BDSM : viols et agressions sexuelles en milieu bdsm
Prévention BDSM - S'il est déjà particulièrement difficile pour les victimes de viols et d'agressions sexuelles de faire entendre leur voix dans des contextes plus "classiques" comment, après avoir consenti à des relations sexuelles impliquant coups et blessures, situations de domination, simulation de viol, exhibitions forcées, esclavagisme sexuel etc. peuvent-t-elles espérer être entendues ?

Viols et agressions sexuelles en milieu BDSM. Quels recours pour les victimes ?
Pour donner suite à notre précédent article relatif aux situations de viols et d'abus sexuels commis dans le cadre de pratiques BDSM, nous aborderons ce chapitre du point de vue généraliste, c'est-à-dire en dehors de toutes considérations relatives aux pratiques BDSM, parce que nous pensons que, quels que soient leurs contextes, les violences sexuelles ne doivent faire l'objet d'aucune justification. Comme nous le savons, il est déjà très difficile pour les victimes de violences sexuelles commises dans un contexte "ordinaire", de faire entendre leur voix. Systématiquement, leur parole est remise en cause et fait l'objet de suspicion, voire d'inimitié de la part de personnes supposées les prendre en charge, les protéger, les écouter, ce qui amplifie considérablement leur souffrance, les conduisant parfois au suicide. Nous imaginons donc aisément ce qu'il en coûte de dénoncer un viol ou une agression sexuelle dans le cadre de jeux BDSM, alors que la notion de consentement y est théoriquement présente et que selon la loi, la démonstration de son absence doit être faite dès les premiers instants de la procédure, au risque de voir la plainte immédiatement classée sans suite. Il semble qu'il existe un vide juridique écrasant en matière de prise en charge des victimes de violences commises dans le cadre de pratiques sexuelles hors normes, alors que plus qu'ailleurs, les prédateurs sexuels y sont présents. Lorsque nous aurons passé en revue tous les éléments relatifs aux scénarios d'agressions sexuelles les plus courants, nous tenterons de les transposer aux situations et contextes atypiques propres au milieu BDSM.
Dans un souci de rigueur intellectuelle et de méthodologie, nous définirons quelques termes dont la signification juridique est parfois mal comprise et qui qualifient les faits de violences sexuelles en tant que crimes (viols) ou en tant que délits (agressions sexuelles). Pourquoi cette différenciation ? Parce que nous verrons que tout réside pour la victime dans cette qualification, essentielle à l'application des peines et qui contribuera à son processus de guérison, déterminera le sort de l'agresseur et par extension, le sien.
Les différentes catégories d'infractions, viols et agressions sexuelles.
- Le viol (Art 222-23 à 222-26 du code pénal) : "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise."
Le viol est un crime jugé en cour d'assise, passible d'une peine de 15 ans de réclusion criminelle et de 20 ans lorsque des circonstances aggravantes ont été retenues contre leur auteur.
Délai de prescription : 10 ans pour les personnes majeures (jusqu'à 20 ans après la majorité dans le cas d'un mineur)
Les actes qualifiés de viols : les pénétrations vaginales, anales ou buccales faites avec le sexe, le doigt ou un objet.
- L'agression sexuelle (Art 222-27 du Code Pénal) : "Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise."
L'agression sexuelle est un délit relevant du tribunal correctionnel. Les agressions sexuelles autres que le viol sont punies de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende et jusqu'à 7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende en présence de circonstances aggravantes .
Délai de prescription : 3 ans (jusqu'à vingt ans après sa majorité dans le cas d'un mineur).
Les actes qualifiés d'agressions sexuelles : peuvent relever de l'agression sexuelle, par exemple, des caresses non consenties sur la poitrine ou sur les fesses, des baisers forcés ou des attouchements sexuels. Dans tous les cas, lors des poursuites, l'absence de consentement de la victime doit être démontrée.
Tout d'abord, il faut savoir que souvent hélas - et bien que le droit français les reconnaissent en tant que viols - les fellations et les pénétrations digitales ne sont pas toujours considérées comme des viols et donc des crimes, mais sont souvent requalifiées en agressions sexuelles. Le droit est pourtant clair : le viol est défini par le Code pénal (article 222-23) comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise.
D'autre part, la notion de contrainte, notamment psychologique, pourtant centrale dans la prise en compte de la qualification du viol est le plus souvent minimisée, occultée, voire niée de façon aberrante. Pour exemple, le viol d'une fillette de 11 ans requalifié en "atteinte sexuelle" par le Parquais de Pontoise, ayant estimé que l'enfant était consentante ! La docteure Muriel Salmona s'insurge :
Non, une enfant de 11 ans ne peut pas être présumée consentante à des pénétrations sexuelles par un homme de 28 ans, c'est un viol ! Comment peut-on en être arrivés là ? Par quel système de pensée pervers en arrive-t-on à un tel aveuglement ? Il est effectivement inimaginable qu'on puisse, en France, en 2017, considérer qu'une enfant de 11 ans puisse être présumée consentante à des actes de pénétrations sexuelles et que l'homme de 28 ans qui lui a fait subir ces actes ne soit pas considéré comme un pédocriminel et jugé en cour d'assises pour viol aggravé sur mineur de moins de 15 ans, passible d'une réclusion criminelle de 20 ans.
Mais pour le Parquet de Pontoise, la réponse semblait évidente : les magistrats ont en effet estimé qu'il n'y avait pas eu contrainte, et donc pas eu viol, attendu qu'à aucun moment la fillette n'avait manifesté d'opposition. En conséquence de quoi il a décidé de poursuivre le violeur devant le tribunal correctionnel seulement pour "atteinte sexuelle sur une mineure de moins de quinze ans", ce qui dans les faits, revient à nier purement et simplement la réalité du viol. En effet, se fondant sur l'article 227-25 du Code pénal, le ministère public a estimé que dans le cas d'espèce, il n'y avait eu ni violence, ni contrainte, ni menace, ni surprise.
Au contraire, Me Carine Diebolt, avocate de la plaignante dénonce la contrainte exercée sur l'enfant :
Dans ce dossier on peut retenir l'absence de consentement et tous les critères qui fondent l'agression sexuelle, sinon le viol : "la contrainte morale" (résultant de la différence d'âge), "l'effet de surprise", "la violence" (il s'est montré agressif dans l'ascenseur) et même "la menace" (il a menacé de ruiner sa réputation dans la cité si elle parlait).
Mais pour l'avocat de l'agresseur, Me Marc Goudarzian, la seule question qui devrait se poser serait de savoir si son client connaissait l'âge de la fillette au moment des faits (comme si l'âge validait de facto, et à lui seul, le consentement !), alors que ce dernier n'a pas nié avoir eu connaissance, quelques jours avant l'agression, du carnet scolaire de la jeune victime qui mentionnait son âge. Pour seule défense, le violeur a pensé se dédouaner de l'agression en précisant que la petite fille était déjà pubère !
Résultat : le procès qui devait avoir lieu le 25 septembre 2017, a été reporté au 13 février 2018 à la demande de la défense pour vice de forme, sans que le problème de fond de la déqualification de viol en atteinte sexuelle et de l'incompétence du tribunal correctionnel puissent être abordé. Pourtant, à l'issue de l'audience du 13 février, le tribunal correctionnel a décidé de se dessaisir du dossier et demandé au parquet de "mieux se pourvoir", l'incitant ainsi à nommer un juge d'instruction et ouvrir une information judiciaire. Si les faits de viol sont qualifiés, l'affaire se retrouvera alors devant une cour d'assises.
Une fois encore, la victime - ici une petite fille de 11 ans - subit en plus du viol, la négation de sa souffrance. Les mythes qui accompagnent le viol, qui devrait être perçu comme un phénomène de société et non plus comme un simple fait divers, ont la peau dure. "Elle l'a cherché" ... "elle n'a pas été violée puisqu'elle ne s'est pas défendue, enfuie, elle n'a même pas crié ! " Dans le cas présent "elle n'avait pas froid aux yeux puisqu'elle a envoyé des photos d'elle dénudée" etc. Tous ces stéréotypes constituent pour partie ce que l'on nomme "La culture du viol", expression que l'on rencontre fréquemment dans la presse féministe et sur internet. Ce terme définit un phénomène de société de plus en plus visible et pourrait se résumer à ce titre de l'Obs : "La culture du viol ou quand la victime devient coupable." Un clip vidéo posté sur le site stopaudeni.com illustre remarquablement ce schéma culpabilisant, menant dans 70% des cas, au classement sans suite des plaintes pour viol.
Clip vidéo publié sur stopaudeni.com : "Et pourtant c'était un viol"
Du point de vue de sa définition, la notion de culture du viol est un concept sociologique forgé aux États-Unis et utilisé pour qualifier le lien entre les rapports sexuels non consentis et le tissu culturel d'une société.
L'utilisation du terme culture suggère l'existence d'un schéma comportemental appris qui a été créé, organisé et transmis d'une génération à l'autre relayant les attentes associées au fait d'être un homme ou d'être une femme. La culture du viol se manifeste à différents degrés, allant de l'institutionnalisation du viol jusqu'à sa punition, quand on peut la considérer comme seulement de façade. Dans sa forme la plus véhémente, la culture du viol se traduit par le fait que les hommes considèrent les femmes comme leur propriété et leur refusent autant le respect que le droit de contrôler et maîtriser leur corps.1
La dynamique culturelle d'une société dans laquelle prévalent des attitudes et des pratiques tolérant, excusant, voire approuvant le viol, peut s'assimiler à un processus global de domination.2
La question des violences sexuelles, notamment faites aux femmes - puisque les chiffres démontrent qu'elles représentent près de 85% des victimes - soulève de nombreux questionnements, dont celui concernant le ratio plaintes/condamnations rapporté dans les cas de viol. En 2013, 11 510 plaintes déposées ont conduit à seulement 1 193 condamnations, dont on ne connait pas la nature. Mais nous verrons qu'il ne s'agit là que de la résultante d'un enchaînement d'analyses faussées par un manque de connaissances de base quant aux fonctionnements psychiques des victimes.
La "culture du viol" pouvant se définir comme une grande manufacture du déni, est à l'origine du constat catastrophique révélant des chiffres effrayants quant à la connaissance même des Français d'un phénomène de société qu'ils entretiennent eux-mêmes plus ou moins consciemment, voire plus ou moins volontairement pour certains d'entre eux. Le refus de considérer le viol et le violeur pour ce qu'ils sont, la remise en cause quasi-systématique de la parole des victimes conduisent à les réduire au silence et les enfermer dans une souffrance muette dont trop ne sortiront jamais, ou peut-être seulement les pieds devant !
Par quel renversement accusatoire pervers s'opère la stigmatisation des personnes violées ? Par quel réflexe d'aveuglement en arrive-t-on à minimiser, voire à refuser jusqu'à la qualification du viol ? Parce que les rouages infernaux de cette machine à broyer les plus vulnérables sont des plus efficaces, tout s'articule de façon à ne pas voir tel qu'est le monde dans lequel nous vivons et dans lequel vivent nos enfants. Une sorte de "science du déni", en laquelle excelle une société au paroxysme de son potentiel contradictoire, enferme hermétiquement les plus faibles dans leur propre souffrance, et assure ainsi l'impunité des agresseurs.
Le traumatisme ne s'arrête pas avec la fin de l'agression.
Bien sûr pour la victime, le traumatisme perdure et se cristallise dans un mécanisme de défense psychique inconscient bien connu de la psycho traumatologie, matière qui n'est toujours pas enseignée en fac de médecine en dépit de son caractère déterminant quant à la prise en charge des victimes. Les professionnels de santé (médecins généralistes, psychiatres, experts judiciaires), parce qu'ils n'identifient pas les syndromes de sidération et de dissociation, vont orchestrer le scénario kafkaïen auquel seront confrontées les victimes.
Comme nous l'avons vu au chapitre précédent, lors d'une situation de viol, la victime est plongée dans un état de sidération psychique, elle ne peut plus, ni dire non, ni crier, ni s'enfuir. Lorsqu'il Iui sera demandé comment elle s'est retrouvée dans cette situation, quelles ont été ses réactions, a-t-elle crié, s'est-elle débattue ? "Non je n'ai pas crié, j'avais peur, il me menaçait… peut-être, je ne sais pas… je ne me souviens plus…" seront souvent les réponses apportées par une victime en état de choc qui finira par douter d'elle-même et se demander si elle était ou non consentante. Car l'une des conséquences psychotraumatiques du viol est l'amnésie lacunaire, plus précisément nommée "ictus amnésique lacunaire". Cette forme d'amnésie est l'expression d'une souffrance neurologique qui génère les "trous noirs", allant de quelques secondes à plusieurs heures et même englober des faits antérieurs au traumatisme, décrits par les victimes. Le docteur Salmona rassure néanmoins :
Les atteintes neuronales ne sont cependant pas définitives ; avec la prise en charge et un traitement spécialisé de la mémoire traumatique, il peut y avoir une neurogénèse (naissance de nouveaux neurones) et une poussée dendritique dans les zones atteintes, et certains faits pourront être retraités par l'hippocampe et devenir une mémoire autobiographique.
Hélas, pour la machine judiciaire souvent ignorante des conséquences psychotraumatiques des violences sexuelles, les déclarations d'amnésie des victimes sont perçues comme autant de raisons de classer sans suite les plaintes pour viol ou, au mieux, de les déqualifier en agressions sexuelles, ce qui arrive dans 70% des cas. Quant aux expertises psychologiques, elles aboutissent le plus souvent à des diagnostiques de névroses ou de psychoses en présence de symptômes relevant pourtant de la psycho traumatologie tels que la dissociation, l'ictus amnésique, la sidération, les conduites d'évitement. Cela aura pour conséquence d'une part, de convaincre les magistrats de l'incapacité de la victime à porter un jugement cohérent sur les faits en utilisant contre elle les conséquences mêmes de l'agression et d'autre part, la prescription de médicaments alimentant le psychotraumatisme, attendu que tous les antidépresseurs, anxiolytiques, neuroleptiques sont des traitements dissociatifs. À défaut d'être prise en charge, soignée, protégée, la victime est rendue muette, hors service. Quant à l'agresseur, il jouit d'une impunité achevée.
Nous pouvons donc logiquement nous interroger quant aux suites données aux plaintes pour agression sexuelle ou pour viol déposées dans le cadre de pratiques BDSM et/ou sadomasochistes.
Comment une victime ayant consenti à des relations sexuelles impliquant coups et blessures, situations de domination, simulation de viol, exhibitions forcées, esclavagisme sexuel etc. peuvent-t-elles être entendues ? Après tout ce que nous venons d'exposer sur les situations de viols commis dans des contextes "courants", comment ne pas renoncer, à priori, à imaginer qu'il puisse exister une issue pour les victimes de violences sexuelles commises dans le cadre des relations BDSM ?
Le droit aux libertés individuelles, qui opère aussi dans le domaine des pratiques sexuelles hors norme (à partir du moment où elles sont consenties et qu'elles ne portent pas atteinte aux libertés d'autrui), est supposé prémunir les victimes d'agression sexuelle contre toute prononciation de non-lieu en raison de leurs préférences sexuelles. Mais dans les faits, le sont-elles vraiment ? Difficile de se leurrer sur les réactions des amis, de la famille, des collègues de travail et surtout de la machine judiciaire dans les cas de violences sexuelles subies par une femme ayant fait de ses dernières son moteur érotique. De plus nous pouvons nous demander combien de victimes ont osé entamer et mener à leur terme une procédure judiciaire ? Nous avons déjà noté toute la difficulté pour réunir des témoignages de bdsmeur(e)s victimes de violences sexuelles sur des espaces où la parole pouvait être libre, ce qui laisse à penser que si elles peu à s'être exprimées sur des sites dédiés, le nombre d'entre elles à avoir porté plainte doit être infime. Nous avons tenté d'entrer en relation avec plusieurs associations de victimes de violences sexuelles pour connaître leurs positions, sans réponse, nous en avons déduit que le sujet est possiblement dérangeant. Mais nous espérons toutefois parvenir un jour à nous rapprocher de ces différents organismes afin de les sensibiliser sur la question des agressions sexuelles et viols commis dans le cadre de relations D/s qui, après tout et exception faite des pratiques sexuelles, ne sont pas très différentes des relations conjugales classiques.
1 - George Ritzer et J. Michael Ryan, The Concise Encyclopedia of Sociology, Wiley-Blackwell, décembre 2010 (ISBN 978-1405183529), p. 493
2 - John Nicoletti, Sally Spencer-Thomas et Christopher M. Bollinger, Violence Goes to College: The Authoritative Guide to Prevention and Intervention, Charles C Thomas, octobre 2001 (ISBN 978-0398071912), p. 134.
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