Les secrets du baiser amoureux

Une pratique pas si anodine qu'il n'y paraît.
Connaissez-vous la philamatologie ? Il y a peu de chances même si sans le savoir vous avez pratiqué plus d’une fois cette discipline à connotation ésotérique. Issu du grec ancien philos (amour), la philamatologie n’est autre que la science du baiser et plus largement des activités labiales. Vous avez certainement embrassé un nombre incalculable de fois, mais savez-vous que lors d’un baiser profond nous échangeons : 9 mg d’eau, 0,7 mg de protéines, 0,18 mg de composants organiques, 0,71 mg de matières grasses, 0,45 mg de chlorure de sodium, entre 10 millions et plusieurs milliards de bactéries, que nous activons 34 muscles faciaux, 112 muscles posturaux et brûlons en moyenne 26 calories par minute ?
Le baiser, élément de culture ou donnée naturelle ?
S’embrasser quoi de plus banal lorsque l’on est amoureux. La plupart du temps c’est l’acte qui signe le départ d’une relation sentimentale. Cette passion pour le baiser sur les lèvres ou à pleine bouche ne serait pas un élément typiquement culturel, mais pour partie le résultat de processus liés à l’évolution. Par le baiser nous aurions transmis, dans les temps anciens, des informations capitales en matière de compatibilité biologique via des signaux chimiques portés par les phéromones. Ainsi le baiser aurait été un moyen d’évaluer, par des mécanismes inconscients, la qualité de la ou du partenaire en vue d’optimiser les chances de procréation et de produire une descendance en pleine santé. Rappelons que c’est par l’intermédiaire de l’organe voméronasal, situé sous la surface intérieure des fosses nasales, que mammifères et reptiles peuvent détecter les phéromones.
Gustav Klimt, le Baiser (1908-1909)
Bien que l’organe voméronasal ne soit plus opérationnel chez nous (on le retrouve à l’état de vestige), plusieurs recherches ont montré la persistance d’une communication d’ordre chimique entre les êtres humains. Pour une étude il a été demandé à plusieurs femmes de sentir le tee-shirt de différents hommes et de déterminer celui pour lequel elles ressentaient une « attirance ». Après analyse des résultats, les chercheurs se sont aperçus que leur choix ne devait rien au hasard, bien au contraire. Inconsciemment la majorité des participantes avaient sélectionné le tee-shirt de l’homme dont le complexe majeur d’histocompatibilité (un assemblage de gènes localisés sur le chromosome 6, rarement identique chez deux individus, impliqué dans le fonctionnement du système immunitaire) était le plus différent du leur, donc le plus à même de renforcer, par complémentarité, les dispositions immunitaires d’une éventuelle descendance. La mise en évidence de ce mécanisme de sélection du partenaire montre que nous serions toujours en prise avec nos instincts de mammifères. Dans cette perspective, on peut conjecturer que le baiser puisse être une autre façon de se sentir, une transformation du reniflement qui permet, au loup par exemple, de reconnaître l’autre, de déterminer son état de santé, de force ou ses périodes de chaleur. À ce titre, le baiser olfactif des lapons pourrait être perçu comme un reliquat de cet us animal.
Neurosciences et biologie du baiser.
Lorsque nous nous embrassons sur la bouche, nos cerveaux s’harmoniseraient, c’est du moins ce que prétendent certains philamatologues. Il en découlerait des conditions favorisant une meilleure compréhension de l’autre et l’apparition d’un état de bien-être. Rien d’étonnant car du point de vue des neurosciences, nous nous formatons dès la naissance pour associer des émotions positives au contact labial. Ainsi, le nourrisson qui cherche avec sa bouche le sein de sa mère sera récompensé par le lait maternel lorsqu’il l’aura trouvé. Est-ce le souvenir de ces moments réconfortants qui entre en jeu lors d’un baiser romantique ? Sans pouvoir l’affirmer, notons que sur le plan biologique, lorsque deux êtres unissent leurs lèvres ils se voient gratifiés d’un agréable cocktail de neurotransmetteurs, dopamine, sérotonine, adrénaline et ocytocine, certainement proche de celui que reçoit le nourrisson au moment de la tétée. Si nous n’avons pas de traces mnésiques des émotions liées à cette dernière, des études ont montré que nous nous souvenons plus précisément de notre premier baiser que de n’importe quelle autre première fois, sexuelle comprise.
Les hommes et les femmes ne semblent pas tirer les mêmes bénéfices du baiser profond. Les hommes stimuleraient via la testostérone contenue dans leur salive, le désir de leur compagne. De plus en réceptionnant les œstrogènes de celle-ci, ils seraient en mesure de détecter son degré de fertilité. Pour les femmes, les questions d’immunocompatibilité et d’attachement seraient en jeu. Concernant ce dernier point, il a été démontré que lors d’un french kiss le niveau d’ocytocine, hormone de l’amour et du lien conjugal, augmenterait chez les hommes.
Une pratique qui n'est pas un invariant de l'espèce humaine.
Si dans les sociétés occidentales, par le contact des lèvres, nous signifions notre engagement romantique, le baiser amoureux ne se pratique pas dans toutes les cultures. En 2015 le journal American Anthropologist a publié une étude qui a passé en revue 168 groupes sociaux et montré que dans la moitié seulement, le baiser avait une résonance sexo-romantique et que pour quelques-uns, il était absolument repoussant, obscène et antihygiénique. Sur la bouche, il n’est donc pas un invariant de l’espèce humaine. William Winwood Reade rapporte une anecdote édifiante dans son livre Savage Africa (1864). Tombé amoureux d’une princesse africaine, il voulut l’embrasser sur la bouche, mais cette dernière ne connaissant pas cette coutume crût qu’il voulait la dévorer. Cependant, même dans les groupes sociaux qui n’encouragent pas le baiser sur les lèvres, existent des pratiques qui s’en rapprochent. Selon Rafael Wlodarski, de l’Université d’Oxford, spécialisé dans l’étude des comportements humains, presque toutes les cultures ont des coutumes de témoignage d’affection basées sur le rapprochement des visages. Chez les esquimaux on se frotte mutuellement le nez, à Bali les amoureux se reniflent le visage et chez les papous, ils se mordillent les sourcils. Pour Wlodarski, l’omniprésence du contact facial romantique suggère qu’il a une fonction dans le processus d’évolution.
Psyché ranimée par le baiser de l’Amour - Antonio CANOVA (1757 - 1822)
D’après la méta-analyse parue dans l’American Anthropologist, les couples dans les sociétés développées s’embrasseraient trois fois plus souvent que dans les sociétés tribales. Sans pouvoir expliquer précisément pourquoi, les chercheurs ont toutefois évoqué plusieurs hypothèses. Tout d’abord ils ont mis en évidence une corrélation entre le degré de prégnance de la pratique du baiser et celui de complexité d’une société. C’est donc dans les groupes sociaux fortement stratifiés, avec de nombreux niveaux hiérarchiques que l’on s’embrasserait le plus. Ensuite, ils ont suggéré que le fait pourrait être imputable à l’émancipation des femmes qui, en gagnant en autonomie sentimentale, se sont autorisées la liberté d’embrasser qui bon leur semble. Reliant l’hypothèse à la théorie qui soutient que le baiser romantique est pour elles crucial dans le choix du partenaire sexuel, ils en ont conclu que la gent féminine avait largement contribué à son essor dans les sociétés occidentales. Dans cette perspective le baiser serait l’expression du pouvoir féminin en termes de sélection du ou des géniteurs. Amy Parish, anthropologiste, n’analyse pas le fait sous le même angle. Pour elle, si les femmes ressentent plus le besoin d’embrasser dans les sociétés complexes, c’est précisément parce qu'elle y sont plus dépendantes du lien de couple que dans les sociétés égalitaires de type tribal, où la solidarité est généralement un socle de l’organisation sociale. Le baiser féminin relèverait alors d’une adaptation comportementale pour stimuler le désir et la loyauté des hommes dans les sociétés hautement stratifiées.
Le french kiss, l'art du baiser à la française ?
Le baiser amoureux associe deux êtres dans un échange de goûts, de texture et d’émotions. Il peut être furtif, lascif, tendre, vorace ou exubérant. Parmi les nombreux styles de baiser, le French Kiss, le bécot gourmand à pleine bouche, est certainement celui qui attise le plus la curiosité des jeunes amoureux. On attribue la paternité de ce « label » à un chercheur Néerlandais, Theodor Van de Veld, spécialement intrigué par un couple de bretons qui passait des heures à mutuellement s’explorer la cavité buccale en y plongeant la langue le plus profondément possible. Alors, la France est-elle le pays inventeur de ce baiser profond ? Rien de moins sûr. Dans le kamasutra sont exposées différentes façons de pratiquer le baiser, dont Le combat de la langue durant lequel l’un des amants peut toucher avec sa langue les dents et le palais de l’autre. Dans la Rome antique, les baisers amoureux, interdits en public car inconvenants au regard de la pudicita, échangés dans l’intimité étaient le basium et surtout le suavium, baiser érotique avec intromission de la langue, l’ancêtre du French Kiss en quelque sorte !
Sur internet se multiplient les articles surprenants sur les bienfaits du baiser. S’embrasser serait bon pour la ligne, permettrait de lutter contre la plaque dentaire, de renforcer l’immunité, de faire baisser la tension artérielle, de muscler le visage, de lutter contre l’apparition des rides et d’agir comme anti-stress. De bien belles vertus qui nous feraient presque oublier qu’il est avant tout le meilleur moyen de se sentir vivant et pleinement amoureux.
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