Sphère émotionnelle

Les ambiguïtés de l’Aphrodite grecque.

Les ambiguïtés de l’Aphrodite grecque.

D’après la mythologie grecque, Gaïa (la Terre) engendra Ouranos (le Ciel étoilé). De leur union naquit Cronos (le temps) qui se révolta contre son père et lui coupa les parties intimes avant de les jeter dans la mer. Du mariage de celles-ci et de l’écume (aphrós en grec) naquit Aphrodite, déesse insurpassable en perfection et en beauté.

Les ambiguïtés de l’Aphrodite grecque.

Aphrodite, une absolue beauté marquée par le sceau de l’ambiguïté.

Si sa grâce rayonnante, son sourire parfait enchantent les âmes, sa naissance violente incite à une sexualité débridée. Dans l’histoire d’Aphrodite, sont inscrites toutes les passions humaines, des plus viles aux plus glorieuses. Amour, jalousie, inceste, infidélité, vengeance, la déesse semble avoir donné naissance à bien plus profond et plus subtile qu’un simple idéal d'amour, de beauté et d’esthétisme. 

De la genèse du mythe d’Aphrodite.

Depuis des milliers d’années, Gaïa est prisonnière de son époux, Ouranos. Pas un seul instant depuis le premier matin du monde, il n’a accepté de se séparer d’elle. Il demeure collé à elle, encastré, la pauvre Gaïa suffoque et elle n’est pas la seule à subir la présence étouffante du dieu du ciel, ses enfants en souffrent également. A chaque fois qu’ils tentent de quitter le giron de leur mère où les a emprisonnés Ouranos, ce dernier les repousse et les rejette sans ménagement. Cette situation ne peut plus durer, dans un grand cri Gaïa ordonne à ses enfants de se retourner contre leur père. Qu’ils l’en débarrassent, qu’ils le tuent, peu importe. Mais aucun des enfants de Gaïa n’osent affronter Ouranos, à l’exception du plus jeune d’entre eux, Cronos, auquel sa mère a confié en secret une arme redoutable, une faucille taillée dans le silex.


Cronos dévorant l'un de ses enfants - Goya

Tapis dans l’ombre, Cronos attend l’instant où son père insatiable, vient s’unir à Gaïa. Lorsqu’il arrive, Cronos saisit sans hésiter le sexe de son père, le tranche d’un coup sec et le jette dans la mer. Du sexe mutilé d’Ouranos s’écoulent des torrents de sang et de sperme dérivant à la surface des flots, qui se marient à l’écume et la fécondent. De cette union singulière née Aphrodite.

Aphrodite inspirera autant l’amour du cœur que l’attirance des corps. 

Elle sera à la fois la déesse qui favorise les mariages et celle qui pousse les hommes et les femmes même mariés aux pires folies érotiques conduisant les mortels vers toutes les voluptés et tous les excès.

À peine Aphrodite a-t-elle surgit des flots que Zéphire, le dieu du vent, la pousse jusqu’au rivage de Pathos, une baie située sur la côte occidentale de l’ile de Chypre. Zéphire confie alors Aphrodite aux Hores (Heures), ces divinités bienveillantes qui personnifient les quatre saisons, afin qu’elles se chargent de son éducation. Les Hores lui apprennent l’élégance, le charme, et lui offrent un magnifique cadeau, une somptueuse ceinture d’or, une ceinture magique qui la rendra irrésistible. Aphrodite fin prête, le temps est venu de la présenter au Cercle des dieux. Lorsqu’elle fait son entrée sur l’Olympe, l’assemblée se lève et la proclame à l’unanimité Déesse de la beauté et de l’amour. Zeus déclare que pareille splendeur ne peut rester seule, il lui faut un mari ! Prenant tout le monde de court, Zeus désigne le plus improbable des prétendants, son fils Héphaïstos, le dieu des artisans et des forgerons. Le « boiteux de Lemnos », le plus laid de tous les dieux, si laid qu’à sa naissance, sa mère Era, dégoûtée, s’en était débarrassée en le jetant du haut de l’Olympe. Pourtant, Aphrodite ne paraît pas rebutée par la laideur de son mari, elle affirme même qu’elle nourrit déjà à son égard un amour sincère. Pour preuve, elle lui donnera quatre enfants, mais aucun n’est d’Héphaïstos…

Dès le lendemain de ses noces, Aphrodite se choisit un amant.

Impossible pour celle qui naquit du sexe mutilé d’Ouranos, de résister au feu qui l’anime. Son amant est l’opposé d’Héphaïstos, c’est Ares, le dieu de la guerre. Grand, beau, il possède un corps d’athlète. Dès qu’Héphaïstos, qui est un travailleur de la nuit, se rend dans sa forge où il fabrique les armes et les bijoux des dieux, Ares se glisse dans le lit d’Aphrodite et avant que l’aube ne se lève, s’éclipse. Ce manège dure longtemps sans qu’Héphaïstos ne se doute de rien. Mais comme souvent, les amants finissent par commettre l’erreur fatale. Une nuit, allongés l’un contre l’autre, ils prolongent imprudemment leurs étreintes alors que les premiers feux de l’aube rougissent l’horizon. Or, l’aube est le moment où Hélios, le dieu du soleil, quitte sa chambre de l’Olympe pour entreprendre le grand voyage qui le mène de l’Orient à l’Occident. Et l’un de ses privilèges est de voir tout ce qui se passe sur la Terre. Ce qu’il découvre ce matin le fait sursauter, Aphrodite et Ares enlacés dans le lit d’Héphaïstos !


Aphrodite et Ares

Comme beaucoup d’autres dieux, Hélios n’est pas indifférent aux charmes de la déesse. Il aurait bien voulu être à la place d’Ares. Dépité, il s’empresse de dénoncer Aphrodite à son époux. Héphaïstos est atterré, la pure, la tendre, adorable Aphrodite… Entre rage et honte, il conçoit alors un plan pour se venger, un plan aussi subtil que redoutable. Le soir même dans son atelier avec tout l’art qui est le sien, Héphaïstos forge un filet de chasse en bronze. Ses mailles sont si fines qu’on ne peut les voir à l’œil nu. Fines, mais aussi impossibles à rompre. Puis, un jour qu’Aphrodite est absente, il s’introduit dans leur chambre et attache solidement le filet aux colonnes de leur lit. Une fois assuré que le piège est parfaitement en place, il annonce à tous qu’il part pour un très long voyage. Comme il l’avait prévu, l’infidèle ne se propose pas de l’accompagner. Elle l’embrasse tendrement, le regarde s’éloigner en lui faisant de grands signes affectueux de la main et dès qu’il a disparu, laisse éclater sa joie.

Le soir même, Aphrodite et Ares se retrouvent, trop heureux de donner libre court à leurs ébats.

Or, Héphaïstos est là. À la vue de son épouse qui se livre ainsi sans pudeur, il a la gorge qui se serre, sa main tremble, elle tremble tant qu’on se demande s’il aura la force d’actionner son piège. Voilà les deux amants prisonniers des mailles de bronze, se débattant, affolés. Héphaïstos ameute alors tout l’Olympe et invite dieux et déesses à constater l’adultère, ainsi que son déshonneur. Les dieux remplis de joie, se précipitent chez le forgeron, afin d’assister au spectacle humiliant d’Ares et Aphrodite empêtrés dans son filet. Ils ricanent, les moqueries fusent. Apollon chuchote à Hermès : « Avoues que tu ne serais pas mécontent d’être à la place d’Ares ». Bien sûr, réplique Hermès, et même s’il y avait eu trois filets. Poséidon qui ne perd rien de la scène, est tout aussi subjugué qu’Apollon et Hermès à la vue du corps dénudé d’Aphrodite. Il fait mine de compatir, mais il intervient auprès d’Héphaïstos pour que soient délivrés les deux amants. Il accepte, à la condition que tous deux soient exilés de l’Olympe et il prévient d’un air sombre que s’ils ne tiennent pas leurs engagements, c’est Poséidon lui-même qui devra prendre leur place sous le filet. Zeus, impatient d’en finir avec ce qu’il considère une affaire ridicule, accepte la proposition de son frère, l’affaire est entendue.

Arès libéré, s’exile en Thrace, quant à Aphrodite, la mésaventure qu’elle vient de vivre ne semble pas l’avoir troublée outre mesure.

Libérée à son tour, elle décide de repartir vers Chypre. Mais avant son départ, flattée par les regards d’Hermès, elle s’offre à lui une nuit entière. De leur union naîtra Hermaphrodite, qui héritera de la beauté de ses deux parents. Mais Aphrodite a été humiliée et elle aussi entend bien se venger des moqueries des dieux qu’elle veut faire payer pour cet affront. Sur l’Olympe, Aphrodite sème partout les graines de l’infidélité, dévaste les cœurs, brise les couples, n’hésite pas à priver d’amour les uns ou au contraire, à rendre les autres fous de passion. Mais un jour, Aphrodite est prise à son tour dans la tourmente de l’amour. Une rencontre imprévue bouleversera sa vie à jamais.


Myrrha - illustration Ovide - Métamorphoses, X, 483-516e

La fille du roi de Chypre, une jeune femme nommée Myrra prétend être si belle qu’il lui semble désormais inutile de vénérer Aphrodite. Piquée au vif, la déesse de la beauté décide de la punir de ce blasphème. Elle inspire à l’insolente Myrra une passion dévorante pour son propre père. Myrra, égarée par le désir entre un soir dans le lit de celui-ci. Leur union dure 12 jours et 12 nuits pendant lesquels le père, envouté par Aphrodite, ne reconnaît plus sa fille. Au matin du 13ème jour, il découvre avec effroi dans quel piège sa fille l’a attiré. Il dégaine son épée et supplie les dieux de lui pardonner ce qu’il va faire, tuer sa fille et se supprimer, balayant ainsi la souillure qui a déshonoré sa maison. Affolée, Myrra prend la fuite, court jusqu’à la forêt mais malgré son âge avancé, son père court plus vite encore. Comprenant qu’elle est perdue, Myrra se laisse tomber à terre et implore Zeus de la sauver. Le dieu des dieux, ému par ses pleurs, accède à sa supplique et la change en un arbre qu’il enracine sur place. Mais même ainsi transformée, Myrra continue de pleurer et ses larmes deviennent un trésor, un précieux trésor, baume d’incorruptibilité, la Myrrhe. 

Neuf mois plus tard, l’arbre se fend en deux et un enfant au teint splendide en sort, Adonis.

Aphrodite est là, témoin de cette naissance prodigieuse. Ce garçon est une pure merveille, Aphrodite brûle déjà de passion pour lui, Adonis sera son amant à elle, rien qu’à elle mais en attendant qu’il grandisse, il faut le mettre à l’abri des autres mortels et des déesses. Aphrodite confectionne avec soin un grand berceau qu’elle décore de fleurs, y dépose le nourrisson et le confie à Perséphone, la reine des enfers, se disant que sous terre, le bel enfant ne risquera pas d’être séduit. Et lorsqu’il aura atteint l’âge des premières amours, elle n’aura plus qu’à venir le chercher. Mais à la vue du garçon, Perséphone aussi est troublée, tellement troublée qu’elle décide de garder l’enfant pour elle. Elle l’élève en le cajolant, lui prodiguant une tendresse bien plus que maternelle. Les années s’écoulent, Aphrodite revient auprès de la reine des enfers et comme convenu, lui réclame Adonis, devenu un magnifique jeune homme. Perséphone refuse, Aphrodite proteste. Zeus, attiré par les cris des déesses décide d’intervenir. Puisque aucune des deux ne veut céder, il tranche : Adonis vivra avec Perséphone le premier tiers de l’année, il vivra avec Aphrodite le deuxième tiers et le troisième tiers, il l’utilisera à sa guise. Perséphone pose une condition, lorsqu’elle sera en présence d’Adonis, Aphrodite ne devra en aucun cas porter sa ceinture magique. Aphrodite feint d’accepter. Évidemment, elle rompt l’accord dès le premier jour et en quelques heures, Adonis est ensorcelé, ne voit plus qu’elle, ne rêve plus que d’elle, ne prononce plus que son nom et décide de passer le tiers de l’année et le temps qui lui revient, auprès de la déesse. Perséphone est furieuse, elle se vengera sur Adonis.


Aphrodite et Adonis - Abraham BLOEMAERT (1632)

Elle se rend en Thrace et va trouver Arès, le dieu fougueux et querelleur qui fut l’amant d’Aphrodite. Elle lui apprend que sa belle maîtresse lui préfère désormais un simple mortel et de surcroît, ajoute-t-elle, un mortel efféminé. Blessé dans son amour propre, Arès entre dans une colère folle. Le lendemain, alors qu'Adonis se promène dans un bois sauvage, voilà que fonce droit sur lui un énorme sanglier, Arès métamorphosé. Adonis tente de l’éviter, mais percuté de plein fouet, il s’écroule. Aphrodite impuissante a vu toute la scène, Adonis est mort. Perséphone a gagné, désormais, il reposera auprès d’elle jusqu’à la fin des temps. Aphrodite ne se remettra jamais de la perte de son premier et dernier amour et en portera le deuil pour l’éternité.

Si le charme d’Aphrodite agit sur les hommes et les dieux, les déesses elles, sont agacées par son comportement, et jalouses. Un jour la dispute éclate.

Alors que tous les dieux sont réunis sur l’Olympe pour un banquet, Iris, déesse de la discorde que nul n’avait songé à convier car elle s’arrangeait toujours pour troubler les fêtes, fait soudain irruption et lance au milieu de la table une pomme d’or. Sur cette pomme figure une curieuse inscription : « À la plus belle ». Tous les regards se tournent naturellement vers Aphrodite, prête à se lever pour récupérer la pomme mais deux autres déesses se dressent en même temps, Héra et Athéna, épouse et fille de Zeus. Le dieu, prudent comme à l’accoutumée, décide que ce ne sera pas un dieu mais un mortel qui fera l’arbitrage. On choisit Paris, fils de Priam, le roi de Troie. Hermès conduit les trois déesses sur le mont Ida où le jeune Paris garde ses troupeaux. On le somme de dire qui d’Aphrodite, Héra et Athéna, mérite le titre de déesse de la beauté. Le pauvre Paris s’avoue incapable d’affirmer une préférence. Héra le toise et lui dit que s’il la désigne comme la plus belle des déesses, elle lui donnera un royaume comme nul mortel n’en posséda jamais. Il sera le plus grand prince que la terre ait porté. Athéna s’interpose, elle lui déclare que s’il porte son choix sur elle, elle le rendra à jamais invincible au combat, il sera le plus grand héro que la terre ait porté. Aphrodite quant à elle, d’une voix enjôleuse lui déclare que si c’est elle qui triomphe, elle lui offrira la main de la femme qu’il aime, la belle Hélène de Sparte, aujourd’hui promise à un autre que lui. Il sera le plus grand amant que la terre ait porté. Sans hésiter, Paris prend la pomme et l’offre à Aphrodite.

Chose promise, chose due, Aphrodite dénoue sa ceinture, celle qui rend irrésistible celui qui la porte, et l’offre à Paris, puis elle l’accompagne jusqu’à Sparte où elle inspire à la belle Hélène une passion ardente pour le jeune homme. Le jour même il l’enlève. Aucun d’entre eux ne sait alors que du choix de Paris, naîtra une guerre qui durera dix ans, la guerre de Troie. Une guerre, mais étrangement, une guerre au nom de l’amour. Seule une déesse comme Aphrodite pouvait être capable d’inspirer une telle guerre. Pendant cet embrasement, Grecques et Troyens s’affronteront en rivalisant de bravoure mais aussi d’imagination. Sans le savoir, ils démontreront l’ultime pouvoir d’Aphrodite, faire croire aux hommes qu’ils sont peut-être des demi-dieux.




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