Hirschfeld ou la sexologie politique.

Un précurseur de la cause LGBT.
Magnus Hirschfeld est né le 14 mai 1868 dans la ville allemande de Kolberg et décédé le 14 mai 1935 à Nice. De confession juive, fils de médecin, il embrasse la profession paternelle en 1894. Certainement taraudé par son orientation sexuelle, il semble avoir très tôt porté grand intérêt aux problèmes sociaux rencontrés par les minorités sexuelles. Hirschfeld est considéré comme un précurseur en matière de défense des droits des homosexuels et de la communauté LGBT.
Le déclencheur.
En 1895, sur fond d’hostilité sociale et pénale à l’égard des comportements homosexuels, les Londoniens se passionnent pour le procès opposant l'iconoclaste Oscar Wilde et le bouillant marquis de Queensberry. Le 25 mai, Wilde est condamné à la peine maximale : deux ans dans la prison de Reading sous le régime du « hard labour », un processus méthodique de destruction physique et psychique des prisonniers. Cet évènement au retentissement international marquera profondément Hirschfeld et le poussera à militer pour une acception sociale de l’homosexualité.
Premiers écrits.
En 1896, il publie sous pseudonyme son premier texte sur la sexualité, Sappho et Socrates, ou comment s’explique l’amour d’hommes et de femmes pour des personnes du même sexe. Il y prétend que l’homosexualité découle d’une constitution sexuelle congénitale immuable liée à des sécrétions glandulaires. Sa position n’est pas uniquement légitimée par un intérêt scientifique, elle veut aussi servir de point d’appui à un raisonnement qui tend à sortir l’homosexualité du champ de la répression pénale. En effet le paragraphe 175 du Code pénal allemand criminalise les actes sexuels considérés contre nature, en clair l’homosexualité et la zoophilie. En donnant à l’homosexualité un caractère inné, il entend démolir les théories qui définissent les relations homosexuelles comme des perversions et justifient qu’elles puissent donner lieu à des peines de prison. Sans le savoir, Hirschfeld a anticipé les travaux de Dean Hamer et des généticiens persuadés que trouver le gène de l’homosexualité permettra de la soustraire aux suspicions de perversion ou de maladie à soigner. Par ailleurs, l’engagement d’Hirschfeld donnera à la sexologie une dimension politique, aspect fondamental de la discipline dont peu de sexologues se souviennent.
Un sexologue avant-gardiste.
En 1897 il crée et prend la direction du Comité Scientifique et Humanitaire avec l’idée de faire pression sur le Reichstag pour la suppression du paragraphe 175 du code pénal allemand. En 1919 il fonde l’Institut de Sexologie, un centre de recherche, d’information, de conseil, de thérapie ainsi que de défense du droit des individus à vivre librement leur sexualité et à contrôler leur reproduction.
Hirschfeld à l'Institut de Sexologie
Fâcheusement ciblé comme un sexologue conformiste, Hirschfeld tenta d’imposer l’idée d’une bisexualité originelle de l’homme et inventa le concept de "types sexuels intermédiaires" pour définir le vaste ensemble des homosexuels, des travestis, des androgynes et des hermaphrodites. L’homosexualité, le travestisme, l'androgynie, l'hermaphrodisme seraient intermédiaires respectivement au regard de l'instinct sexuel, des codes moraux, des caractères physiques secondaires et des organes sexuels. Convaincu que l’existence même du "stade intermédiaire" montrait que l’humanité n’était pas sexuellement duelle, il imaginait une infinité de nuances entre le masculin et le féminin. Cette approche de la sexualité humaine pas totalement novatrice s’inspirait ostensiblement de la vision de Darwin qui en 1883 écrivait dans Les variations des plantes et des animaux dans l’état de domestication : "Nous constatons que dans beaucoup de cas, probablement dans tous les cas, les caractères secondaires de chaque sexe se trouvent, à l’état latent, dans le sexe opposé, prêts à se développer dans des conditions particulières."
S’il collabora un temps avec les psychanalystes, il ne pouvait pas se ranger aux positions freudiennes qui ne voyaient dans l’homosexualité que l’expression d’une névrose ayant fixé la sexualité à un stade infantile.
En tant que naturaliste, Hirschfeld fondait ses théories sur l’observation. Il n’hésitait pas à fréquenter les lieux de la sub-culture homosexuelle et on estime qu’il archiva des données précises sur la vie sexuelle de quelques 30.000 individus. Ses enquêtes, fondées sur une observation directe, débouchèrent sur la publication d’une monographie intitulée L’homosexualité des hommes et des femmes (1914).
Les cas emblématiques de la réattribution sexuelle.
Les travaux d’Hirschfeld sur la nature humaine ne furent pas seulement théoriques. En 1912 il participa à la réalisation d’une mastectomie et d’une hystérectomie (ablation de l’utérus). Précurseur en matière de transsexuation il permit à Dora « Dörchen » Richter, née Rudolph Richter, employée comme domestique à l’Institut de Sexologie, d’être la première personne à expérimenter la chirurgie de réassignation sexuelle, orchidectomie (ablation des testicules), pénectomie et vaginoplastie.
Lili Elbe
Si Dörchen fut certainement la première personne à transitionner, l’artiste Danois Einar Magnus Andreas Wegener restera dans l’histoire de la réassignation sexuelle, celle qui portera la cause des transsexuels sur le devant de la scène médiatique. De 1930 à 1931, Einar subira cinq interventions supervisées par Hirschfeld. Ablation des testicules, puis du pénis, transplantation d’ovaires, vaginoplastie et enfin greffe d’utérus. Devenue Lili Elbe en 1930, elle décèdera le 13 septembre 1931 suite à un arrêt cardiaque causé par une infection consécutive au rejet de sa greffe utérine.
Sexologue et militant pour les droits homosexuels.
Si Richard Freiherr von Krafft-Ebing, qui publia en 1886, Psychopatia sexualis, une des premières monographies de la sexualité, peut être considéré comme un proto-sexologue, et Havelock Ellis, suite à la publication de Sexual Inversion en 1897, comme l’un des fondateurs de la sexologie, Magnus Hirschfeld restera celui qui aura initié les études sur l’homosexualité et la transsexualité les plus pertinentes. Au travers du pamphlet Sappho et Socrates (1896), s’inspirant de l’histoire d’un de ses patients homosexuels qui, ne pouvant supporter de vivre une double vie, s’était donné la mort, il exprimera sa vision de l’homosexualité, arguant qu’elle n’est qu’une variation naturelle de la sexualité humaine. N’hésitant pas à s’exposer, il apparaîtra dans un film muet de 1919, Différent from others, promouvant ouvertement une image positive de l’homosexualité et montrant combien il est difficile de vivre clandestinement sa sexualité. "L’amour pour une personne du même sexe est aussi pur et noble que celui donné à une personne du sexe opposé… Seule l’ignorance ou la bigoterie condamne ceux qui se sentent différents… En tant qu’homosexuel, on peut contribuer pleinement à (l’histoire de) l’humanité." Affectueusement surnommé "Tante Magnesia" dans le milieu gay, il se battra sa vie durant pour que les personnes ne se reconnaissant pas dans la définition duelle de la sexualité, puissent vivre aussi dignement que tout un chacun.
Die Transvestiten 1910
En 1910 paraît Die Transvestiten, un ouvrage écrit avec la collaboration de Max Tilke (ethnographe et illustrateur), dans lequel Hirschfeld théorise la distinction entre le désir sexuel et l’expression de genre. Il y introduit le terme "transvestisme", une innovation lexicale qui à terme, permettra la constitution de la communauté trans, le développement d’une conscience sociale trans et une approche plus scientifique, moins stigmatisante des différences de genre. Dans un article paru en 1923, Hirschfeld utilisera pour la première fois le terme "transsexuel", qui ne se vulgarisera qu’à partir des années 50 suite aux travaux d’Harry Benjamin, psychiatre et sexologue, qui définira le syndrome de transsexualisme. Havelock Ellis avait en 1903 proposé le vocable d'éonisme, en référence au chevalier d’Eon de Beaumont, puis en 1913 celui d’inversion sexo-esthétique, mais aucun des deux ne réussira à s’imposer.
Hirschfeld et la montée du nazisme.
Le début des années 30 sonne le glas des ambitions d’Hirschfeld, décrit par Hitler comme "le juif le plus dangereux d'Allemagne", et de son institut de Sexologie. Son activisme en faveur des droits homosexuels, symbolisé par la création en 1928 de La ligue mondiale pour la réforme sexuelle, visant à faire progresser les droits des minorités sexuelles par la réflexion scientifique, lui attire les foudres homophobes de l’extrême droite. Le 6 mai 1933, précédant de quelques jours le grand autodafé, des étudiants et des membres des jeunesses hitlériennes entreprennent le saccage de l’Institut de Sexologie. Hirschfeld n’est plus en Allemagne. Au cours de l’année 1931 il a entrepris de donner des conférences aux U.S.A et à son retour en Europe en 1932, sur les conseils d’amis avisés par la situation en Allemagne, il décide ne pas rentrer au pays. Bien lui en prend car l’arrivée au pouvoir du NSDAP s’accompagnera de l’arrestation de 100 000 homos et transsexuels, dont 15 000 finiront dans les camps de concentration.
Pour la qualité et la pertinence de ses réflexions sur la matière humaine, Hirschfeld reçut le surnom d’Einstein du sexe. Avant-gardiste de la sexologie, son travail centré sur la compréhension de l’homosexualité et de la transsexualité en tant que troisième genre à part entière est aujourd’hui encensé par les penseurs de la cause LGBT. La maîtrise des injections hormonales et opérations chirurgicales dans le cadre des transformations corporelles doivent beaucoup à Hirschfeld.
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