Sphère fonctionnelle

Le culte du phallus, une approche mystique de l'érection

Le culte du phallus, une approche mystique de l'érection

Au sens moderne, le phallus est confondu avec la verge en érection. Or l'un et l'autre ont des fonctions bien différentes : hautement symbolique pour le premier et typiquement organique pour la seconde. On s'interroge alors sur l'obsession des homosapiens à vouloir séparer l'organe de son symbole.

Le culte du phallus, une approche mystique de l'érection

La symbolique oubliée du phallus.

Depuis quelques jours, les réseaux sociaux se font l'écho d'une rumeur qui associe port du masque anti-covid et priapisme. Sans doute motivés par la perspective d’une performance coïtale, quelques commentaires enthousiastes nous ont amené à la conclusion que leurs auteurs avaient une vision étrangement idyllique du phénomène. Car contrairement à ce qu’ils peuvent imaginer, le priapisme est tout sauf une partie de plaisir. 

Dans l’imaginaire collectif Priape et son pénis en perpétuelle érection marquent l’expression de l’insatiabilité sexuelle, d’une sexualité lubrique et débridée. Mais le pénis de Priape porte un symbole qui n’a rien d’érotique et derrière l’évidence se cache la question du phallus, une métaphore de l’indispensable fertilité qui cautionne la survie des groupements humains. 

La préhistoire du phallus.

La première représentation connue d’un homme ithyphallique, c’est-à-dire en érection, remonte à la fin du paléolithique (- 18.000 ans environ). C’est au cœur de la grotte de Lascaux, dans la partie nommée « Puits de l’homme mort », qu'a été découverte dans les années 40, une peinture rupestre aussi exceptionnelle qu'énigmatique. La scène est centrée sur un homme à tête d’oiseau qui rappelle étrangement le dieu Horus. En position horizontale, bras écartés comme des ailes, il semble en lévitation. Il est accompagné d’un bison, d’un rhinocéros, d’un oiseau posé sur le haut d’un bâton, d’une lance et de son propulseur. Son corps phallique, indemne de blessures, exhibant un sexe dressé vers les cieux, intrigue. Ne serait-on pas en présence d'une des premières tentatives de sapiens de donner à l'organe en érection une valeur symbolique ?


Scène du puits de l'homme mort

D’autres figurations masculines ithyphalliques, datant du magdalénien, ont été découvertes à Laussel (Aquitaine), Foz-Côa (Portugal) et Altamira (Espagne). Si elles font toutes échos à la scène de l’homme mort, celle de la grotte d’Altamira est plus troublante, car il s’agit, comme pour Lascaux, de la représentation d’un personnage ithyphallique à tête d’oiseau. 


Être anthropomorphe ithyphallique à tête d'oiseau. Grotte d'Altamira.
 

C’est en Égypte que l’on trouve les premières traces incontestables de la volonté d’imager, par le phallus, la fertilité humaine et agraire. 

Dans le panthéon des dieux égyptiens, Osiris tient une place à part. Fondateur du culte agraire, on lui doit les crues du Nil, donc la survie alimentaire du peuple d’Égypte. Il est parfois représenté le sexe en érection, à l’instar de son homologue Min, divinité ithyphallique de la fertilité et de la reproduction.  


Osiris ithyphallique.

Osiris : phallus et spiritualité.

Selon la version de Plutarque, Seth, aussi violent que jaloux, déteste l’amour que les égyptiens portent à son frère, le roi Osiris. Il n’a qu’une obsession : s’en débarrasser. À dessein il fait construire un magnifique sarcophage en bois précieux à l’exacte mesure d’Osiris. Au cours d’un banquet, il déclare vouloir l’offrir à celui qui en s’y couchant parviendra à le remplir parfaitement. Quand, à son tour, le roi s’y étend, Seth aidé de soixante-douze complices scelle le coffre avec des clous et du plomb fondu puis jette le tout dans le Nil. Informée du forfait, Isis, sœur et épouse d’Osiris, ne peut se résoudre à l’abandon de son défunt mari. Aidée par sa sœur Nephtys, elle finit après un long périple par retrouver le sarcophage d’Osiris en Phénicie à Byblos (Liban actuel). Le corps est ramené en Égypte et, par crainte de la réaction de Seth, déposé dans un endroit tenu secret. Quand Seth apprend la nouvelle du retour du roi en terre d’Égypte, il enrage et se fixe l’objectif suprême de le faire disparaître définitivement. Son plan : récupérer le défunt, le découper en quatorze morceaux qu’il éparpillera aux quatre coins du pays. Une fois le projet diabolique mené à son terme, Seth pense l’affaire définitivement réglée. Mais Isis est aussi entêtée que lui. Sillonnant le pays sans relâche, elle récupère une à une toutes les parties d’Osiris… à l’exception de son sexe. Pour pallier l’absence du membre viril elle en fait réaliser un artéfact en érection, un phallus divin dont les répliques deviendront objets de culte et d’adoration dans tous les temples d’Égypte. Cette vénération phallique n’a rien d’obscène, car la fonction de ce phallus, détaché de son porteur, est de symboliser les fertilités humaine et agraire indispensables à la survie du groupe et non de glorifier l’aspect fonctionnel, coïtal et érotique du pénis.


Dieu Min.
 

Le phallus égyptien est une représentation symbolique qui ne sert pas à vanter les mérites de la verge en érection, mais d’appeler l’attention du peuple sur ce que peut représenter symboliquement un dieu porteur de la fertilité du couple et de la terre. En concentrant l’attention des fidèles sur le symbole, est mise en avant une représentation de la verge qui, disqualifiée de ses attributions purement lubriques, atteint des zones de représentations religieuse et spirituelle. Dénaturalisée, elle n’est plus un organe, mais un totem, un objet de culte qui prend ses distances par rapport à ses fonctions physiologiques pour se commuer en symbole de la fertilité, de la survie alimentaire et de la vie en générale.

Grecs et romains : le culte festif du phallus.

Le culte phallique trouvera une continuité plus prosaïque chez les grecs puis chez les romains. Les premiers inventeront Pan, gardien des bergers, des troupeaux et symbole de fécondité. Cette divinité, exclusivement ithyphallique à l’instar de Min, est généralement représentée comme une créature chimérique, mi-homme mi-bouc. À ses côtés apparaîtra Dionysos, dieu de la vigne, du vin, de l’exaltation, des excès orgiaques, ainsi que les fêtes dionysiaques et les phallophories. 


Dieu Pan.

Lors de ces réjouissances on exhibe un énorme phallus en l’honneur de Dionysos. Rappelons que Dionysos a connu un sort semblable à celui d’Osiris. Mis en pièces par les Titans et dévoré, ne subsistera que son « cœur ». Selon Kerényi, historien des religions, ce "cœur" doit être appréhendé comme une métaphore de sa partie la plus importante, le phallus, véritable symbole de la vie indestructible. Les satyres qui forment le « cortège dionysiaque » et que l’on associe volontiers au dieu Pan, par leur ressemblance corporelle et phallique, accompagnent les processions. Contrairement à ce que l’on imagine, l’esprit qui animent les fêtes dionysiaques, n’est pas tant la débauche et le plaisir sexuel que l’intention de créer des conditions favorables aux rencontres, à la sexualité et donc aux naissances. 


Phallus géant à la gloire de Dionysos.

Depuis la préhistoire, sapiens semble avoir compris, au regard de la forte mortalité de son espèce et de sa fragilité, toute l’importance qu’il devait accorder à la procréation, aussi bien dans ses dimensions sociale et qualitative par l’instauration des tabous et des règles morales, que dans sa dimension quantitative. Les différentes symbolisations du phallus marquent une continuité dans la pensée humaine qui lie le pénis en érection à une perspective supra-génitale. Ce lien ancestral et primitif qui unit les sapiens depuis le paléolithique s’exprimera à nouveau chez les Romains. Bacchus remplacera Dionysos, les bacchanales les dionysies et autres phallophories. Leur porteur de phallus de référence sera la divinité Priape, fils de Dionysos et Aphrodite, protecteur des jardins et des troupeaux et symbole de fertilité. Avec Priape la symbolique phallique devient emphatique. Son membre est tellement démesuré que dans certaines représentation il est soutenu par des fils. 


Priape.

Le phallus dans la modernité, la perte du sens.

Le phallus en tant que symbole disparaîtra avec la fin de l’empire romain et l’avènement de l’Église catholique pour ne réapparaitre qu’à l’époque contemporaine avec la psychanalyse. Reprenant l’idée qu’il y a d’un côté les organes sexuels et de l'autre leur représentation inconsciente, elle fera renaître le concept de phallus dans une dimension supra-sexuelle et « asexuée » (raison pour laquelle les femmes seront visées par le complexe de castration). Si les psychanalystes ont modernisé le concept de phallus, il n’en demeure pas moins que la culture phallique semble enracinée dans l’inconscient des hommes et des femmes. Au cimetière du Père-Lachaise se trouve la sépulture de Victor Noir, un jeune journaliste républicain, tué par un parent de Napoléon III, devenu martyr et héros de la République. Sur sa tombe est posé son gisant en bronze qui laisse ostensiblement apparaître sa virilité. 

En 2010, Marina Emelyanova-Griva fait paraître dans les « Archives des sciences sociales des religions » un article passionnant intitulé « La tombe de Victor Noir au cimetière du Père-Lachaise ». Elle y explique notamment que le monument qui a fait l’objet d’un culte politique à son origine, a connu à partir des années 1960 une transformation fonctionnelle pour devenir un symbole de fécondité. La légende qui se développe alors veut qu’en se frottant sur le gisant, surtout à l’endroit de son sexe, on retrouve la fécondité ou la virilité. Il se dit que  « pour avoir des enfants il faut toucher le sexe de la statue, s’allonger sur elle ; pour faire revenir la personne que l’on aime, il faut embrasser les lèvres, le menton, le nez de Victor Noir ou mettre un doigt sur son cœur. Il existe même un rapport entre l’attouchement de ses pieds et le nombre d’enfants désirés. Certaines personnes, après quelques attouchements, se mettent devant le gisant, du côté des pieds, et restent ainsi un certain temps comme plongées dans la méditation… Certains, avant de s’en aller, bénissent la statue d’un signe de croix. » D’après les guides, nombre de préservatifs sont retrouvés au pied de la tombe suggérant que des couples font l’amour directement sur le gisant. « Sur la tombe, on trouve toujours des fleurs qui prouvent, en quelque sorte, l’existence du culte. Les gens les apportent, soit pour remercier Victor Noir de les avoir exaucés ou d’avoir comblé leurs désirs, soit pour l’amadouer. En réalité, ils le font à titre d’offrande. » 


Victor Lenoir. Cimetière du Père-Lachaise.

Cette résurgence de la culture phallique met en exergue l’intensité de la charge symbolique qu’a porté le phallus au cours des millénaires. Comme un clin d’œil à l’histoire, les fleurs déposées en offrande rappellent que les égyptiennes procédaient de la sorte avec le phallus d’Osiris il y plus de 2500 ans ! Toutefois, le culte « religieux » du phallus reste au 21ème siècle très anecdotique et il n’est plus question de lui reconnaître une fonction symbolique indispensable à la survie du groupe. De fait, la verge en érection n’a plus de valeur humaniste, sa représentation s’est appauvrie pour se concentrer sur le fonctionnel, le technique et la performance coïtale. Aujourd’hui il est certain que la vision d’un imposant membre en érection renvoie plus spontanément à l’acte sexuel en version porno qu’à la fertilité de la terre et des humains. 

Si l’érection perpétuelle du pénis a donné naissance à la symbolique phallique, pragmatiquement, cet état de la verge relève d’une pathologie nommée priapisme auquel il faut répondre médicalement et souvent dans l’urgence. Nous y reviendrons en détail dans la deuxième partie de cet article. 

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