Sphère sociétale

#MeToo est-il allé trop loin ?

#MeToo est-il allé trop loin ?

 #MeToo est-il allé trop loin ?

Est-il possible d’aller trop loin lorsqu’il s’agit de dénoncer des abus sexuels ?

Il est vrai que jusqu'à présent, les femmes avaient quelque peu renâclé à envoyer systématiquement leur agresseur devant les tribunaux et que le monde se satisfaisait pleinement de ce confortable statu quo. Le subit retournement de situation qui a sonné le glas des impunis ne peut être apprécié de la même façon selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre de la barrière. On comprend que suite à l'insurrection des activistes de #MeToo, l’odeur du roussi puisse titiller les narines des agresseurs qui tentent le tout pour le tout en criant au lynchage médiatique et en sortant l’artillerie des arguties. Parmi les fausses questions que les adeptes de la drague dure aiment à mettre sur le tapis, figure celle qui tente un retournement accusatoire : "Pourquoi n’est-elle pas partie sitôt qu’elle a senti que la situation dérapait ?" La question n’est pas dénuée d’intérêt et l'on pourrait y répondre de bien des façons. Nous avions d'ailleurs abordé ce sujet sensible lors de la publication d'un article qui, bien que traitant des relations BDSM, n'en définissait pas moins certaines constantes psychologiques chez les victimes de violences sexuelles. 

L’étude diachronique des relations homme-femme nous apprend que depuis bien longtemps, les femmes ont intégré dans leur psychologie relationnelle la notion d’inconfort et particulièrement celle d’inconfort sexuel. Rappelons que 30% des femmes avouent connaître des rapports vaginaux douloureux, 70% lorsqu’il s’agit de sodomie et que la grande majorité accepte ces souffrances en silence. Combien d’hommes ont conscience de cela ? Certainement pas ceux qui déplorent que le débat sur le harcèlement sexuel soit délesté des réalités biologiques de la masculinité, notamment le rôle que joue la testostérone dans le comportement des mâles, et finalement de la différence fondamentale qui existe entre une femme et un homme.

Mais soyons clairs, ces réalités biologiques sont depuis toujours reconnues par la société qui admet que l’homme puisse être soumis au diktat de l’urgence sexuelle. Cette injonction inconsciente et incontrôlable du désir a même souvent servi à décharger les agresseurs sexuels d’une grande part de leurs responsabilités. L'histoire de la sexualité masculine révèle que le plaisir sexuel des hommes a bénéficié de beaucoup de mansuétude et ce, malgré les dommages pléthoriques qu’il a occasionnés. Les délinquants sexuels sont très majoritairement masculins, c’est un fait. Les dégradations, humiliations, soumissions qui constituent l’essentiel des scénarios pornos sont infligés aux femmes pour le plaisir des hommes. Il y a une acceptation sociale très enracinée de la souffrance féminine comme corolaire de la jouissance masculine. 

Si l’on comprend bien ceux qui vitupèrent contre les femmes rebelles, les hommes auraient, induits par leur biologie, un droit naturel aux dérapages et à l’indulgence. Les féministes du mouvement #MeToo devraient-elles donc revoir leur copie et faire amende honorable en sacrifiant sur l’autel de la réconciliation, le droit des femmes à disposer de leur corps comme bon leur semble ? Qu’en est-il de la notion de sexualité partagée ? Parce que finalement, que réclament les femmes sinon d’avoir leur mot à dire en matière de relation sexuelle ? Pourquoi leur refuserait-on le droit à être pleinement respectées dans leurs choix et envies ?

Dans une perspective de pacification des relations homme-femme le focus doit être mis sur les réalités féminines.

Lorsqu’il s’agit de définir une mauvaise expérience sexuelle, les femmes font référence à l’inconfort émotionnel, la coercition et plus fréquemment la douleur, quand les hommes de leur côté évoquent la passivité de la partenaire et l’ennui sexuel.  Le Professeur Sara Mc Clelland de l’Université du Michigan qui a produit des études sérieuses sur le sujet, affirme que les hommes et les femmes ne se réfèrent pas à la même échelle de satisfaction sexuelle. Quand les femmes parlent d’un faible niveau de satisfaction, elles parlent de mauvais feeling, de contraintes et de douleur. Les hommes quant à eux parlent de relations sexuelles fastidieuses et n’évoquent jamais une quelconque idée de coercition ou de dommages corporels. Notre approche du harcèlement et de l’agression sexuelle est sujette à controverse du fait que les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes valeurs de référence. Une bonne expérience sexuelle pour un homme n’en sera pas forcément une pour sa partenaire et inversement. 

Dans le domaine sexuel, la différence de traitement des problématiques masculines et féminines est flagrante. Par exemple, un homme souffrant de troubles érectiles pourra sur simple demande se faire prescrire du Viagra. Une femme devra souffrir plusieurs années avant que les médecins ne diagnostiquent une endométriose, une maladie chronique causée par la prolifération de tissus endométriaux hors de l’utérus. On trouve presque 2 000 études sur la dysfonction érectile et seulement 393 pour la dyspareunie, pourtant source d’intenses douleurs coïtales. La communauté scientifique s’est toujours plus intéressée au plaisir sexuel masculin qu'à la souffrance sexuelle des femmes, parce que dans nos sociétés, le premier est perçu comme un droit et la seconde considérée comme anodine. Au fil des siècles, les femmes ont intégré la notion d’affliction comme inhérente à leur condition et tous les médecins savent que même atteinte de dyspareunie une femme peut consentir au coït, en serrant les dents si nécessaire. 

Si l’on se demande pourquoi une femme ne fuit pas lorsqu’elle est confrontée à une situation pénible, on se demandera aussi pourquoi elle continue à faire l’amour alors que la douleur l’emporte sur le plaisir.

Il n’y a qu’une réponse à ces deux questions : l’acceptation de l’inconfort sexuel comme composante naturelle de la condition féminine, et du plaisir sexuel masculin comme entité inaliénable. Dans la même idée, si une femme veut être sexuellement attractive, elle devra supporter l’inconfort de chaussures montées sur des talons de dix centimètres, de gaines amincissantes, de robes moulantes qui entravent leurs mouvements, d’épilations intégrales, d’injections de botox. Les femmes pourraient bien sûr rejeter toutes ces contraintes et ne plus répondre aux attentes de la société, mais ce faisant, elles savent que la sanction d’une mise à l’index serait immédiate.

Le contrat socio-sexuel repose sur une dichotomie qui donne aux hommes satisfaction et plaisir exubérants, aux femmes douleur et inconfort silencieux. Les femmes sont éduquées pour dissimuler leur malaise et donner le change. Simuler l'orgasme malgré la douleur, soigner leur démarche malgré la torture infligée par leurs escarpins, supporter les mains baladeuses et les remarques sexistes de leurs collègues de bureau. 

Les hommes se demandent pourquoi de nombreuses femmes simulent les émotions sexuelles et l’orgasme.

Comprendre pourquoi une femme, ayant pris soin de se rendre séduisante avant un rendez-vous galant avec l'intention de prendre du plaisir, simule le moment venu, c'est comprendre que la réalité féminine est structurée autour de la tolérance à l'inconfort et de la capacité à trouver satisfaction dans le plaisir de l'autre.

Dès leur plus jeune âge, les filles sont habituées à être complimentées pour leur apparence, elles apprennent que leur valeur sociale dépend presque exclusivement du regard que l’on porte sur elles. Elles intègrent l’idée que leur plaisir réside dans le plaisir que prend l’autre à les regarder. On leur apprend aussi très tôt à être des hôtesses de qualité, donc de subordonner leur plaisir à celui d’autrui. Pour être valorisées et respectées, elles savent qu’elles n’ont d’autre choix que de susciter les bonnes réactions. Ce conditionnement à la "soumission" génère une difficulté d’appréciation lorsque, confrontées à une situation équivoque, elles doivent juger de ce qui est bon ou néfaste pour elles.

Dans un monde où l’intégrité psychologique et physique des femmes serait pleinement garantie, gageons qu’elles auraient plus de faculté d’opposition au déplaisir. Mais ce n’est pas celui dans lequel nous vivons. Dans notre monde, la première chose que l’on met dans la tête d’une fille est que sa défloration sera douloureuse et qu'il lui faudra prendre son mal en patience. Nous devons réfléchir à l’implication d’une telle initiation des filles à la sexualité et admettre qu’ensuite il puisse leur être compliqué de voir l’inconfort sexuel autrement qu'une expérience inéluctable. Et si vous acceptez de souffrir lors du premier rapport, pourquoi ne l'accepteriez-vous pas lors du second et ainsi de suite ? 

Pendant des siècles, les femmes ont ignoré leurs malaises, leurs douleurs et accepté le plaisir masculin comme l’objectif suprême de la relation sexuelle. Cependant, le sexe fort, pour lequel une mauvaise expérience sexuelle est synonyme d'ennui, qui monopolise toute l'attention de la médecine et au plaisir duquel la société est dévouée, prétend que les femmes sont trop sensibles et sur-réagissent quand on les presse trop ardemment.

Nous aimerions vivre dans une société qui accompagne les femmes sur un chemin de félicité plutôt que sur un parcours du combattant fait d’abnégation et de renoncement mais cela ne relève encore que de l'utopie. Quoi qu’il en soit, la prochaine fois que vous entendrez quelqu'un poser la question "Pourquoi n'est-elle pas partie sitôt qu'elle a senti que la situation dérapait", demandez-lui pourquoi après avoir passé des siècles à apprendre aux femmes à négliger leur confort, on leur reproche de s’accommoder de situations embarrassantes ?

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