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Violences conjugales : finalement, je suis partie...

Violences conjugales : finalement, je suis partie...

OSPHÈRES TÉMOIGNAGES - VIOLENCES CONJUGALES

Violences conjugales : finalement, je suis partie...

Le désordre des choses.

J’avais un peu plus de 18 ans, et déjà toute une vie déroulée tel un vieux parchemin, plus ou moins lisible et même effacé par endroits, allez savoir pourquoi. Du plus loin que je me souvienne, des pans entiers d’une existence tourmentée. Jusqu’à cette époque où le sein de ma mère me semblait si gros, les chats de ma grand-mère de véritables tigres. Et ce petit soulier de la poupée de porcelaine, qui m’était chaque fois promis si je finissais cette satanée soupe de vermicelle ! Je ne me souviens pas l’avoir jamais chaussé, il était pourtant à ma taille. C’est étrange les souvenirs, comme certains vous poursuivent et d’autres vous fuient. Ils sont pourtant notre identité, ils font de nous qui nous sommes et surtout, qui nous croyons être. Alors finalement, en être arrivée là, c’était sans doute dans le désordre des choses. 

La violence, c’est un peu comme une maladie chronique dont on ne peut jamais se débarrasser tout à fait, tout au moins pas toute seule. Le plus souvent, tout recommence, encore et encore.. et avec le temps, on finit presque par trouver ça normal, alors on s’adapte. Si aujourd’hui je connais ces mécanismes, à l’époque, je les ignorais mais une chose est sûre : je venais de rencontrer mon "père", un homme violent, porté sur l’alcool et les drogues dures. 

Acte 1 : les prémices

On dit qu’avec les violences conjugales, tout commence presque toujours comme un conte de fées, mais parfois, les choses commencent mal dès le départ ! Passés les premiers instants de la rencontre, il s’était montré indélicat, les signaux furent nombreux, je les ai pourtant ignorés. Cet homme, de 12 ans mon aîné, charme de la trentaine, grand et plutôt séduisant, incarnait à mes yeux de gamine le mystère et l’élégance d’un certain idéal masculin. Je crois que c’est sur cette image que je suis restée figée un certain temps. On pourrait croire qu’après avoir été littéralement enlevée, séquestrée, frappée et à moitié violée par un homme qui avait mal pris ma décision de rompre, j’aurais compris, et qu’une fois en sécurité, j'aurais définitivement coupé les ponts. Mais je n’ai pas compris, rien de tout ça n’avait le moindre sens, j’étais comme déconnectée, incapable de réfléchir. Et puis, il s’était confondu en excuses, il avait fondu en larmes, imploré mon pardon, promis que ça n’arriverait plus jamais et m'avait même demandée en mariage. J’ai cédé, j’ai voulu y croire, je l’aimais. Cinq ans de vie commune et deux enfants plus tard, ce qui devait arriver, arriva. 

Acte 2 : le déclencheur

Des mois, des années de brimades, de maltraitance psychologique, d’isolation, de mépris, jamais la moindre attention, le moindre témoignage d’amour. J’avais à peine 23 ans et j’étais enfermée dans un schéma de vie austère, sans lumière, sans couleur. Je me sentais sombrer, m’enfoncer, suffoquer. Anxiolytiques et antidépresseurs sur la commode du salon, toujours dans mon champ de vision… En filigrane, la question d’une "prescription" définitive. Impossible ! J'étais une mère, j'étais celle qui devait tenir. Puis, un rêve dont chaque détail est encore près de trente ans plus tard, gravé dans ma mémoire. Je me trouvais sur le toit d’une maison en ruine, une charpente d’un bois flambant neuf, un jaune pâle presque ensoleillé. Sur le sol de la maison, des gravats, les murs intérieurs étaient détruits. Moi, d’un côté du faîtage et de l’autre côté, mes enfants, leur père et ses parents, je devais traverser. Au début, j'avançais d’un pas assuré mais au beau milieu du chemin, j'ai regardé en bas et commencé à vaciller, manquant de tomber. Immédiatement, j'ai compris que je devais surmonter ma peur du vide et me suis ressaisie, ai repris mes esprits et continué la traversée. Le rêve s’acheva à cet instant précis, et je me réveillai avant même d’avoir atteint mes enfants. J’avais compris, je me suis rendormie aussitôt. Le lendemain matin, je me suis levée avec le sentiment de savoir exactement ce que je devais faire et pour la première fois, je n'avais plus la moindre hésitation. Si je ne voulais pas tomber, m’écraser au sol et tout perdre, je devais reprendre le contrôle de ma vie, continuer mon chemin vers mes enfants, pour mes enfants.

Je l’ai annoncé le jour même à leur père, mais la traversée n’était pas terminée. Nous avons cohabité pendant plusieurs mois, en attendant qu’une solution de logement se présente à moi. Scènes, psychodrames, chantage au suicide, violence, rentrant plusieurs fois entre deux pompiers ou gendarmes, voiture au fossé, aviné et ensanglanté, monsieur jouait les victimes et me rendait responsable. Puis, la providence, une femme séduite par cette jolie petite maison de campagne, travaillait à l’ODHAC. Mon dossier s’est très vite retrouvé en haut de la pile. Finalement, une semaine plus tard, je suis partie, emménageant dans un nouvel appartement, terriblement vide.

J’avais fait le choix de ne pas travailler pour m’occuper de mes enfants jusqu’à leur scolarisation. Sans travail, sans argent, sans voiture, sans aucun bien, meubles, électroménager, il fallait tout recommencer, ou plutôt tout commencer. Je me souviens de ce réchaud de camping, seul moyen de cuisson et de préparation des biberons du tout petit, de quelques meubles donnés par ma famille, quelques amis que j’avais retrouvés. Lui, avait tout gardé et entreposé chez ses parents, où il était revenu vivre. J’ai dû assurer seule le déménagement, séparer linge, objets, vaisselle, débarrasser grenier, cave et hangar à bois. Lui avait été hospitalisé, maladie du légionnaire. Pendant un temps, et lorsqu’il était “clair”, il a continué à voir les enfants, le week-end chez ses parents. Parfois, il venait en semaine frapper à ma porte, sous l’emprise de drogues et demandais à dormir dans le canapé. Comme une automate, j’acceptais, la peur au ventre. Avec le temps, ses visites se sont espacées, puis ont cessé. Mais bientôt, et face à plusieurs menaces d’enlèvement, il m’a fallu organiser la question juridique de la garde des enfants. Après un temps qui m'a paru interminable, cela aussi est rentré dans l’ordre. Finalement, j’ai atteint l’autre côté du faîtage. Finalement, je suis partie.

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