Difficulté sexuelle chez la femme : de quoi parlons-nous ? Par le Docteur Jacques Waynberg. (7/7)
La collecte d'informations gynécologiques offre une visibilité tronquée des privations d'orgasme parce qu'elle fait fausse route. Ce que la prise en charge doit recenser et améliorer ce sont les capacités s'émouvoir, à s'étonner que l'amour puisse parfois faire autant plaisir...

Préambule.
Éminent pionnier de la sexologie française, le Docteur Jacques Waynberg*, œuvre depuis plus d’un demi-siècle à la promotion d’un système holistique de penser les problématiques sexuelles. Se refusant de faire l’économie de la complexité, il voit dans la prise en compte et l’analyse de l’écosystème du patient l’unique moyen de déterminer les causes exactes de ses souffrances, défaillances personnelles et/ou de ses mésententes émotionnelles. D’une rigoureuse lucidité, son discours ravira toutes celles et ceux qui las des aprioris, préjugés et raccourcis conceptuels cherchent des réponses pertinentes à leur questionnement sur la sexualité et l’érotisme.
Aujourd’hui nous publions la dernière des sept parties d’un texte inédit : « Difficulté sexuelle chez la femme : de quoi parlons-nous ? ». Nous remercions le docteur Jacques Waynberg pour l’honneur qu’il nous fait en nous offrant la primeur de cette publication.
* Sexiatre, psychothérapeute, médecin légiste, criminologue, ancien expert médico-judiciaire, fondateur président de l'Institut de Sexologie et ancien Directeur du Diplôme Universitaire "Sexologie & Santé publique" à l'Université René Descartes - Paris VII.
VI. De l'inconfort coïtal au vaginisme.
L'érotisme féminin peut s'exercer de trois manières, à partir du cerveau, de la peau, et des orifices corporels. Ce n'est que pour des raisons de facilité (de paresse, d'ignorance, d'intimidation…) que ces derniers détiennent la priorité dans les rituels validés dans les sociétés de primates humains. Non seulement en effet, ces trouées sont munies d'un appareil sensoriel haut de gamme, mais, en ce qui concerne la tranchée vulvaire, donnant accès à la matrice, son emploi dominant est tributaire de son utilité dans la procréation. Ce serait aussi sous-estimer, en outre, la convoitise masculine pour ces cavités, qu'il convient d'occuper, même brièvement, pour en jouir… Cette focalisation sur le bas appareil pelvien hypothèque l'ingéniosité érotique des femmes parce qu'elle les confronte à l'adaptabilité tissulaire de leur anatomie à ces manœuvres d'effraction. L'introduction d'un corps étranger dans le ventre est a priori redoutable, même si mille et une raisons assurent le "salaire de la peur" d'être pénétrée.
Malgré sa réputation de loyauté naturelle, le franchissement des orifices féminins ne va pas toujours de soi et ses empêchements représentent un prétexte d'insoumission souvent dénoncé. Une ergonomie sexuelle est donc à concevoir en consultation pour y répondre.
Un motif d'investigation clinique de "santé sexuelle".
Face à l'inflation des motifs de mécontentement, le parcours de soin en pratique de ville va devoir se contenter d'un bilan diagnostique succinct, dont le dénominateur commun est la pénibilité éprouvée lors des "rapports". Nous l'avons déjà décrit, la zone génitale est vulnérable aux pressions, frottements, écartements, qui en dilate les muqueuses de façon parfois irréfléchie. A l'évidence, l'évocation des signes douloureux de ces "érosions libidinales" ne peuvent que déclencher des explorations complémentaires si leur étiologie n'a pas été préalablement établie, ou une demande d'éclaircissement avec les spécialistes qui sont déjà intervenus dans le dossier. Dans les cas bénins, considérés comme asymptomatiques, si l'examen gynécologique est consenti, il permet d'observer le plus souvent un érythème de la région vulvaire, des tensions musculaires du plancher pelvien, parfois des leucorrhées. Il est banal de rappeler que les algies génito-pelviennes ont aussi des causes pathogéniques "hautes" (endométriose, cancers, infections, prolapsus, névralgies, traumatismes, dépression…) diversifiant les suppositions étiologiques et les pronostics. C'est pourquoi le substantif dyspareunie est inapproprié, impropre à définir une symptomatologie bien plus complexe que le "simple" handicap fonctionnel coïtal.
En revanche, le terme de vaginisme indique clairement que le détroit vulvo-vaginal est infranchissable. Néanmoins, une bévue, toujours ressassée, le définit comme une forme aiguë de vulvodynie, d'évitement résolu de toute pénétration, dû à des spasmes involontaires des muscles du plancher pelvien. Certes, l'orifice vaginal est "cadenassé", mais il l'est sous l'action d'une menace phobique, et non pas sous l'effet d'intimidation ou d'immaturité. C'est l'image de soi qui est défectueuse ici, sous l'emprise de la persuasion insensée que le sexe n'est pas "creux" – la fossette vulvaire est comparée au nombril – rendant tout passage définitivement irréaliste, même à contre cœur…
Les douleurs qui escortent le coït sont constamment vécues comme une régression injuste du projet érotique. Leur identification relève, soit d'appréhension inquiétantes, d'effets secondaires d'atteinte de l'état générale, exceptionnellement d'une peur phobique psychogène.
Priorité au désir et à l'autodétermination.
La pression qu'exercent les "accidentées du coït" pour se reconstruire occasionne une prise en charge innovante. Elle se déroule en deux temps : inaugurée par l'évaluation du potentiel motivationnel, suivie le cas échéant d'un parcours de rééducation comportementale.
En effet, il importe de s'entretenir, en priorité, non pas sur le seul déclin des émotions, mais sur la liberté de les vivre en pleine conscience. Après une phase de mise à jour juvénile, la copulation ne peut plus, ne doit plus être "idéalisée", a fortiori lorsqu'elle devient pénible. La singularité de cette "médecine de l'amour", c'est de soulever des enjeux d'ordre moral – analysés plus haut – que va révéler une question-clé, de façon aussi abrupte qu'imprévue :
"ressentez-vous vraiment le besoin d'être pénétrée ?"
Le corps féminin paie un lourd tribut aux représentations phallocratiques erronées qui bernent jusqu'aux savants les plus aguerris : le coït n'encombre pas que la cavité vaginale, il sollicite l'ensemble anatomique pelvien. Au niveau du petit bassin "tout est mouvement" et ses divers viscères sont solidarisés les uns aux autres par un tissu cellulofibreux qui les unit. Vessie et rectum se contractent à l'état physiologique indépendamment de l'axe utéro-vaginal mitoyen, suspendu entre eux deux, dont la distension (coït, grossesse, accouchement) déclenche un "effet domino" de bouffées sensorielles proprioceptives dans tout le petit bassin. Cette interdépendance des organes pelviens est renforcée et soutenue par un diaphragme musculoaponévrotique dont les "détroits" sont sécurisés. Autant dire que leur franchissement ne se limite pas à leur couloir d'entrée mais intéresse tout le contenu abdominal : c'est leur ventre que les femmes assignent à la sexualité. Dès lors, leur réticence, leur véto, leur plaisir, sont concevables à compter d'un seuil nécessaire et suffisant de motivations érogènes.
Que faire ? Les prescriptions anti-douleur doivent avant tout recueillir l'assentiment déterminé d'une candidate qui sait faire l'éloge de son sexe et qui se dit réellement "en manque" d'émotions. En pratique, lubrifier, soigner, discipliner, guider, calmer, corriger, soutenir, cultiver, raffiner, initier... compose l'oracle thérapeutique, en fonction des affinités et des aptitudes de chacun. Cependant, si la joie se partage elle ne se rétablit pas sur commande. La relation d'aide ne peut pas faire l'impasse sur le "facteur couple": la réciprocité des attitudes et des besoin fonde et nourrit une fonction érotique qui devient, finalement, l'ultime sujet de conversation. Mais ceci est une autre histoire.
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