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Viols et agressions sexuelles, la justice doit être réformée

Viols et agressions sexuelles, la justice doit être réformée

Alors que l’on pouvait croire que la parole s’étant libérée nous allions vers une meilleure appréhension de la souffrance des victimes, de la nature extrêmement traumatisante des atteintes à l’intégrité sexuelle, il n’en est rien. La honte n’a toujours pas changé de camp.

Viols et agressions sexuelles, la justice doit être réformée

Pour une réelle prise en charge des victimes de viol, c'est tout le système judiciaire qui doit être réformé.

Le 19 mars 2020, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris  confirmait une ordonnance de non-lieu partielle, rendue par le juge d’instruction, renvoyant un homme poursuivi pour viols et agressions sexuelles aggravées devant le tribunal correctionnel sous la seule prévention d’agression sexuelles aggravées. Mme L.F, partie civile, a aussitôt porté l'affaire devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, laquelle après en avoir délibérée a rendu l’arrêt suivant :



Les éléments constitutifs du viol : de la lettre à l'esprit d'interprétation.

Le 10 novembre 2020, la chambre criminelle de la cour de cassation a donc entériné une interprétation de la notion de viol qui, si son arrêt faisait jurisprudence, serait potentiellement désastreuse pour les victimes. Au sens de la loi le viol est « tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. » Mais les hauts magistrats ont décidé de suivre les motivations de l’arrêt de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris et son étrange appréciation des éléments constitutifs d’un viol. 

En retenant les notions de profondeur de pénétration, d'intensité, de durée et de mouvement, comme compléments à la qualification de viol, la cour de cassation a de facto ouvert la boite de Pandore. Pire, elle a transgressé l’esprit d’une loi qui visait expressément à n’exclure aucun type et forme de pénétration. En tout état de cause, la justice par l’intermédiaire de ses plus hauts magistrats, démontre une nouvelle fois que son incapacité endémique à la protection des victimes de violences sexuelles n’est pas une vue de l’esprit. Pour les agresseurs c'est une bonne nouvelle et nombre d’entre eux pourront compter sur l’opportunisme de leur avocat pour faire commuer leurs comportements sexuels criminels en d'autres seulement délictueux. En d’autres termes, leurs viols en agressions sexuelles. D’un côté les assises, de l’autre la correctionnelle. Ce n’est pas le même tarif. Alors que l’on pouvait croire que la parole s’étant libérée nous allions vers une meilleure appréhension de la souffrance des victimes, de la nature extrêmement traumatisante des atteintes à l’intégrité sexuelle, il n’en est rien. La honte n’a toujours pas changé de camp. 

Mieux former les acteurs judiciaires aux violences sexuelles est une nécessité absolue.

Cet arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, pour incompréhensible, scandaleux et dangereux qu'il soit, met en exergue une problématique qu'il faut résoudre en urgence : l'absence de formation des juges en matière de sexualité et de violence sexuelle. En l'espèce nous pouvons nous montrer dubitatifs sur leur connaissance de l'appareil génital féminin. S'il a été retenu que le prévenu caressait le vagin de sa belle-fille, nous nous demandons comment la chose a été possible sans pénétration, à moins de confondre la vulve et le vagin, ce qui semble le cas en l'occurrence. Par ailleurs en inventant le concept "de pénétration volontaire au-delà de l'orée du vagin" pour définir ce qui relève ou non d'une pénétration vaginale non consentie, les juges ont fait dans la confusion la plus complète. Une pénétration en deçà de l'entrée (l'orée) vaginale est un non-sens sexologique. En clair soit l'agresseur a pénétré sa victime, soit il ne l'a pas pénétrée, mais l'entre deux n'existe pas.

Par ailleurs le terme "volontaire" induit une nuance de taille, laissant penser qu'une pénétration involontaire pourrait ne pas être retenue comme élément constitutif du viol. Enfin, les facteurs de profondeur, d'intensité, de durée et de mouvement, s'ils devaient imposer leur subjectivité dans la définition du viol, réduiraient à néant l'espoir des victimes de faire reconnaître la nature exacte de leur agression.

Ce jugement n'est hélas pas un cas d'espèce. Il est symptomatique d'une incapacité notoire de la justice à caractériser correctement et donc punir le crime de viol.

Le 7 novembre 2017 les jurés de la cour d'assises de Seine-et-Marne ont acquitté un homme, 22 ans au moment des faits, accusé de viol sur une mineure de 11 ans, car les éléments constitutifs du viol, menace, violence, contrainte ou surprise, n'avaient pu être établi et qu'existait un doute sur le fait que l'accusé avait eu conscience de contraindre la jeune fille. En début d'année, le parquet s'est tristement distingué en requalifiant le viol d'une collégienne de 11 ans en "atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans" au prétexte que la plaignante, qui faisant plus que son âge (sic), avait consenti à la relation sexuelle. Il aura fallu un éclair de lucidité de la part du tribunal correctionnel de Pontoise, se déclarant incompétent en l'affaire, pour que l'accusé n'échappe pas à la cour d'assises. En 2019, le tribunal correctionnel de Saint Malo, avait condamné le père d'une fillette de 4 ans pour atteinte sexuelle, en lieu et place d'agression sexuelle, au motif qu'il n'y avait pas eu de violence, de contrainte, de menace ou de surprise, laissant entendre en filigrane que la petite victime était consentante.

Pour apprécier et juger correctement des situations aussi complexes que celles des violences sexuelles, notamment celles qui visent les enfants, il serait donc opportun d'envisager la création d'une juridiction spécialisée dans le domaine comprenant :

  • des magistrats formés en psychotraumatologie et notamment aux concepts d'état de sidération psychique  ;
  • des tribunaux pour juger des actes délictueux ;
  • des tribunaux pour juger des actes criminels, qui ne seraient pas organisés comme des cour d'assises, mais dont les jurés seraient constitués d'un collège de spécialistes en criminologie et victimologie (psychiatres, psychologues...)
  • des Cours d'appel et Cours de cassation dédiées.

En outre, la notion de consentement, pierre angulaire d'une nouvelle approche des violences sexuelles, reste suffisamment ambigüe pour générer des doutes dans l'esprit de magistrats.es peu au fait de ses subtilités. Car l'on peut consentir sans savoir précisément ce à quoi l'on consent, principalement dans l'hypothèse où les victimes sont jeunes et sans conscience des tenants et aboutissant d'une proposition sexuelle. De fait il conviendrait de fixer une présomption irréfragable de non consentement pour les mineurs.es de moins de quinze ans et d'encadrer les relations entre mineurs.es comme le préconise une proposition de loi en date du 21 janvier 2020. 

Cette énième affaire de correctionnalisation, de déqualification d'un crime de viol en délit d'agression sexuelle, nous montre que l'influence de la culture du viol est encore suffisamment puissante pour que la balance judiciaire continue de pencher en faveur des agresseurs et que la réalité des conséquences des violences sexuelles, qui affectent les victimes leur vie durant, soit lamentablement occultée. 

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