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Les femmes préhistoriques 1/2

Les femmes préhistoriques 1/2

Il semble que la réflexion sur les femmes, de la préhistoire au Moyen-âge et jusqu’à nos jours, doive se débarrasser d’un certain nombre de préjugés pour tenter d’aborder les choses de la façon la plus précise et vraie possible.

Les femmes préhistoriques 1/2

Femmes préhistoriques, un sujet plus actuel qu'il n'y paraît.

Cette tentative d’approche de la femme préhistorique est motivée par une volonté de connaissance, voire de reconnaissance de ces femmes. On cherche ainsi à établir la distance ou la proximité de leur condition avec celle que connaissent les femmes d'aujourd’hui.

On a très peu parlé des femmes de la préhistoire.

En France, les études d’historiens ou articles des journaux spécialisés, il est surtout question de la préhistoire de l’Homme, réduite à celle du masculin car on a longtemps considéré que de la femme, il n'y avait rien à dire, ce pourquoi un certain nombre d'archéologues ont longtemps proclamé leur « invisibilité ». Il est vrai qu’un silex ne mentionne ni son fabricant, ni son utilisateur et jusqu’à très récemment, il était impossible de le déterminer. Or, l’archéologie préhistorique, la paléontologie, qui étudient les ossements et fossiles, sont des sciences d’objets, qui en France, décrivent, classent, mais évitent de trop interpréter. Si de nos jours il est effectivement nécessaire de repenser les stéréotypes attribués aux femmes, les sciences de la préhistoire elles aussi, doivent essayer de reconnaître la nécessité de repenser ces questions et de donner autant que possible une place aux femmes et à la division sexuelle des rôles dans la préhistoire.

Les idées reçues, prégnantes dans les textes, images et romans préhistoriques créés à partir de ce que nous savons de la préhistoire, sont de plusieurs ordres. Il y a d’abord les images héritées de la tradition judéo-chrétienne dont celle de la mère, d’autres de l’idéologie victorienne ou encore du code Napoléon, d’une femme totalement dépendante du mari ou du père. Puis, au XIXe siècle, beaucoup de fantasmes érotiques émergent autour de cette période et aujourd'hui encore, quantité de productions pornographiques mettent en scène hommes ou femmes préhistoriques. 


Représentation d'une famille à l'âge de pierre. Émile Bayard

Cette image du XIXe siècle (1870) attribuée à Émile Bayard, représente une famille à l’âge de pierre. On y voit une femme quasiment nue, tête baissée vers la terre et ses enfants. L’homme, debout, plus habillé, visiblement plus âgé qu’elle est armé et regarde vers le lointain, semblant scruter l'avenir. Il domine sur la famille, incarne le chasseur, le combattant, le protecteur. Il est pourvu de l’intellect du stratège. La femme quant à elle est vouée à des tâches plus prosaïques, son intérêt est porté sur les seules priorités domestiques : nourrir et éduquer les enfants. Sa nudité, l'ornement de sa poitrine suggère la séduction et donc son rôle reproducteur. Quantité d'autres représentations, littératures, ont été construites sur ce modèle d'un homme actif et d'une femme ne pouvant que lui être soumise.

De même, toutes les littératures ethnographiques de l'évolutionnisme culturel qui ont tenté d'écrire l'histoire du mariage, on décrit le rapt, souvent associé à l'exogamie (fait d'aller chercher une femme dans une autre peuplade que la sienne), comme une pratique très importante dans l'histoire de l'humanité. Cette exogamie, souvent caractérisée par le viol, révèle la fragilité de la femme face à cette frénésie violente des hommes à leur égard. Même si ces scènes s’articulent à des présupposés ethnographiques, elles traduisent une certaine complaisance présente dans d'autres ouvrages comme celui, descriptif des origines, de Rony Ainé et dont la légende est : « Quand un homme rencontrait une femme, la malheureuse était fécondée sur place. » Ici, la femme serait soumise au viol, légitimé par la nature même des hommes, incapables de résister à leurs pulsions.


Le rapt, Paul Jamin

Pour dépasser les stéréotypes, il faut en premier lieu les soumettre à la critique. Car nous sommes en présence d'images qui ont été créées par des hommes à la vision androcentrée nourrie de mythes. Il faut donc chercher d'autres perspectives pour repérer ces femmes et distinguer dans le matériel paléontologique et préhistorique, les indices pouvant nous éclairer sur leur rôle et place au sein du groupe.

Les sciences de la préhistoire sont des sciences de terrain, recherchant fossiles, artéfacts et peintures rupestres. Les travaux de laboratoire eux, sont axés sur des expérimentations menées grâce à de nouvelles technologies et techniques issues de la biologie moléculaire (étude de l’ADN ancien), à même de nous révéler un certain nombre de choses sur la différence entre les hommes et les femmes préhistoriques. Mais il faut peut-être aussi changer de regard et trouver de nouvelles problématiques et perspectives d’enquêtes, notamment ethnographiques. Il n’est bien sûr pas évident d'affirmer que les peuples chasseurs-cueilleurs de notre temps ont le même mode de vie que ceux de la préhistoire, bien qu'en termes de matérialité, on puisse apprendre d’eux sur la répartition des tâches et le rôle des femmes. On peut aussi essayer de cerner de plus près la réalité de leur existence à partir des objets découverts et trouver des angles d’éclairages différents. 

Indices paléontologiques de l’existence des femmes : l’anatomie féminine peut-elle se reconnaître dans les ossements fossiles ?

La paléontologie est la science des fossiles et des squelettes. Dans la mesure où l'on est en présence de squelettes complets et préservés, du point de vue de l'anatomie, elle peut donner des éléments d'information sur l’existence des femmes. Par exemple, il est possible de noter un dimorphisme sexuel entre deux individus dont l'un est gracile et l'autre plus imposant et robuste, et de déterminer qu’on est en présence d’un homme et d’une femme. Mais ce dimorphisme n’est pas toujours attesté. L’anatomie du bassin, plus large chez la femme avec écartement des os dû à l’accouchement, permet aussi cette reconnaissance chez Homosapiens.

Lucie l’australopithèque (3,2 millions d’années).

Le récit de sa découverte révèle que Lucie a été reconstituée à partir de minuscules fragments. Il n’était donc pas du tout évident d’en faire une femme. En effet, la largeur du bassin d’un australopithèque n’est pas très caractéristique dans la mesure où le crâne de l’enfant est beaucoup moins volumineux que celui d'un enfant homosapiens. Pourtant, depuis longtemps le sexe de Lucie, devenue grand-mère de l’humanité et fondement du savoir en préhistoire, n'est plus remis en question.


Lucie, Pôle international de la préhistoire

Le contexte social de 1974, fortement imprégné par le féminisme radical, a probablement conduit les sciences de la préhistoire à orienter leurs travaux, en réponse à un féminisme radical ayant rompu avec les pontes en la matière qui prétendaient que les femmes préhistoriques étaient des individus passifs et inactifs. Attendu que l'équipe scientifique ayant découvert Lucie était franco-américaine, celle-ci a donc bénéficié de ce courant favorable dont avait été privé en 1868 l'un des cinq fossiles trouvés aux côtés du célèbre homme de Cro-Magnon, une femme aujourd'hui encore restée dans l'ombre.

Preuves moléculaires.

Dans les années 80, il fut possible d'extraire une forme particulière de l’ADN mitochondrial. Les mitochondries sont des organites cellulaires qui ne sont transmis que par l'ovule de la mère. Les études ont alors démontré que tous les ADN mitochondriaux humains avaient une origine commune. C'est le concept de l'Ève mitochondriale, équivalent féminin de l'Adam Chromosome-Y, ancêtre commun le plus récent par lignée paternelle.

Plus récemment, des équipes se sont employées à extraire des fossiles l’ADN nucléaire, c’est-à-dire provenant du noyau des cellules. Mais il faut pour cela des fossiles en excellent état permettant de le répliquer et trouver ainsi le sexe de l’individu, ce qui fut possible avec un fossile très mystérieux trouvé en Russie dans une grotte de l’Altaï, à Denisova. Un tout petit fragment de doigt sur lequel l’ADN conservé dans le permafrost a pu être prélevé dans des conditions optimales. On a pu ainsi déterminer qu’il s’agissait d’une petite fille de 8 ans aux yeux noirs et aux cheveux bruns. L’ADN nucléaire permet aussi d’envisager l’étude des formes de parenté. Dans un groupe de onze individus néandertaliens (sept hommes et quatre femmes), découverts à El Sidron sur un site espagnol, on s’est aperçu que les sept hommes semblaient être du même groupe alors que les femmes venaient chacune d’une autre population. On en a déduit que ces néandertaliens pratiquaient l’exogamie, ce qui leur conférait une parenté complexe. De même, d’autres expériences ont permis de montrer que probablement, l’hybridation dont on sait qu’elle a eut lieu entre Neandertal et Sapiens n’a pas été possible entre des mâles néandertaliens et des femelles sapiens parce que le sperme n’était pas compatible. Il y aurait donc eu des échanges génétiques via des relations sexuelles entre femmes néandertaliennes et hommes sapiens.

Preuves archéologiques.

Le plus gros des matériels des préhistoriens, sont les outils et objets archéologiques. Souvent de très petite taille et provenant de la période la plus récente du Paléolithique supérieur, il est très difficile de les assigner à un sexe en particulier. Mais parmi les témoignages laissés par la préhistoire, des figures de femmes, nombreuses et variées et bien plus abondantes que les images masculines, confirment leur présence et l'importance de leur rôle.


Sur certaines peintures, on peut même distinguer des vulves. Sur d’autres, ce sont des représentations de la partie basse du corps (grotte de Chauvet). Il existe pléthore de gravures, sculptures, statuettes à l’effigie de femmes. Leur rôle semblait donc important, mais quel était-il ?

Quels rôles pour les femmes préhistoriques ?

Les premiers rôles auxquels on pense sont les rôles en rapport avec la reproduction. Vient ensuite la division sexuée du travail, puis les pouvoirs réels ou symboliques des femmes.

La reproduction.

On dit souvent de cette époque que la femme était vouée à la reproduction. C’est Darwin qui le premier a amorcé une réflexion sur le rapport entre les hommes et les femmes en vue de la reproduction avec notamment un livre en deux volumes publié en 1871, La descendance de l’homme et la sélection sexuelle. Il y montre que cette sélection est présente dans tout le règne animal ainsi que chez l’homme. Elle consiste dans le choix (ou non) d’un individu en vue de la reproduction. D’après Darwin, comme dans la plupart des espèces animales, au départ c’était la femme qui choisissait son partenaire sexuel. Mais avec le temps, les hommes, qui se battaient pour posséder les femmes, sont devenus de plus en plus forts, courageux, inventifs et se sont arrogé le droit de choisir. Ils ont alors sélectionné chez leurs partenaires féminines le charme et la beauté quand les femmes elles, les préféraient pour leur courage et leur force. Darwin prétend que c’est par le fait répété de cette inversion du choix que l’on peut expliquer la domination de l’homme sur la femme. Il s’agit donc d’une domination acquise et non de nature. En ce sens, il pense qu'un renversement de situation est possible, mais au prix d’un long chemin d’éducation des femmes.

La perte des signes visibles de l’œstrus.

Un autre fait intéressant relevé par les anthropologues est une caractéristique tout à fait particulière de la sexualité humaine : la perte de visibilité des périodes d’ovulation qui, du point de vue anthropologique, n’est pas un détail puisque cela a pour conséquence la permanence de la sexualité humaine. Cette perte de visibilité pourrait être due au passage à la bipédie, faisant disparaître les signes de l’œstrus dans le bas du corps. Elle a aussi pu avoir des conséquences importantes sur les structures sociales humaines devenues plus permanentes et stables avec la formation de couples. D’après l’anthropologue français Maurice Godelier, la résultante en est l’apparition des normes universellement répandues qui règlent la parenté dans les sociétés humaines. Car avec une sexualité permanente, il faut établir des règles afin d’empêcher un trop grand déferlement de sexualité et de baliser les relations entre parents. La différence concernant les rythmes et les pratiques sexuelles est notable entre les humains et les grands singes. Ce n’est toutefois pas d’un point de vue biologique que l’on peut comprendre la reproduction car elle est avant tout un phénomène social. Les règles de la parenté imposent des normes, les formes-même de la sexualité également. Le rapport entre les hommes et les femmes n’est donc pas de l’ordre naturel, mais toujours déterminé par l’ordre social.

Autre trait physiologique devenu trait social : l’enfant.

L’enfant humain naît inachevé, longtemps incapable de pourvoir à sa propre survie et subsistance. Sans doute est-ce une autre raison, avec la perte des signes de l’œstrus, pour laquelle les familles persistent et s’étendent, non seulement aux géniteurs mais aussi aux parents proches. Que la maternité ait été importante pour les femmes préhistoriques est incontestable, comme en témoigne la « Vénus de Laussel », un bas-relief sur calcaire représentant une femme enceinte tenant en sa main droite une corne dotée de 13 entailles et dont les ethnologues pensent qu’elle constituait peut-être déjà une forme de calendrier obstétrical.


Vénus de Laussel - Paléolithique supérieur (- 23000 ans)

Les Vénus Grimaldi, très stylisées, sont toutes réalisées sur le même modèle. Le format minuscule des Vénus paléolithiques suggère qu’il a pu s’agir d’amulettes fabriquées par les femmes elles-mêmes, parfois portées en pendentifs et destinées à protéger les grossesses.

La révolution des grand-mères.

Phénomène très intéressant dans l’histoire de la reproduction humaine : le statut des grand-mères. Cette réflexion menée au cours des deux dernières décennies, pointe le fait que dans la préhistoire, les femmes survivent assez longtemps à leur période reproductive. On remarque alors que la longévité des femmes, corrélative de l’allongement de la durée de l’enfance, constitue un avantage reproductif pour l’individu et pour le groupe. La grand-mère contribue à la subsistance de la mère qui allaite et donc de l’enfant, mais elle peut aussi prendre en charge l’alimentation de celui-ci. Ainsi, la longue durée de l’enfance humaine, favorisée par la présence des grand-mères, permet une croissance prolongée du cerveau ainsi qu’une plus longue éducation au contact d’adultes expérimentés. Ce rôle positif des grand-mères est favorisé par leur cohabitation avec leur fille, permettant une proximité et une distribution des rôles plus harmonieuse en matière de soins et d’éducation des enfants.


Vénus de Willendorf


Il est assez fréquent de penser que les représentations féminines préhistoriques avaient une visée sexuelle/érotique, et sans doute était-ce aussi le cas. Toutefois, si l’on observe certaines de ces figurines, sculptures ou encore dessins, leur aspect semble décrire des femmes ayant déjà eu beaucoup d’enfants (poitrine tombante, embonpoint du ventre, des fesses...) et ainsi, en quelques sortes, leur rendre hommage.

La profusion de représentations semblant ponctuer la vie des femmes, depuis l'adolescence jusqu'au troisième âge, semble contredire la plupart des stéréotypes sexistes longtemps véhiculés, tant par les préhistoriens que l'abondante littérature fantasmée par les écrivains et scénaristes. La préhistoire s'est aussi écrite au féminin, tant du point de vue de la présence avérée des femmes, que leurs rôles essentiels à la survie de l'espèce.

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