L'évolution du féminin érogène dans les productions pornographiques
En un siècle de pornographie l’incarnation du féminin érogène est passée de la jeune fille effarouchée à la chienne lubrique. La dramaturgie des premiers films porno reposait sur le dévergondage joyeux, celle du hardcore contemporain s’alimente de destruction sexuelle.

Une lente et sûre descente dans les abîmes.
Dans les premières réalisations pornographiques du début du XXème siècles, les actrices, souvent issues du milieu prostitutionnel, jouent principalement des rôles de jeunes filles effarouchées, timides et naïves, qui, après avoir offert un brin de résistance, succombent joyeusement aux avances licencieuses de leurs courtisans. C’est l’époque du porno paillard et égrillard, où se mêlent expressions d’extase et rires émoustillés. Si les réalisateurs dépeignent une masculinité assumant gaillardement son appétence pour la chair, ils présentent généralement les jeunes femmes comme des êtres inhibés, pudiques, qu’il convient de baratiner, de bousculer un peu, pour en tirer le meilleur parti. L’initiation, élément érogène des premières pornographies, n’a toutefois pas un objectif d’émancipation, mais d’éducation à la soumission. L’homme domine les ébats, priorité est cédée à sa jouissance et l’éjaculation marque déjà le terminus des divertissements. Il est important de noter que la plupart des films pornos sont alors réalisés pour stimuler l’appétit les clients des lupanars, un fait qui marque les liens indéfectibles qui dès l’origine ont unis pornographie et prostitution.
Au tournant des années 70, concomitamment à la libération des mœurs, la pornographie devient un genre cinématographique à part entière, salles spécialisées et sex-shops en facilitent l’accès, et si tant est que la discrétion l’emporte sur l’exposition tapageuse la tolérance remplace l’opprobre. C’est le temps de la proto-industrie du X, managée par de petites sociétés souvent familiales, le temps du porno à papa, des réalisations de bonne facture basées sur des scénarios où il n’est pas question que de baise. Les actrices n’y incarnent plus des jeunes filles effarouchées, mais des femmes aguicheuses qui revendiquent clairement leur appétence sexuelle. Pour autant, l’ordre du jour n’est pas au renversement des rôles. Ce qui fait bander le consommateur c’est toujours le fantasme de la putain qui jouit, d’une femme sexuellement disponible aux diverses exigences du désir masculin et qui en tout état de cause en tire des émotions voluptueuses. L’homme occupe bien sûr la position dominante de celui qui organise le jeu érotique, en dicte les règles, la gestuelle, les comportements et qui en jouit pleinement. Le caractère pornographique des contenus est renforcé par des prises de vue de plus en plus serrées sur le génital et le sperme que les spectateurs veulent issu d’une éjaculation non simulée.
Début des années 80, s’amorce un tournant dans l’underground porno. Certainement en réaction aux avancées féministes, la pornographie se phallocratise d’un cran supplémentaire et le porno à papa prend la couleur du hard. Dans cette nouvelle mouture du porno, affleure les prémisses de l’érotisation de la violence sexuelle. L’acteur est désormais un hardeur qui incarne un mâle musculeux, brutal, bien membré, particulièrement endurant et doté d’une généreuse éjaculation. La hardeuse n’est plus la femme « libérée » de la décennie précédente, mais l’authentique salope dont le pornographe a réduit la corporalité à ses orifices. De longues séquences en gros plan détaillent les différentes manières de les éprouver, de les dilater. Physiquement, la stéréotypie s’exacerbe et au fil des productions renforce l’objectification du corps féminin. Gros bonnet, proéminence des lèvres, épilation, s’imposent peu à peu comme le triptyque référençant de la hardeuse idéale.
Fin des années 80, la démocratisation de l’accès aux magnétoscopes dope la production de films X qui se diversifie et s’industrialise. Le marché de la VHS explose et les sociétés de production se multiplient. Dans ce contexte de concurrence accrue, le challenge consiste à sortir du lot en présentant du neuf, de l’inédit. Sur les étals des sex-shops apparaissent régulièrement de nouveaux genres et si l’on réalise encore des films à gros budget, avec scénario et distribution haut de gamme, l’émergence d’une pornographie radicale va changer la donne. Comprenant que le consommateur se lasse vite, que les scènes sans sexe n’intéressent personne, quelques producteurs d’avant-garde se lancent dans le gonzo. Ni scénario, ni dialogues, ni décor, des actrices qui ressemblent à la voisine de palier, une caméra subjective pour le côté immersif et une focale sur le génital en mode hard-crad. Le public plébiscite car il a l’impression qu’on lui donne de l’authentique. Petit budget, réalisation rapide, bonne rentabilité, le gonzo suscite rapidement l’engouement des pornographes. Milieu des années 90, les thèmes sodomie, double-pénétrations, gang bang, bukkake, fist-fucking, viol et autres éjaculations faciales, composent la nouvelle normalité pornographique. Pour les hardeuses, qui doivent incarnées des « chiennes tout juste bonnes à baiser », le métier change de nature, car la violence sexuelle est l’élément érogène de ce nouveau genre. Un producteur de gonzo dira la pornographie n’aurait jamais dû sortir du caniveau, c’est là qu’est sa vraie place.
Si l’arrivée des lecteurs DVD amplifie le phénomène, le développement d’internet, qui révolutionne la diffusion des contenus vidéos, sonne l’avènement d’une pornographie ultraviolente, produite à la chaîne, dans laquelle les femmes sont déshumanisées par l’humiliation, la dégradation, la souillure et le mépris jubilatoire de leur intégrité physique. Les mots humilient, les actes dégradent, les crachats, l’urine et le sperme souillent, le corps est violenté et ses orifices soumis à des pénétrations qui éprouvent l’extrême limite de leur élasticité. Les pornographes s’enorgueillissent de repousser toujours plus loin les limites, de ce qui est maintenant l’érotisation de la haine sexuelle des femmes. Dan Slander, fondateur du site Rape Camp, confessera il est possible que notre business fasse promotion des violences faites aux femmes, je me dis parfait je ne peux pas saquer ses putes. Ce type de contenus, qui constitue un pôle essentiel des propositions que l’on peut trouver sur les sites pornos, est particulièrement apprécié des hommes englués dans le cercle vicieux de la porno dépendance.
En un siècle de pornographie l’incarnation du féminin érogène est passée de la jeune fille effarouchée à la chienne lubrique. La dramaturgie des premiers films porno reposait sur le dévergondage joyeux, celle du hardcore contemporain s’alimente de destruction sexuelle. On remarquera que l’érotisation de la violence revendiquée par la pornographie mainstream, s’est parallèlement immiscée dans l’univers prostitutionnel, une certaine catégorie de prostituées proposant expressément des prestations hardcores. Les activités de la pornê qui étaient à la base du vocable pornographie, sont maintenant façonnées par les scénarios pornos. L’interpénétration des deux entités est plus que jamais d’actualité.
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