Au delà de la sexualité, s'émouvoir de la vie
La plainte sexuelle est de nature ontologique, c'est une plainte de l'existence, une plainte de l'être.

En jouir, mais en quel honneur ?
La sexualité érogène ne serait-elle qu’un champ de mines ? Un couple témoigne de la pénibilité de ses relations intimes. Le sexe les séduit, mais le sexe les déroute, le sexe les détruit. Le thérapeute constate : leur sexualité s’est appauvrie, raréfiée, crispée, enlaidie, l’insatisfaction sexuelle s’est commuée en casus belli. Ils sont au bord de la rupture et consultent en dernière instance. Comme nombre de couples ils ont couru après les solutions clé en main jusqu’à l’épuisement.
Faire l'amour entre l'obscène et le conflit
Alambiquée, ambiguë, incohérente, irrationnelle, l’appréhension occidentale de la sexualité érogène complexifie, notamment au sein du couple, l’analyse de ses dysfonctionnements. C’est en réalité sous le feu d’injonctions esthétiques, sociales et morales contradictoires que les partenaires sont sommés de s’épanouir : entre le beau et le laid, la joie et la culpabilité, le plaisir et le dégoût. Parce qu’il a été décrété qu’il prospérait dans l’ombre inquiétante de la scène primordiale, reproductive, l’hédonisme sexuel a pris, sous l’autorité de l’église catholique, la couleur de l’obscène. Historiquement ob/scènes, immoraux, l’exhibition et l’exercice, de la sexualité érogène restent marqués les stigmates du sale, du répugnant, du dégoûtant. Le malaise est perceptible, le rapport à la jouissance obscur, ténébreux, les désillusions s’enchaînent.
L’espace relationnel dédié à l’amour, au faire l’amour, est aussi celui où se cristallisent les rancœurs, se fomentent les vengeances, se déclarent les conflits et s’exercent les pires atrocités. Le malfonctionnement des relations intimes, n’est pas qu’à de rares exceptions le symptôme d’une incompatibilité érotique ou d’une condition médicale. La dégradation relationnelle malmène plus brutalement les expériences intimes que ne le feraient le manque de savoir-faire, les fantasmatiques dissociées, les gestes maladroits.
La sexualité n’est observable qu’en tant que partie d’un ensemble d’interactions relationnelles aussi bien motivées par la bienveillance, l’empathie, l’amour, la joie d’être ensemble, que l’incompréhension, le ressentiment, la jalousie, la haine. La relation se nourrit de vécus émotionnels qui lui ouvrent ou lui ferment des portes. De la façon dont le couple aborde les expériences de la vie, dont il les traverse, dont il en ressort, dépend le vouloir vivre "encore" ensemble, le vouloir encore jouir ensemble de la vie. La sexualité ne s’exonère pas des conséquences des expériences ratées, des absences, des négligences, des indifférences, ni des sentiments qui en découlent.
Converger en émotion
Chaque couple dispose d’un espace de convergence émotionnel, potentiellement dynamique, contenant tout ce qui est partagé de goûts, de gourmandises, d’admirations, de passions, mais aussi de dégoût, de répulsion, d’antipathie, d’épouvante, etc… C’est un espace unique, précieux, qui recèle les motivations naturelles pour avancer, grandir ensemble. Peu importe que ce soit le tango argentin, les voyages, les arts, la gastronomie, les bals discos, les balades en forêt ou les couchers de soleil, quand l’idée est d’exploiter une capacité à l’émotivité partagée, de dynamiser un capital de convergence, de complicité, émotionnelle.
C’est un constat, nombre de couples se séparent faute d’avoir su exploiter leurs ressources naturelles ou d’en avoir abandonné l’idée en cours de route. On ne répondra pas à une doléance d'aridité, de discordance érogène en priorisant la question du geste, des pratiques et/ou du contexte érotique. Un couple qui ne partage plus rien d’émotionnellement gratifiant, ne peut ambitionner re-faire des miracles au lit. Un couple qui ne s’émeut plus de concert, ne sait pas ou plus jouir de la vie, ne peut revendiquer une bonne connexion érogène, c’est finalement assez logique. C’est pourquoi, la capacité à l’émotion commune, en dehors de la scène érotique, doit faire l’objet d’une première attention. Les demandes incongrues, irrecevables, les gestuelles déplacées, maladroites, contre-productives, les dysfonction érectiles, les anorgasmies, ne seront que marginalement le sujet des thérapies. Tous les composants de la sexualité érogène portent leur lot de désagréments quand la complicité émotionnelle déserte le champ relationnel. Les rendez-vous manqués ne sont que les symptômes d’une discordance, une incompréhension émotionnelle acquise, qui elle doit être prise en charge.
La plainte au-delà du sexuel
La modernité vend du prêt-à-jouir, le fantasme d’accéder au bonheur à moindre coût. La jouissance s’est démocratisée et par là-même banalisée. Insidieusement les doléances sexologiques contemporaines se sont articulées autour de l’idée qu’existerait un droit à la jouissance légitimant l’expression d'insatisfactions. Mais en quel honneur veut-on en jouir ? Que met-on en place, en termes de réflexion, d’échanges, d’expériences, de complicité, de désirs partagés, pour revendiquer le droit d’en jouir ? Doit-on s’étonner que le cahier des plaintes se remplisse des mots, manque, absence, oubli, pénibilité, routine, ennui, douleur, souffrance quand la demande d’extase pense pouvoir se satisfaire de l’acquisition de gestes performants et de pensées libertaires ? Est-ce la question de la liberté ou celle du sens ? Est-ce le "comment faire" ou le "pour quoi faire" qui doit retenir l’attention ?
La doléance sexuelle est de nature ontologique, c’est une plainte de l’existence, une plainte de l’être et la quête du sens est l'objet de la consultation. Quel sens chacun des partenaires souhaite-t-il donner à sa vie ? Quelles ambitions émotionnelles se voit-il réaliser ? S'organise-t-il pour jouir de la vie à deux ? Aime-t-il jouir de l'existence partagée ? Qu'est-ce qui interdit le bonheur d'être ensemble ? La sexologie ne s'intéresse pas à la santé sexuelle, qui est l'affaire des prescripteurs de pilules, mais à la radiance d'exister, au talent pour s'inventer une vie personnalisée, alimenter le désir de jouir ensemble et finalement à l'ambition de trouver le sens au-delà de la sexualité.
* Crédit illustration : Alba Hodsoll.
{reply-to}{comment}{status-info}
Poster un commentaire