juste titre une meilleure prise en compte de leurs aspirations émotionnelles, nous devons aborder avec clairvoyance une problématique qui a été trop longtemps absente de nos conversations sur le sexe : l’inégalité des hommes et des femmes devant l’orgasme.
Dans nos sociétés le plaisir masculin est au centre de toutes les attentions.
Les productions pornographiques, pures émanations de la culture androcentrée du plaisir, mettent en exergue une conception de la jouissance où les femmes sont considérées comme des objets et non des sujets de volupté. L'orgasme féminin n'est pas, contrairement à celui des hommes, un élément indispensable des scénarios pornos, et si les réalisateurs demandent aux hardeuses de surjouer la satisfaction sexuelle, l'orgasme masculin reste en quelque sorte le happy end incontournable de l'érotisme porno. Il est indiscutable que la culture androcentrée du plaisir ne corrèle pas spontanément sexualité et jouissance féminine. Le clitoris reste un parfait étranger pour l’ensemble de la gent masculine qui n’en connaît anatomiquement que la partie émergée. Rappelons que la première représentation en trois dimensions du clitoris date de 2016. Si les générations post-seventies vivent plus librement leur sexualité, elles ne se sont pas pour autant ouvertes sur le plaisir des femmes qui, d'une manière générale, reste mal compris. Les recherches en la matière sont peu nombreuses et les gynécologues eux-mêmes rechignent à parler avec leurs patientes de satisfaction sexuelle.
La discrétion qui entoure le plaisir féminin a des conséquences. D’après une étude produite par l’université de Wisconsin-Madison, 30% des étudiantes ne savent pas correctement situer le clitoris sur une planche anatomique. Une association anglaise de gynécologues a invité des hommes et des femmes à tester leurs connaissances des appareils génitaux. Si 60% des femmes légendent correctement un dessin représentant celui des hommes, elles ne sont plus que 35% quand il s’agit du leur. De toute évidence les femmes sont plus à l’aise avec l’anatomie masculine qu’avec leur propre anatomie. Ce défaut de culture génitale peut prêter à sourire quand il se manifeste par des erreurs de légendes sur un croquis, mais lorsqu'il s'exprime dans le cadre de la santé sexuelle ses répercussions sont moins plaisantes.
La qualité des relations sexuelles dépend aussi de la bonne appréhension de nos données corporelles.
Le fait que les femmes hétéros ne parviennent pas à profiter pleinement de leur sexualité (40% d’entre elles n’ont jamais d’orgasme), n’est pas simplement dû à un manque de savoir-faire des hommes. Les femmes doivent aussi assumer une part de responsabilité en reconnaissant que l'insuffisante compréhension de ce qui fonde leur processus orgasmique demeure un frein à leur épanouissement sexuel.
L'inégalité devant l'orgasme a certainement plusieurs causes, mais nous pouvons penser que le manque d’éducation sexuelle et érotique contribue grandement à cet état de fait. La sexualité érotisée, non reproductive, est encore aujourd’hui marquée par le sceau de la honte. Si nous étions, comme nous le prétendons, libérés sexuellement, nous n’hésiterions pas à encourager les filles à l’auto-exploration sensorielle. L’institut Kinsey a montré que les femmes qui jouissaient le mieux de leurs relations sexuelles étaient celles qui osaient parler de leurs préférences et extérioriser leurs fantasmes. Encore faut-il avoir compris certaines choses de soi pour le communiquer clairement à son partenaire.
Nous avons construit un modèle de relation basé sur l’inégalité de genre. La pop culture, la pornographie, certaines visions culturelles et religieuses restrictives, véhiculent des stéréotypes relationnels dans lesquels les femmes ne sont que des faire-valoir du plaisir masculin. Pour prendre conscience que l'inégalité orgasmique n'est pas une fatalité, les femmes doivent réaliser qu’elles sont asservies à certaines représentations sexuées qui les desservent et dont elles doivent s'émanciper. Afin d'édifier une culture de l’égalité des sexes, il est nécessaire d’entamer de franches discussions autour de la sexualité. Portés par la volonté de parler ouvertement de sexe, sur la base d'informations précises et non partisanes, nous pourrons améliorer notre QI érotique et faire des choix éclairés, pour plus de plaisir, de bonheur et de bien-être partagés. Si les nouvelles générations de femmes peuvent aspirer à une égalité de traitement dans le cadre familial, scolaire et professionnel, il est temps qu’elles puissent y accéder dans la sphère des rapports intimes.
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