Épidémie de dysfonction érectile

Quand la dysfonction érectile touche une population en pleine force de l'âge.
Quand passé la cinquantaine les hommes se trouvent en proie à des problèmes de dysfonction érectile, les sexologues ne manquent pas de leur expliquer que la nature masculine est ainsi faite et qu'à partir d'un certain âge, de petites pannes n’ont rien d’anormal. Mais lorsque les mêmes problèmes concernent des hommes de moins de quarante ans et à fortiori des moins de trente ans, les mêmes spécialistes restent dubitatifs.
Étude après étude le constat ne fait que se confirmer, de plus en plus d’hommes jeunes consultent pour des raisons d’érection insuffisante voire inexistante. Pour les sexologues, le phénomène est totalement nouveau et interroge la question du désir avec d’autant plus d’insistance que ces mêmes hommes ne connaissent pas ou peu de problèmes dans leur auto-érotisme. Jusqu’en 2002, on estimait qu’une infime fraction (2 à 3%) des trentenaires était touchée, mais les choses ont évolué dans le mauvais sens et aujourd’hui les chiffres sont alarmants, entre 14 et 30% d’entre eux rapportent des épisodes ponctuels ou récurrents de difficultés érectiles.
L'essor de la pornographie et le développement des troubles de l'érection.
Vers la fin des années 2000 le net s’est doté du free-streaming haute définition que les pornographes ont su utiliser pour générer une consommation massive de leurs productions. Parallèlement, apparaissaient les premiers symptômes de ce que l’on peut désormais nommer « épidémie de dysfonction érectile dans la population des hommes jeunes ». Les premiers sexologues qui ont tiré la sonnette d’alarme n’ont pas été entendus, l’industrie de la pornographie, voyant d’un très mauvais œil les mises en accusation, ayant utilisé tous les moyens de les discréditer. Mais aujourd’hui les supputations ne sont plus à l’ordre du jour et les faits parlent d’eux-mêmes. Clare Faulkner, une sexologue londonienne convaincue du lien entre porno et impuissance, note que certains de ses patients ont maintenant à peine 20 ans.
La réalité se révèle froidement dans de nombreux forums dédiés aux dysfonctionnements érectiles induits par le porno, où des centaines de jeunes hommes échangent autour de leur combat contre la consommation de pornographie, de l’engrenage qui les conduit à visionner des vidéos de plus en plus trash et de leurs difficultés à vivre pleinement une relation amoureuse. Pour l’instant il n’est pas possible de démontrer scientifiquement le rapport entre porno et dysfonction érectile. Mais la relation de cause à effet se repère dans la littérature clinique qui s'enrichit mois après mois de témoignages, recueillis sur des forums de discussion, d’hommes faisant état d’un retour à la normale dès qu'ils rompent avec la pornographie. De nombreux posts rapportent un regain d'énergie, de concentration, de motivation, d'amour propre, de joie de vivre et de performance sexuelle suite au sevrage.
Aux U.S.A, Alexander Rhodes, un jeune homme porno-dépendant, a créé en 2011 le site « NoFap », sur lequel se retrouve aujourd’hui une communauté qui marque une défiance vis-à-vis du porno et de la masturbation. Alexander Rhodes, 29 ans, est tombé dans le porno à tout juste 11 ans. Huit ans plus tard, il lui était impossible de maintenir une érection sans pornographie. La majorité des études sur le sujet pointe qu’une large moitié des garçons commencent à combiner porno et masturbation aux alentours de 13 ans. Alexander Rhodes fait partie de cette première génération, sexuellement éduquée via le porno diffusé par le net très haut débit, qui associe naturellement masturbation et vidéos de sexe, phénomène que l’on doit mettre sur le compte d’une expérience de la toile où la rencontre avec la pornographie est presque obligatoire. Il est en effet difficile d’y échapper car les pornographes ont su tirer le meilleur parti des nouveaux outils de diffusion, à l’instar des porn-stars qui ne manquent pas de racoler, au moyen de leur compte Instagram, la clientèle masculine sans distinction de classe d’âge.
La question n’est plus de savoir si le porno induit des dysfonctions érectiles, mais d’en comprendre les raisons.
Au regard des statistiques et témoignages, on peut avancer l’hypothèse que l'association pornographie-masturbation façonne la fantasmatique d’une façon inappropriée à la pérennité du désir. Nous savons que l’exposition répétée à des images sexuelles, émotionnellement puissantes, teintées de violence, affecte le système de récompense en le conditionnant à ne répondre qu’à ce type de stimuli particuliers. De plus, la teneur excessivement brutale des contenus pornos actuels induit un processus de déshumanisation des actrices, processus sans lequel - à moins d’être d’une nature cliniquement perverse - il est impossible de produire une érection et encore moins un orgasme. Dans le cadre de la relation amoureuse, l’individu qui aura établi un lien entre violence, brutalité et jouissance, sera en butte à un désir paradoxal. À moins de déshumaniser celle qu’il aime, au risque de détruire la relation, il ne sera pas en mesure de reproduire les schémas d’excitation qu’il a intégrés au fil de ses masturbations pornographiques. Il aimerait offrir à sa partenaire une belle érection, mais dans une situation amoureuse empreinte de respect et de romantisme, son cerveau ne trouve pas les déclencheurs nécessaires à la réalisation de celle-ci. Remarquons que très souvent, le même individu ne rencontrera pas ce genre de problèmes avec une partenaire pour laquelle il n’a pas de sentiments, prostituée, ou "coup d'un soir".
Par ailleurs, les pornographes ne cessent de promouvoir le culte de la performance coïtale. Les hardeurs présentent des attributs extrêmement généreux, souvent résultat d’une pénoplastie d’allongement et/ou d’élargissement. On comprend qu'au regard de ces références, le jeune homme puisse développer une anxiété de la performance absolument contre-productive pour la survenue et le maintien d’une bonne érection.
Autres facteurs susceptibles d’expliquer les difficultés érectiles des jeunes hommes porno-dépendants : la construction de la fantasmatique et l’étayage du désir. Sauf à avaler une petite pilule bleue, sans désir point de salut pour l’érection. Le désir est capricieux et fragile à la fois. Il aime la nouveauté et se lasse de la routine. La fantasmatique a donc pour fonction de le motiver en lui soumettant des scénarios novateurs. Lorsqu’elle se construit « normalement », via des masturbations en lien avec l’imaginaire propre de chaque individu, la fantasmatique présente des potentialités de développement, donc de longévité. Mais, quand elle s’édifie sur des bases exclusivement exogènes, hors du champ émotionnel personnel, comme nous le constatons pour les adolescents d’aujourd’hui, il semblerait qu’elle perde au fil du temps le pouvoir d’inspirer le désir, l’excitation et par voie de conséquence, l’érection.
Si parmi les différentes hypothèses il est encore difficile de déterminer laquelle est la plus prégnante, il est sûr qu’un usage immodéré de pornographie modifie les processus d’excitation sexuelle. Au-delà des dysfonctions érectiles, on constate que les millénials, nés dans les années 1980-1990, ont une activité sexuelle moins florissante que leurs aînés et les sexologues pensent que pour 80%, leurs problèmes sexuels sont hérités du porno. Il est donc temps de penser éducation sexuelle et érotique pour que les jeunes hommes puissent s’émanciper de la culture porno et reprendre le contrôle de leur sexualité.
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