Sphère sociétale

Genre et biologie : quand féminisme et transactivisme s'affrontent

Genre et biologie : quand féminisme et transactivisme s'affrontent

Jusqu’aux années 90, le genre sera synonyme de construction sociale des rôles attribués aux femmes et aux hommes et combattu à ce titre. Mais durant la dernière décennie du 20ème siècle, le concept sera réactualisé par la communauté trans qui le proposera comme l'outil de référence pour déterminer ce qui appartient au masculin ou au féminin. Le sexe biologique devient un élément accessoire, certains.es argumentant qu'il est lui-même le résultat d’une construction sociale...

Genre et biologie : quand féminisme et transactivisme s'affrontent

Un collage "les TERFs au bûcher" dénonçant la supposée transphobie au sein des milieux féministes,
dans le 11e arrondissement de Paris. Twitter - @Margueritestern


L'idéologie du genre : une approche péremptoire et contre-productive de la problématique transidentitaire.

Qu’est-ce qui détermine le fait de se sentir femme ou homme ? Éminemment contemporaine, cette question alimente depuis quelques années un conflit entre une partie des transidentitaires et certaines obédiences féministes. Un conflit qui n’est plus seulement la manifestation d’un âpre débat d’idées, mais une confrontation idéologique dont la violence atteint des sommets inquiétants. À l’origine de cette guerre soro-fraticide se trouve un concept psychiatrique apparu dans la première moitié du 20ème siècle, « le sexe psychosocial » aujourd’hui labellisé « genre ».

Le concept de genre : de la psychiatrie à la sociologie.

La création de ce concept résulte des questionnements psychiatriques sur le cas d’individus de sexe biologique ambigu, classés dans un sexe à leur naissance, éduqués conformément à ce dernier, sans que cela ne leur pose problème, mais découvrant appartenir à l'autre sexe lors d’examens ultérieurs. Contrairement à ce qu'il était admis jusqu’alors, les psychiatres comprennent que le sexe biologique ne peut à lui seul servir à caractériser un individu intersexué en tant qu’homme ou femme et que par extension le sexe socialement reconnu, consciemment assumé, n'est pas forcément consubstantiel du sexe biologique. Pour rendre compte de cette réalité ils émettent l’hypothèse que la psycho-socialisation est tout aussi déterminante que le biologique, une conjecture qui permet aussi de mieux cerner la problématique transsexuelle. Le concept sera repris et vulgarisé en 1968, sous l’appellation « genre », par  Rober J.Stoller, psychiatre et psychanalyste américain, dans « Sex and Gender ».

En 1972, la sociologue féministe américaine, Ann Oakley, publie « Sex, Gender and Society ». La notion de genre dans son acception féministe n’est plus mobilisée pour analyser les problématiques liées au transsexualisme et l’intersexualité, mais comme outil de théorisation de l’expression sociale de la différence des sexes. À partir des années 70, elle va permettre la création d’un corpus de textes relatant ses effets toxiques sur la condition des femmes. Le genre y est dénoncé comme un empilement de stéréotypes et de préconçus auxquels sont censés se conformer les individus suivant leur sexe biologique, les astreignant à des fonctions précises au sein de la société, à se plier au respect de codes vestimentaires, comportementaux et relationnels. L’objectif du féminisme est alors de faire voler en éclats les représentations de genre afin de libérer les femmes et de leur permettre un épanouissement professionnel, social et sexuel. Le postulat est simple, si le genre est une construction sociale alors il est possible de le déconstruire. Les décennies suivantes vont effectivement voir l’effacement progressif de l’influence du genre dans l’organisation sociale et une proportionnelle libération des femmes de ses carcans.

Jusqu’aux années 90, le genre sera synonyme de construction sociale des rôles attribués aux femmes et aux hommes et combattu à ce titre. Mais durant la dernière décennie du 20ème siècle, le concept sera réactualisé par la communauté trans qui le proposera comme l'outil de référence pour déterminer ce qui appartient au masculin ou au féminin. Le sexe biologique devient un élément accessoire, certains.es argumentant qu'il est lui-même le résultat d’une construction sociale...

Transidentitaires et féministes radicales.

Au tournant du 21ème siècle, la question transidentitaire s’impose définitivement dans le paysage médiatique. Psychiatrisés, ostracisés, caricaturés, invisibilisés, les trans veulent sortir de leur ghetto. Tout comme l’avaient fait les féministes, puis les activistes homos, la communauté trans met en avant les aprioris délétères qui lui interdisent toute forme d’émancipation sociale. En effet beaucoup de femmes trans sont contraintes de vivre des minima sociaux,  ou de la prostitution. Perçues comme une énième manifestation des travers du patriarcat, les problématiques trans résonnent avec celles des femmes. La plupart des féministes adhèrent alors aux revendications transidentitaires et sont déterminées à faire bloc.

Pour exister socialement dans une société bipolarisée femme/homme, il n’y a d’autres choix que d’appartenir à l’un des deux ensembles. Puisqu’en l’occurrence le sexe biologique ne peut être la référence, on s’accorde sur le fait que la seule solution est de prendre en compte le genre et d’admettre qu’une femme trans est une femme comme une autre au regard de sa constitution psychosociale. Le concept de genre jusque-là utilisé pour dénoncer l’aliénation des femmes et logiquement promis à la destruction, va paradoxalement servir à définir, sur les bases du stéréotype, ce qui relève du féminin et du masculin. Toutefois de ci de là commencent à pointer des désaccords entre les différentes branches féministes, car insidieusement le genre prend un ascendant sur le sexe biologique devenant même pour la frange naissante du transactivisme l’unique critère à retenir. À celles qui affirment que le sexe biologique doit demeurer un marqueur essentiel, il est rétorqué, sur fond de productions théoriques aussi absconses que confuses, que le sexe biologique résulte comme le genre d’une construction sociale et plus trivialement que posséder un utérus, avoir des règles ne sont que des éléments superflus du féminin. Les transactivistes s’enferment dans une position dogmatique : on ne naît ni homme, ni femme, raison pour laquelle doit prévaloir la liberté de choisir de se conformer à un genre plus qu’à un autre en toute indépendance du biologique. Et cette liberté doit se concrétiser pleinement en reconnaissant à tout un chacun le droit de se définir homme ou femme sur une simple déclaration d’intention.

Si la situation prend une tournure conflictuelle, ce n’est pas tant pour des raisons théoriques que pratiques. Au-delà de son aspiration à la socialisation, la communauté trans est confrontée à des problèmes spécifiques d’ordre purement pragmatique. Une femme trans doit-elle, en cas de condamnation, être incarcérée dans une prison pour femmes ? Peut-elle être intégrée dans les compétitions sportives féminines ? Peut-elle être acceptée dans les vestiaires pour femmes ? A-t-elle le droit d’utiliser les toilettes femmes ? La cohabitation des femmes trans avec les femmes qui paraissait aller de soi au début des années 2000, va peu à peu être questionnée par une partie des féministes inquiètes de ses conséquences néfastes. Car des faits troublants commencent à émerger. Dans les compétitions sportives, il apparaît clairement que les femmes trans surclassent les femmes biologiques et leur opposent une concurrence déloyale. Dans les prisons, tout comme dans les vestiaires et toilettes pour femmes, on note une recrudescence des agressions sexuelles commis par des femmes trans. Certaines femmes, notamment celles qui ont un passé de violence sexuelle, avouent leur malaise de devoir partager leur intimité avec des individus n'ayant pas transitionnés.

Le débat s’envenime et s’enkyste autour de cette question devenue fondamentale : qu’est-ce qui nous fait homme ou femme ? Doit-on exclusivement prendre en compte le sexe biologique, le genre ou simplement le fait de se sentir homme ou femme ? Confronté à l’impossibilité de s’entendre chaque camp se radicalise et la querelle devient explosive. Les transactivistes inventent le terme TERF, Trans Exclusionnary Radical Feminist, et le concept de transphobie pour stigmatiser les féministes maintenant ouvertement hostiles au concept de genre et à la possibilité d’inclure les femmes trans n’ayant pas transitionné dans la sphère des femmes.

Si ces féministes œuvrent sur le terrain de l’argumentation, les transactivistes privilégient le rapport de force et des méthodes plus prosaïques, plus brutales, de véritables appels à l’épuration que révèlent sans détour les slogans tels que « les TERFS au bûcher », « une bonne TERF est une TERF au goulag » ou encore « Sauve une trans, bute une TERF ». Nombre de féministes radicales sont harcelées, agressées et menacées de mort.

L'influence du sexe biologique : anecdotique ?

Nier l’influence qu’exerce le sexe biologique sur l’établissement de nos personnalités, tout en affirmant qu’il n’a de sens qu’au regard de sa construction sociale, relève d’une prise de position idéologique et péremptoire qui cherche à couper court à toute discussion. N’en déplaise aux actuels théoriciens du genre, le patrimoine génétique sexuel est à la base d’une constitution hormonale et génitale dont les répercussions dépassent l’apparence physique pour ouvrir sur des expériences émotionnelles transformatrices liées au vécu du sexe biologique.

Pour une jeune fille, l’arrivée des règles est un évènement fondamental qui d’un point du vue symbolique signera son entrée dans sa vie de femme. Pragmatiquement elle devra supporter et gérer tous les mois les désagréments liés aux menstrues, qui au départ seront souvent douloureuses, voire invalidantes. Mais aussi être vigilante, préventive pour ne pas se trouver à cours de tampons ou de serviettes hygiéniques et vivre des épisodes tout aussi gênants que traumatisants. Avec la fertilité acquise la jeune fille devra penser responsabilité, contraception et endosser seule la charge mentale d’une possible grossesse non désirée et le cas échéant d’une IVG. Ses premières relations sexuelles seront généralement marquées par le sceau de la douleur, de l’inquiétude et de l’insatisfaction. Par ailleurs elle devra composer avec le risque de l’agression sexuelle, subir le male gaze, les réflexions et gestes déplacés, le harcèlement de rue et tout une panoplie de remarques, de préjugés et d’insultes sexistes. Tous ces évènements provoqueront des réactions émotionnelles propres à son statut de jeune fille et lui donneront à penser la vie sous un angle particulier. De son côté le jeune garçon ne connaitra rien de tout cela, sa vie sera relativement insouciante au regard de celle des filles et en conséquence le vécu émotionnel de son sexe biologique sera totalement différent.

À l’âge adulte, se présentent aux femmes biologiques un mélange d’injonction sociale et de désir d’avoir un enfant. En y accédant elles s’engagent dans un processus émotionnellement intense dont l’issue constitue l’expérience humaine ultime. Et là il n’est pas question de construction sociale, cette expérience appartient aux femmes et à elles seules parce qu’elles sont génétiquement des femmes. On pourrait rétorquer qu’alors ne sont femmes que celles qui ont eu des enfants, mais la seule perspective de l’enfantement semble déjà induire la mise en place de schémas comportementaux différenciés. Lorsque une toute petite fille « joue à la maman », il est frappant de voir à quel point ses attitudes se placent généralement sous le signe du « care », du soin, de l’attention, de la tendresse et de l’empathie. Sans doute imite-t-elle pour partie les attitudes maternelles. Mais l’implication qu’elle y met est profondément troublante, questionnante et donne toute raison de penser qu’elle ne fait pas que reproduire mécaniquement des patterns relationnels socialement validés. En comprenant qu’elle est une mère en devenir, il semble qu’elle s’inscrive dans un rapport aux autres remarquablement protecteur.

La transidentité, un donné naturel de la complexité humaine.

En l’état des connaissances, hormis le sexe biologique et ses prolongements émotionnels, il est difficile de dire ce qui nous fait homme ou femme. Toutefois nous devons admettre qu’une frange de la population souffre de dysphorie de genre dans des proportions suffisamment prégnantes pour qu’elle s’engage dans des processus de réassignation sexuelle aussi longs que douloureux. De fait il n’est pas envisageable de douter de sa sincérité. L’être humain est biologiquement, psychiquement et psychologiquement complexe. Nier cette complexité ne ferait que limiter le nombre des solutions susceptibles de résoudre les problèmes en découlant. Pour l’heure si aucune théorie n’est à elle seule en mesure de déchiffrer l’énigme transidentitaire, elle est néanmoins une réalité avec laquelle nous devons transiger en priorité pour le bien vivre de la communauté trans.

Ce que nous avions pensé être un équilibre naturel reposant sur une stricte répartition de l’humanité en deux groupes distincts est une illusion. Ce schéma dans lequel ne peut s’inscrire la transidentité n’a d’ailleurs pas été adopté par l’ensemble des cultures humaines. Certains groupes ethniques amérindiens, tels les Ojibwés, considèrent qu’il existe au moins quatre façons d’être et vivent en harmonie avec les « Two Spirit People ». Nommés « berdaches » par les colons occidentaux, les « Two Spirit People »  sont des hommes-femmes ou des femmes-hommes qui loin d’être ostracisés sont respectés et socialement intégrés. En Inde ce sont les Hijras, des hommes-femmes auxquels on prête des pouvoirs en matière de fécondité, une fonction symbolique considérée avec le plus grand des respects. Les Inuits reconnaissent aussi l’existence d’individus appartenant au « troisième sexe social », valorisés en raison de leur polyvalence et de leurs pouvoirs dans le domaine religieux. À Tahiti se sont les Mahus, des hommes qui s’habillent en femme, partagent les activités traditionnellement réservées aux femmes et initient filles et garçons à la sexualité. On le voit, le fait transidentitaire transcende les cultures et que nous pouvions l’expliquer ou non ne change rien à l’histoire. Il est donc temps d’engager un débat constructif, délesté des positions idéologiques, d’apaiser les tensions et de construire une société qui reconnaît la diversité comme une richesse.





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