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La « zone grise du consentement » ça n’existe pas !

La « zone grise du consentement » ça n’existe pas !

La « zone grise du consentement » ça n’existe pas !

"Zone grise du consentement" : 50 nuances de gris pour une zone à hauts risques.

Le gris, symbolisant la neutralité, est-il approprié pour décrire une disposition émotionnelle, une "zone" particulière du consentement préalable à un rapport sexuel ? Quant au mot consentement est-il lui-même si bien adapté, sachant que consentir peut signifier choisir ou accepter ? Ambiguïté sémantique, flou permissif, voire pernicieux, "zone grise du consentement" est une expression qui ne veut rien dire, sinon que celui-ci est obtenu en l’absence de désir ou de volonté, en d’autres termes, qu’il n’y a pas eu de réel consentement. 

Pour autant, les rapports sexuels ayant lieu à la faveur de cette zone grise sont-ils tous des viols ou des agressions sexuelles caractérisés ? Évidemment non. Mais dans certaines situations, le doute n’est pas permis. La victime est consciente d’avoir "cédé" et non pas consenti à l’acte. 

Je lui ai pourtant dit que je ne voulais pas de ce genre relation entre nous, confie Aurélie, mais on aurait dit qu’il n’entendait rien de ce que je lui disais, il continuait à me serrer, à me dire que je l’avais trop allumé pour dire non maintenant. Je ne sais pas pourquoi, au bout d’un moment, j’ai cédé un peu comme une automate, tout se mélangeait dans ma tête,  je me suis sentie fautive et ça s’est passé. Mais après coup, j’étais tellement mal, je me sentais sale, je me dégoûtais. C’est sous la énième douche que j’ai compris ce qui venait de se passer. 

Ce qui venait de se passer, c’était un viol. Aurélie n’a pas traversé une hypothétique "zone grise", mais s’est trouvée dans un état de sidération psychique qui l’a déconnectée et empêchée de résister face à l’insistance de l’agresseur. Et ce qu’il faut retenir ici, c’est qu’au moment des faits, son refus pourtant clairement formulé devient, avec le concept de zone grise du consentement, un "non qui veut dire oui", poncif récurrent de la culture du viol. Avec cette idée qu’il est possible de dire non et de penser oui, ou de penser à la fois oui et non, on crée une zone de relativisme du consentement, "une zone de refuge pour les violeurs, qui s’abritent derrière une ambiguïté" selon Jean-Raphaël Bourge, chercheur à Paris-VIII qui travaille sur le consentement sexuel. Voilà le danger de cette expression, autorise un espace de doute, non seulement pour les victimes, mais aussi les magistrats, avocats, experts psy qui, le cas échéant, auront à déterminer si oui ou non, la victime était consentante, sachant que "céder" relève d'un comportement qui disqualifie en partie un viol.

Le désir, grand absent de la "zone grise du consentement".

Du point de vue de l'éthique de la sexualité, désir ET volonté sont les composantes d’un plein consentement. On ne peut donc parler de consentement sans désir, pas plus que d’un espace d’hésitation infléchissant la volonté vers un rapport sexuel "consenti" mais non désiré, du "sexe subi" comme le nomme le magazine web ChEEk, dans son article dédié au documentaire Sexe sans consentement. Le film diffusé le 6 mars dernier sur France 2, donne la parole à des femmes ayant cédé et non consenti à un rapport sexuel, titre le magazine. Pourtant, lorsqu'on visionne le documentaire, la description qu'en font ces femmes ne laisse aucun doute : il s'agit bien de viols. Malentendu ou pas, intentionnalité ou non, ces hommes n'ont pas entendu ou ont refusé d'entendre leur non-consentement, même clairement formulé et leur ont imposé un rapport sexuel. 

"C'était comme s'il n'entendait pas" ... "En fait,  'non' ça ne lui suffisait pas, puisque pour lui, je n'avais aucune raison de dire non". Elles évoquent leur vulnérabilité au moment des faits, prise d'alcool, extrême fatigue, confusion. Elles se disent figées, dans l'incapacité de bouger, de parler, l'une cède par crainte que l'homme ne la contraigne par la violence, "Je pensais que le mieux c'était d'en finir au plus vite pour vite oublier ensuite". Une autre pense devoir satisfaire les pulsions d'un garçon qu'elle a suivi jusque chez lui, avec en creux le sentiment de le "trahir" si elle se refuse à lui. Toutes auraient donc été "forcées à consentir", un non-sens puisqu'elles n'ont ni choisi, ni accepté le rapport sexuel qu'elles ont pourtant subi. Quand on parle de "relations sexuelles forcées", de "sexe subi", de "sexe sans consentement", parle-t-on d'autre chose que de viol ou d'agression sexuelle ? À l'évidence, non. Mais alors pourquoi pareille langue de bois ? Parce que, comme bien souvent, on n'ose pas nommer les choses, ou on les nomme n'importe comment, comme c'est le cas d'un article de l'Obs où est utilisé le terme de "viol consenti" pour décrire un acte sexuel obtenu sans véritable consentement ! Aberrant, et pourtant, il s'agit des propres mots de femmes qui un jour, ont cédé parce qu'elles ne voulaient pas avoir à dire non, parce qu'elles avaient peur d'avoir "l'air tarte", parce qu'elles pensaient que c'était leur devoir d'épouses, pour faire plaisir à leur conjoint, pour apaiser une dispute etc. Le rapport sexuel est accepté sous pression, une pression qui devient contrainte psychologique.

Le problème du concept de zone grise du consentement, c'est aussi qu'il suggère que les femmes sont seules responsables des malentendus à l'origine de relations sexuelles non désirées. Les hommes eux ne font que suivre leur instinct de mâle. Après tout, elles n'avaient qu'à dire non fermement et se débattre si nécessaire. C'est d'ailleurs le reproche qu'elles s'adressent, ne pas avoir su dire non. Honte et culpabilité sont les sentiments dominants chez ces femmes qui ont l'impression d'avoir autorisé l'agression. 

Le consentement, un mot inadapté en matière de sexualité ?

Pour le Droit français, le consentement différencie une relation sexuelle d'un viol ou d'une agression sexuelle. Mais la définition de ce mot est ambiguë parce que le consentement peut décrire soit une disposition active "choisir", soit une disposition passive "accepter". Et en matière de relations sexuelles, choisir et accepter sont deux mots qui n'ont pas la même force.

En principe, la part du consentement qui consiste à "choisir" d'avoir un rapport sexuel, exclut qu'il soit subi. En revanche, derrière le mot accepter, se dissimule la possibilité qu'il ait été obtenu par des moyens coercitifs ; chantage affectif, abus de faiblesse, abus d'autorité, ou manipulation. Ces nuances plus ou moins sombres de la zone grise du consentement devraient décourager l'emploi de cette expression ne devant s'appliquer qu'à des situations où il existe entre les deux partenaires une relation de confiance, d'honnêteté, de respect et d'écoute. La zone grise du consentement, si tant est qu'elle existe, doit être le terrain d'échanges, de communication et d'amour, en utiliser le concept pour tout autre situation est irresponsable et scandaleux.

Vers une éducation au consentement sexuel.

À la question : qu'est-ce que le consentement, chacun s'accorde à répondre qu'il s'agit d'une réciprocité d'intention, que le consentement, "c'est quand les deux sont d'accord". Mais à quoi sait-on qu'une personne est consentante à un rapport sexuel ? Les réponses des garçons interviewés dans le documentaire en disent long sur leur ignorance. Tout fier de sa découverte, l'un d'eux révèle que lorsqu'une fille remet en place ses cheveux, c'est le signe indiscutable qu'elle est disposée à coucher. Un autre pense que "tout est dans le regard"... Édifiant, on apprend que chez une fille la verbalisation du désir est pour certains garçons rédhibitoire. En revanche, qu'elle oppose un refus est excitant, stimulant même. Le "non" pourtant clairement formulé - et parfois à plusieurs reprises - devient une invitation à la persévérance, puisqu'on est convaincu que c'est un "oui qui n'ose pas dire son nom". Les femmes aiment être forcées, c'est ce que considèrent 21% des personnes interrogées dans une enquête conduite par IPSOS à la demande de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie. La même enquête révélant que 25% pensent "qu'en matière de sexualité, les femmes ne savent pas ce qu'elles veulent".

Voila quels sont les stéréotypes -qu'on pourrait croire usés jusqu'à la corde - qu'entretient le concept de zone grise du consentement, un pur produit de la culture du viol, qui s'en nourrit autant qu'il l'alimente, y-compris chez les victimes qui parfois, réalisent seulement des années plus tard qu'elles ont subi un viol !

En fait j'ai mis longtemps à comprendre que j'avais été violée, témoigne Carine. Pour moi j'avais juste pas su dire non, c'était pas si grave, mais j'avais quand même honte, chaque fois que j'y pensais, je me sentais super mal, limite nauséeuse. Je n'en avais jamais parlé à personne. Puis un jour j'ai raconté mon histoire à une amie de FAC, j'avais cette impression bizarre de "m'entendre parler", comme si j'écoutais une autre personne et là c'est devenu évident. D'un seul coup, j'ai eu l'impression qu'on m'enlevait un poids énorme de la poitrine, mais ce qui m'a le plus soulagée, c'est la réaction de mon amie Caro qui depuis un moment ouvrait de grands yeux et m'a dit "Ça y est, tu as compris ? T'as été violée ma belle, il n'avait pas le droit de te faire ça !"

Éduquer les garçons... et les filles !

L'excellente vidéo ci-dessous, Le consentement expliqué avec une tasse de thé, met en scène les différentes situations où le consentement peut être refusé, donné, retiré, à n'importe quel moment et pour n'importe quel motif. Cette animation métaphorique concise, simple et efficace, dit (presque) tout de ce qu'il y a à savoir en matière de consentement et présente l'avantage de s'adresser à un large public, adolescent comme adulte, hommes et femmes. Et si le narrateur paraît s'adresser davantage à la gent masculine, puisque c'est l'auteur qui doit s'assurer que la personne avec laquelle il s'apprête à avoir un rapport sexuel est bien consentante et que dans l'écrasante majorité des cas il s'agit d'un homme, il va de soi que le message s'adresse tout autant aux filles, lesquelles apprennent qu'elles ont le droit de dire oui ou non, et surtout, de changer d'avis ! 


Des exceptions à la règle.

Si la plupart du temps ces règles simples du consentement sexuel sont pertinentes, il existe des situations - et plus nombreuses qu'on pourrait le croire - où certaines dispositions psychologiques peuvent invalider un consentement explicite ou implicite. Bien sûr certaines pathologies psychiatriques révoquent de fait le consentement, tout comme un état d'ébriété, la prise de drogues, entraînant une altération des facultés motrices et cognitives. Mais, certains comportements, moins évidents à décoder, doivent alerter le partenaire lorsque par exemple, il se trouve en présence d'une personne muette, inerte, absente. Loin de signifier son consentement à l'acte sexuel, ils sont le signe fort d'un non-consentement non formulé. Il arrive même qu'une sexualité "débridée" témoigne non pas d'une liberté sexuelle assumée, mais d'un psychotraumatisme. On parle alors de conduites dissociantes ou de dissociation traumatique. Et ces comportements sont indétectables lorsque les partenaires ignorent tout l'un de l'autre, ce qui arrive fréquemment notamment lors de "One shot", ou en l'absence de véritable communication.


À la lumière de ces éléments (non exhaustifs) de discernement, l'utilisation de l'expression zone grise du consentement, composée de deux termes dangereusement antinomiques, devrait être abandonnée car dans la majeure partie des cas, non seulement elle n'est pas adaptée, mais elle est en plus très dommageable pour les victimes de violences sexuelles. 

F0419

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