Relations amoureuses, jalousie et vulnérabilité.
L'expression de la jalousie amoureuse, est souvent perçue comme une marque de faiblesse, elle peut être contenue, voire durement réprimée et ce faisant, peut nuire à l'équilibre du couple. Cependant, dans des proportions rationnelles, la jalousie reste un sentiment humain normal, susceptible d'ouvrir de nouvelles perspectives de communication et de partages aux effets parfois inattendus. Dans cet article, Tiphaine Besnard-Santini aborde la question de la jalousie comme révélateur d'une vulnérabilité qu'il nous faut accueillir afin d'en examiner les causes profondes.

Relations amoureuses, jalousie et vulnérabilité.
Un article signé Tiphaine Besnard-Santini, Docteure en sociologie et sexologue partenaire d'Osphères.
La jalousie de la sexothérapeute Sofia Sundari.
Je ressentais tellement de jalousie que je devenais blanche et je cessais de respirer.
Je pensais que j’étais la femme la plus jalouse de la planète. J’aurais tout fait pour le cacher. Je pensais que si j’avais montré cette jalousie à un gars, il m’aurait larguée.
Je pensais que cela me rendait vraiment peu attirante.
Je me souviens du moment où ma nature jalouse a été révélée pour la première fois … Je dînais avec mon ex dans un café lorsqu’une fille magnifique est apparue. Elle s’est approchée de nous et a commencé à parler à mon homme. Ils flirtaient. Il tenait sa main … Et j’étais là, gelée, incapable de respirer, essayant de comprendre comment je pouvais disparaître dans la Terre avec la chaise sur laquelle j’étais assise, partir, être avalée, m’éteindre … Pourtant J’essayais de sourire et de garder mon calme.
Puis elle est partie. Mon ex étant assez fin psychologue … m’a regardée et m’a dit : « Hé qu’est-ce qui ne va pas, où es-tu partie ? » J’ai répondu : « hein, quoi, moi ? non tout va bien ».
Mais il ne m’a pas lâchée. Il a continué jusqu’à ce que je fonde en larmes et lui avoue tous mes «péchés» vertigineux et honteux.
J’avais l’impression de mourir … Révéler TOUT ça …
Puis comme il était tard, il est parti.
Et je pensais: « Ça y est. Je ne le verrai plus ».
Mais ce qui s’est passé était totalement imprévu. Je n’aurais pas pu l’imaginer dans mes rêves les plus fous : le mec est tombé follement amoureux de moi, juste après cet épisode !
Quoi ? Je lui ai révélé mon obscurité la plus sombre et au lieu de fuir il tombe amoureux ?
J’ai compris qu’un élément clé était la vulnérabilité.
En révélant quelque chose que j’avais gardé secret pendant de nombreuses années, je me suis exposée à lui, je me suis révélée et il a été touché par ma vulnérabilité.
Voici ce que raconte la sexothérapeute américaine, spécialiste du tantra, Sofia Sundari. Son récit montre que la jalousie, comme n’importe quelle émotion, crée des connexions émotionnelles plus intenses lorsqu’elle est révélée. Si exposer nos émotions et les partager ouvertement nous rend vulnérable, cela nous rend également très beau/belle, très touchant/touchante, très humain/humaine.
Les mythes de l’amour romantique et ses problèmes à long terme dans les relations de couple.
Le mythe de l’amour romantique dans notre culture occidentale, bien qu’assez récent, est associé à l’idée de l’épanouissement et du bonheur individuel. Sans « l’autre », nous serions incomplet/e. En couple, nous serions heureux/ses, uni/es et épanoui/es pour la vie.
Cette conception amène plusieurs désillusions : tout d’abord, nous sommes très démuni/es et surpris/es lorsque disparaissent la connexion physique et émotionnelle, ainsi que l’intensité de la passion des premiers temps. Du coup, n’étant pas prévenu/e ni outillé/e pour faire face à l’évolution de la relation, nous pensons souvent que quelque chose cloche, que « ça n’est pas la bonne personne » et nous préférons nous séparer pour partir en quête de notre vraie « moitié ».
L’un des principaux problèmes associé au mythe de l’amour romantique vient du fait que, si nous devons trouver « notre moitié » pour atteindre l’épanouissement individuel, c’est que nous sommes incomplet/e par nous-même. Nous sommes hanté/e par l’idée d’être une mauvaise personne. Ainsi, lorsqu’au début d’une relation amoureuse l’autre « nous » ne voit, et ne nous renvoie, que les aspects positifs de notre personnalité, cela nous confirme que nous sommes une meilleure personne, et nous nous entons plus épanoui/e lorsque nous sommes en couple.
Malheureusement… les problèmes finissent par arriver lorsque nous ne pouvons plus cacher nos défauts, que les aspects de notre personnalité que nous jugeons « mauvais » deviennent inévitablement visibles. Il est extrêmement difficile et douloureux de reconnaître que nous avons pu faire des erreurs ou être malveillant/e – et bien plus facile d'en rejeter la faute sur l'autre, créant ainsi des conflits.
Le couple : un lieu pour travailler sur soi ?
Au lieu de voir les relations amoureuses comme un lieu où l’on donne – uniquement - le meilleur de soi-même, on pourrait voir au contraire que ces relations sont un excellent exercice pour apprendre sur soi et ses zones de vulnérabilités, dépasser la honte qui y est associée, abandonner la volonté illusoire de définir et restreindre sa personnalité et découvrir de nouvelles façons de relationner. Mais, je le reconnais, cela demande beaucoup de courage, du temps et du travail. Cela demande de se confronter aux parts de soi-même avec lesquelles nous sommes très peu à l’aise, de risquer de se dévoiler aux autres et d’apprendre de nouvelles façons de réagir aux conflits et à la souffrance dans les relations. L’approche de pleine conscience peut nous permettre d’arrêter de nous voir comme définitivement figés, d’attendre des autres qu'ils le soient également et d’accepter notre nature protéiforme en perpétuel changement. En faisant cela, nous pourrons arrêter d’attendre que les autres valident notre (bon) aspect et nous aurons moins peur d’être vu/e sous des angles moins flatteurs car la façon dont les autres nous perçoivent ne nous définira plus.
Chose importante, en acceptant cela pour nous-mêmes, nous serons à même de l’accepter pour autrui. Nous pourrons ainsi arrêter d’attendre que notre partenaire ou nos ami/es agissent toujours de la même façon et restent exactement comme lorsque nous les avons rencontré/es et aimé/es pour la première fois. Nous cesserons également de les voir comme entièrement bon/nes lorsque tout va bien et entièrement mauvais/es dans le cas contraire.
La jalousie offre une excellente opportunité de travailler sur notre insécurité et d’améliorer nos relations amoureuses. Essayez de de vous souvenir d'une situation durant laquelle vous avez été particulièrement jaloux/se et de savoir sur quoi vous étiez concentré/e.
Généralement, nous sommes entièrement absorbé/e par nos projections, nos peurs et nos fantasmes. Au lieu de nous concentrer sur nous-même, sur les raisons de notre inconfort, voire de notre état de panique, nous imaginons ce que pense ou ressent l’autre, nous sommes persuadé/e qu’il/elle trouve l’autre personne mieux, plus mince, plus sexy, plus fort/e que nous, qu’il/elle va nous quitter ou finir par se lasser. Et plus nous pensons de telles choses, plus nous nous dénigrons, et plus nous nous sentons mal. En vous concentrant sur vous, sur votre ressenti, vous pourriez finir par identifier ce qui vous menace particulièrement dans le fait que l’autre soit attiré/e par une autre personne. Être jaloux/se ne signifie pas la même chose pour tout le monde. À quoi cela vous renvoie-t-il ? Pourquoi est-ce si inquiétant ? Que pourrait-il se passer s'il/elle s’intéressait vraiment à quelqu’un d’autre ?
La jalousie masque souvent votre principal conflit interne, qui est encore plus difficile à reconnaître qu'une simple colère, rendue légitime par notre culture de l'amour romantique. En comprenant ce qui motive votre jalousie, vous accepterez d’être vulnérable mais aussi, vous vous autoriserez à l’exprimer. Dans bien des cas, ce sera par la suite beaucoup moins douloureux pour vous et surtout, votre partenaire pourra réagir en fonction de ce qui vous rend insécure plutôt que se mettre en colère et, ce faisant, accentuer votre mal-être.
Se réapproprier la jalousie.
Au lieu de penser que la jalousie est une émotion dont vous devez avoir honte, vous pouvez la partager et vous serez surpris/es de constater que ce qui vous rend jaloux/se … vous excite également ! En effet, lorsque vous n’êtes pas menacé/e par le fait que votre amoureux/se soit attiré/e ou occupé/e par quelqu’un d’autre, vous pouvez trouver ça très excitant qu’il/elle soit autonome, libre et séduisant/e. La jalousie est bien souvent de l’envie : souhaitez-vous réellement empêcher votre partenaire de faire des choses avec quelqu’un d’autre que vous, ou aimeriez-vous simplement qu’il/elle les fasse aussi avec vous ? Pourquoi ne pas simplement le lui demander ?
Mais en attendant, voici un conseil lorsque vous vous sentez devenir jaloux/se et insécure. Au lieu de vous renfermer, de vous dénigrer et d’en vouloir à votre partenaire, essayez plutôt d’être ouvert/e et de vous intéresser – voire de vous identifier- à ce qui attire votre partenaire chez cette autre personne. Vous pouvez partager des fantasmes et donner à votre partenaire de l’espace pour partager son fantasme. Permettez-vous de profiter du plaisir de votre partenaire et même d’être excité/e vous aussi. Ainsi, vous ne vous sentirez plus exclu/e de et dénigré/e et votre partenaire ne se sentira plus frustré/e, contrôlé/e ou brimé/e.
Un des éléments nocifs de la jalousie est le sentiment d’être laissé/e de côté. Comme si votre partenaire étant attiré/e par quelqu’un d'autre, il n’y avait plus de place pour vous.
À l’inverse, lorsque vous vous sentez inclus/e dans le désir de votre partenaire, y-compris lorsque cela comprend d’autres personnes, cela amplifie votre confiance et votre amour mutuels. Votre partenaire vous aimera et vous désirera d’autant plus que vous ne l’aurez pas culpabilisé/e pour son désir et il/elle vous fera participer à ses fantasmes avec l’autre personne au lieu de cloisonner les choses et de vous en exclure. Après, rien ne vous empêche d’en rester au stade du fantasme ou de passer à l’acte pour un plan à trois. Je sais que certaines personnes pourraient dire : « Mais, en acceptant que mon partenaire soit attiré/e par quelqu’un/e d’autre, je vais l’encourager à me tromper ». Je suis persuadée que c’est l’inverse. Plus nous nous cachons, moins nous alimentons l’idée de tabou et plus il y a de l’ouverture et de la confiance réciproque. Et puis, la monogamie et la ceinture de chasteté n’ont jamais protégé qui que ce soit contre la jalousie. N’avez-vous jamais été jaloux du travail, du club de sport ou de la meilleure amie de votre amant/e ?
Quelle que soit l’amour que vous porte votre partenaire et la qualité de votre relation, il/elle sera inévitablement attiré/e par quelqu’un d’autre de temps en temps. Il est absolument impossible de passer des années ensemble et de ne pas être attiré/e par d’autres personnes. Cela fait partie de notre nature humaine. Alors pourquoi s’en cacher et se mentir ? Ça n’est pas si grave.
Le mensonge, la rancœur et la frustration sont des émotions bien plus nocives pour un couple.
La jalousie est bien souvent associée à un sentiment de perte, mais il me semble que la perte principale à accepter c’est celle d’un idéal : de l’idéal de l’amour romantique, monogame et éternel.
Désapprendre et désamorcer la jalousie.
Il s’agit d’apprendre tout d’abord à se sentir fondamentalement en sécurité sans posséder l'autre sexuellement ni contrôler ses faits et gestes. En d’autres termes, il s’agit de développer son propre pouvoir et s’aimer suffisamment soi-même pour ne pas attendre la reconnaissance et la validation d’autrui. La jalousie n’est pas une maladie dont on peut se débarrasser. Elle fait partie de vous, de la plupart des êtres humains. En revanche, vous pouvez changer la façon dont vous vivez cette émotion. Elle ne deviendra pas forcément agréable mais sera au moins supportable. La meilleure façon de réduire son pouvoir est d’accepter de la ressentir. Ressentez-la et écoutez-la pleinement, et la première leçon de cette expérience sera que vous pouvez y survivre. Surtout, lorsque l’on refuse de vivre des émotions (négatives en l’occurrence), elles sont stockées dans une partie de notre cerveau, prennent de plus en plus de place et beaucoup de notre énergie est consacrée à les faire taire.
Ensuite, si vous assumez que vous êtes parfois jaloux/se, vous serrez en mesure de demander à être consolé/e, écouté/e, et aimé/e car les émotions, propres à l'être humain, ont besoin d’être partagées. L’idée est de les accueillir avec bienveillance, sans jugement. Si vous les laissez suivre leur cours, vos sentiments douloureux auront tendance à s'estomper. À l’inverse, nier votre jalousie peut vous amener à extérioriser des sentiments violents, qui blesseront les gens et vous isoleront d’autant plus. Mais n’oubliez pas que la seule personne à même d’atténuer votre jalousie, c’est vous. N’oubliez pas que l’amour ne consiste pas uniquement à aimer la beauté, la force et les qualités de quelqu’un. Le véritable amour est de continuer à l’aimer malgré ses faiblesses, ses bêtises et sa médiocrité. Et cela est valable pour l’amour que nous nous portons à nous-mêmes.
Pour aller plus loin, voir :
BARKER Meg. Mindful counselling and Psychotherapy : Practising Mindfully across Approaches and Issues, Los Angeles : Sages, 2013, 216 p.
BARKER Meg. Rewriting the Rules : An Integrative Guide to love, sex and relationships, Hove : Routledge, 2013, 194 p.
EASTON Dossie et HARDY Janet W. La Salope éthique : Guide pratique pour des relaitons libres sereines, Milly-la-Forêt : Tabou, 2013, 347 p.
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