De l'Amour ou du désir ?
L'Amour est à la passion amoureuse ce que la prière est à la foi, la voie de passage du trivial au spirituel, du profane au sacré.

Aimer envers et contre tout
Amour ou désir ? La question ne se pose généralement pas et pourtant... c'est à l'aulne de la lassitude, de la séparation ou du divorce qu'éclate la vérité des sentiments éprouvés. Dans les premiers temps de la relation, happés par le tourbillon émotionnel du coup de foudre, les amants se promettent un amour éternel. Mais personne ne leur a dit est que le désir est le catalyseur d'une réaction émotionnelle intense mais éminemment éphémère. Contrairement à ce qu'ils croient à cet instant des promesses, s'unir pour la vie n'a rien de naturel. Car d'un point de vue anthropologique le désir s'inscrit dans le processus primordial de la reproduction et de la perpétuation de l'espèce qui privilégie le brassage génétique et conséquemment la multiplicité des partenaires. Pour envisager un horizon à leur coup de foudre, ouvrir des perspectives épanouissantes à une vie monogame, il leur faudra surmonter leur part du singe et espérer que leur rencontre passe le cap de la passion amoureuse. C'est alors que l'amour pourra alors se révéler pour ce qu'il est vraiment : une expérience métaphysique, spirituelle, fondamentalement humaine, une sublimation du désir d'être ensemble.
Attirance et désir
On ne peut parler du désir sans mentionner que sa manifestation se situe en aval de l'attirance, de la séduction. C'est parce l'on perçoit chez l'autre des caractéristiques séduisantes que l'on est porté à le désirer. Mais l'attirance n'est pas une simple affaire de goût personnel. Le choix du ou de la partenaire est la plupart du temps motivé par des facteurs plus obscures et instables qu'il n'y parait.
La beauté physique, par exemple, est un critère de sélection qui dépasse la simple notion de préférence esthétique. De nombreuses expériences ont montré qu'elle est inconsciemment interprétée comme un marqueur de bonne santé, donc d'une potentialité à générer une descendance à même de renforcer la vitalité de la famille et de la communauté dans laquelle elle évolue. "Le beau" est un critère de sélection archaïque intrinsèquement lié la perpétuation de l'espèce.
Ce n'est que dans sa dimension civilisée que le beau se confond avec l'esthétique, autrement dit avec des représentations socialement valorisées de l'apparence. C'est ainsi qu'avoir le look, être stylé.e, avoir le swag, permet de se distinguer de la masse, d'être attractif et d'accroitre son pouvoir de séduction. Sur un plan plus subtil, la beauté se commue en beauté intérieure : gentillesse, générosité, empathie, grandeur d'âme, intelligence, spiritualité, et à ce titre renvoie au concept des Quatre beautés qui marquent l'importance que les femmes chinoises portent à l'esprit, la connaissance et l'intelligence.
Les atouts socio-professionnels tels que le statut social, la réussite professionnelle, la renommée, présentent pour un certain nombre d'individus un fort potentiel de séduction. Le choix du ou de la partenaire est alors déterminé par une plus-value en termes de reconnaissance sociale, de valorisation de l'égo, ou par la volonté de sécuriser sa vie et celle de sa descendance.
Les quatre beautés de la Chine antique
L'attirance peut résulter de mécanismes inconscients prenant racines dans les confins du psychisme. L'identification du ou de la partenaire au père, à la mère, est l'un des plus fréquents, qu'il s'agisse de rechercher son identique ou son contraire. Bien que ce soit plus rare, la mémoire traumatique a le pouvoir de modeler les critères d'attirance et de systématiquement orienter le choix de la personne concernée vers des partenaires toxiques.
Lorsque le choix du ou de la partenaire s'est fondé sur des critères périssables, la beauté, l'apparence ou le statut socio-professionnel, la relation de couple est par définition soumise aux aléas du temps et de la vie, elle est donc précaire. Ce n'est qu'à la condition de trouver un domaine de complicité qui crée des liens pérennes qu'elle pourra se développer dans le temps. Il est certain que l'attirance basée sur des valeurs partagées est plus en phase avec l'idée d'une évolution positive de la relation.
La passion amoureuse et l'Amour
La passion amoureuse se caractérise par son intensité émotionnelle, mais surtout par l'intérêt exclusif et impérieux porté à l'autre. Elle peut subir différentes métamorphoses, de la plus désastreuse à la plus noble. Si elle entraine toujours une érosion du sens critique, elle s'accompagne parfois d'une perte du sens moral et à l'extrême d'une rupture de l'équilibre psychique.
L'érosion du sens critique conduit à valider le choix du ou de la partenaire alors qu'un certain nombre de voyants sont au rouge. De nombreux échecs se fondent sur ce défaut de jugement qui conduit à l'erreur relationnelle. Rappelons-nous que bien souvent nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais la jugeons bonne parce que nous la désirons.
D'une façon générale la passion amoureuse doit s'appréhender comme une hypertrophie des sentiments qui se résorbe sitôt que l'objet de désir accepte l'exclusivité relationnelle. En d'autres termes, une fois le désir de possession assouvi, que la relation de couple est installée dans une zone de confort, l'ennui remplace la passion et le couple meurt à petit feu. C'est pourquoi quelques thérapeutes conseillent de cultiver une zone d'inconfort, de titiller, avec subtilité, la jalousie de l'autre.
Lorsque l'objet de désir se refuse à la soumission, l'hypertrophie des sentiments prend une dimension pathologie. La passion amoureuse devient souffrance et celle ou celui qui l'endure s'égare dans des stratégies de conquête qui s'exonèrent de toute considération morale, de toute retenue. C'est alors que l'on assiste à des passages à l'acte : agression verbale, violence physique, voire enlèvement, séquestration, agression sexuelle et assassinat. Dans certains couples c'est tantôt l'un des partenaire tantôt l'autre qui s'ingénie à faire souffrir entrainant la relation dans une spirale délétère de conflits permanents.
Amour, passion etc.../ William Dubrulle.
La passion amoureuse est aveuglante et fugace, elle repose sur la quête de l'objet et s'alimente du désir de soumettre l'autre à l'exclusivité. Son caractère éphémère permet toutefois de comprendre qu'elle n'est qu'un prélude à un possible plus noble, une expérience spirituelle, fondée sur la quête du sens, une expérience qui se vit au-delà de l'attirance physique et du désir : l'Amour.
Aimer avec un grand A exclut de le faire de façon conditionnelle, possessive, en priorisant ses propres besoins et attentes, en pensant l'autre comme un objet de désir, en lui refusant la liberté d'être. De ce point de vue, il est d'autant plus facile de discerner la véritable nature des sentiments que l'on sera à même de s'interroger non plus seulement sur le désir, l'attirance physique, mais sur le degré d'implication que l'on est prêt à atteindre, envers et contre tous les aléas de l'existence. Qu'en sera-t-il de mes sentiments si demain la personne que j'aime est foudroyée par une attaque cérébrale, victime d'un accident de la route ou une maladie invalidante ? C'est à la lumière du dépassement de soi, du renoncement à la liberté d'être égoïste, du dévouement, de l'empathie, mais aussi du partage de la souffrance et des évènements désastreux, que se révèle l'Amour.
L'Amour est à la passion amoureuse ce que la prière est à la foi, la voie de passage du trivial au spirituel, du profane au sacré. Empreinte d'Amour la relation aura la force pour surmonter toutes les épreuves de la vie. Car ce sentiment ésotérique fait fi de l'immanquable enlaidissement des corps, de l'érosion du désir, de la maladie, de la vieillesse et de la mort. Peut-on imaginer plus grand accomplissement de son destin d'humain que de vivre une authentique histoire d'Amour ?
Crédit illustration : Monique Chapelay.
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