Algorithme et dating

Depuis la nuit des temps la recherche du partenaire idéal a obnubilé l’esprit des femmes et des hommes.
Quels que soient, les époques, les lieux, les cultures, la quête de l’union parfaite a été et restera le dénominateur commun de la rencontre amoureuse. La nature nous l’impose comme principe guidant le perfectionnement de l'espèce et la culture nous le suggère à grand renfort de contes de fées et d’histoires d’amour symbiotique. Cependant, passer du désir à sa réalisation est rarement une sinécure et il est parfois nécessaire de recourir à une ou un entremetteur.
Chez les hébreux, on parle de shadhkhan pour désigner celui qui fait se rencontrer deux célibataires avec l’espoir qu’ils formeront un couple. En Iran c’est la coutume du khastegari, rencontre formelle entre deux familles, qui préside au mariage. Dans le sud-est asiatique, les jeunes gens n’ont pas d’autres choix que celui du mariage arrangé. Au moyen-âge, pour réunir les âmes sœurs, le recours aux philtres d'amour fut fréquent et c’est d’ailleurs ainsi, nous racontent les poètes normands, que naquit l'amour légendaire qui lia Tristan et Yseut. Au 17ème siècle, les peintres caravagesques exploitèrent régulièrement le thème de la dame d’un certain âge qui, cherchant à convoler en justes noces avec un jeune homme, s’attache moyennant finance les talents d’une entremetteuse. Entre le 18ème et le 19ème, les français virent apparaître les « agences d’affaires » qui offraient toutes sortes de services et notamment ceux d’une agence matrimoniale. Dans les années 1960, ce sont les petites annonces parues dans les journaux comme le Chasseur Français, qui servirent d’entremetteuses. Au milieu des années 1980, le minitel devint le premier intermédiaire numérique de la rencontre amoureuse avant d’être supplanté aux abords du 21ème par Internet. Il existe donc une tradition multiséculaire de « relations amoureuses » devant moins au hasard qu’à l’intervention d’un tiers.
Les algorithmes, les nouveaux entremetteurs.
De nos jours, le désir de rencontrer l’âme sœur reste intact, tout comme le sentiment que la chose ne sera pas aisée. Si les entremetteurs physiques ne sont plus légion, il est toujours possible de se rabattre sur les sites et applis de rencontres pour décrocher la lune. En 2017, on estimait que 50% de la population mondiale bénéficiait d’un accès à internet, soit près de 4 milliards d’internautes. Le champ des possibles, qui se limitait au réseau social d’un individu, a pris avec le net une dimension planétaire. Alors que les interactions entre deux potentiels partenaires dépendaient de leur proximité géographique, internet a permis l’instantanéité des communications sans obligation pour les prétendants de se trouver géographiquement proches l’un de l’autre. De plus, la découverte du parfait partenaire qui en appelait à la chance, à l’intuition et aux opinions personnels des candidats à l’amour, se trouve aujourd’hui assistée par des programmes informatiques, des algorithmes permettant de trouver à coup sûr l’être rêvé. Enfin le croit-on.
Les mastodontes de la rencontre algorithmée s’appliquent à faire entendre que leurs modélisations mathématiques des mécanismes intimes et subtiles de la relation de couple, nous sont indispensables pour dénicher la perle rare, et nous croyons dur comme fer à leur discours. Chaque année, nous sommes des millions à succomber à ce miroir aux alouettes payant, simplement parce qu’en tant qu’être humain, une de nos motivations fondamentales est mue par le besoin d’expérimenter la relation à l’autre dans sa dimension intime. Mais la traduction algorithmique de nos aspirations romantiques peut-elle réellement nous aider à trouver le partenaire idéal ? Rien n'est moins sûr, car la rencontre numérisée repose sur l’illusion qu’une science exacte peut se combiner pour le meilleur avec l’irrationnel de la relation amoureuse. Les mathématiques n’ont rien d’un philtre d’amour, elles ne peuvent en aucun cas traduire la magie de la passion et encore moins la faire naître. Les sites de rencontres qui promettent monts et merveilles grâce à leurs algorithmes avancent des arguments chiffrés qui n’ont de sens que pour ceux qui y croient. Comme les promoteurs des jeux d’argent, ils pourraient affirmer que 100% des gagnants ont joué, ce à quoi nous pourrions rétorquer que 100% des perdants aussi. S’il existe des personnes qui ont effectivement trouvé le grand amour via ces plateformes de rencontre modélisée, il s’en trouve un plus grand nombre qui, rivés devant leur écran, attendent encore que ces foutus algorithmes fassent leur job.
Oui aux sites de rencontre qui aiment encore le hasard.
Pour être honnêtes nous n’avons rien contre les sites de rencontres, quand ils en sont vraiment, c’est-à-dire quand ils autorisent le hasard à faire son office. Quelle que soit la façon dont ils présentent leurs compétences et connaissances de la relation amoureuse, les Meetic&co, demandent tous la même chose, définir son profil via des questionnaires qui se veulent exhaustifs, mais qui sont en réalité terriblement restrictifs. Finalement, les renseignements collectés les aident-ils à faire de nous un portrait fidèle ? Non, au mieux des caricatures, plus ou moins justes. Quand bien même arriveraient-ils à sonder correctement nos personnalités, ils continueraient à se heurter à l’écueil de notre propre déficience à savoir qui nous sommes vraiment. Reconnaissons que bien souvent, nous répondons à leurs questionnaires en nous projetant dans un moi idéal bien éloigné de notre moi réel. Regardons d’ailleurs avec quel soin prosélyte nous choisissons nos photos de profil. Nous pouvons aussi faire un test en demandant à nos plus proches amis de relire les réponses que nous apportons, il y a peu de chances qu’ils nous reconnaissent. De fait, quel que soit le degré d’efficience des algorithmes, ils ne peuvent mettre en relation que des parodies d’êtres humains en quête d’amour.
Et quid du délicieux hasard qui nous place sur la route de l’impensable rencontre ? Les mathématiques n’ont que peu d’affinités avec l’imprévisible et les mystères de la providence. En les laissant prendre le contrôle de nos vies sentimentales, nous oublions que le merveilleux de la vie est fait d’aléas. Combien de ces couples, que de loin nous trouvons mal assortis, filent un inexplicable mais parfait amour ? Se seraient-ils rencontrés par l’intermédiaire d’un algorithme ? Certainement pas. Nous pouvons fantasmer le partenaire idéal, rien ne nous l’interdit, mais rien non plus ne nous empêche de conserver ce minimum de lucidité sur la réalité de l’amour. La folie, la démesure, l’impensable, l’imprévu, l’incongru, l’irrationnel. Les sites de rencontres peuvent être des espaces où il est effectivement possible de nouer des liens avec des personnes que nos situations géographique et professionnelle nous interdisaient de rencontrer. Il est donc certain qu’ils peuvent étendre notre champ des possibles. Mais en nous cloisonnant par leurs sélections algorithmiques dans une seule partie de celui-ci, ils annihilent ce qui aurait pu être leur plus-value et nous enferment dans de sombres tiroirs étiquetés « mathématiquement compatibles ».
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