"De meilleurs orgasmes pour un monde meilleur" - Betty Dodson

Betty Dodson, "La mère de la masturbation".
Betty Dodson, 90 ans cette année, artiste peintre talentueuse, éducatrice sexuelle, coach en masturbation, auteure, infatigable militante du mouvement "Sex-Positive", est une nonagénaire hors du commun. D’une étonnante jeunesse d’esprit, le regard aussi vif que malicieux, elle ne se cache pas de boire un verre à l’occasion, de fumer quelques cigarettes et un peu de marijuana. Toutefois, elle attribue sa vitalité à une bonne hygiène de vie et surtout à la pratique régulière de l’orgasme.
La sexualité dans toutes ses dimensions est au centre de la vie de celle que l’on nomme affectueusement "La mère de la masturbation". En 1965, suite à l'échec de sa première et unique union maritale, elle trouve avec le concept d’amour libre, alors central dans le mouvement de libération sexuelle, l’opportunité d’aborder la sexualité sur un autre plan que celui de la monogamie pure et dure. Devenue militante féministe pro-sexe et convaincue que les femmes dans leur immense majorité ne connaissent pas la même fréquence orgasmique que leur partenaire, qu’elles simulent plus qu’elles ne jouissent, elle développe une théorie d’émancipation sexuelle basée sur la masturbation et pose les bases d’une nouvelle approche des relations intimes.
"Ceci exprime mon état émotionnel lorsque j'ai réalisé que je me dirigeais vers un mariage sexless avec un mari éjaculateur précoce" Mariage Sexless. B.Dodson. 1960.
Bodysex workshops et Sex for one.
Alors qu’elle manifeste une forte sympathie pour la prise de conscience des femmes du début des années 70, le glissement de l’idéologie féministe vers une mise en cause systématique des hommes et un positionnement anti-sexe la force à prendre quelques distances avec le mouvement. Dès lors son militantisme se concentre sur l’apprentissage de la jouissance et la découverte du corps. À cette fin elle crée les "Bodysex workshops", des ateliers où elle enseigne les subtilités de la masturbation qui permettent d’atteindre l’orgasme à coup sûr. Mais il n'y est pas question de fast-food sex, l’idée force étant d’inviter les femmes à devenir des gastronomes de la sexualité. Si l'onanisme occupe une grande partie des workshops, Betty Dodson souhaite qu'ils soient aussi des espaces où il est possible de parler de sexualité sans tabous et de célébrer la féminité. L'expérience des Bodysex workshop se veut transformatrice et à en croire les témoignages des participantes, elle l'est assurément.
Masturbating nude. B.Dodson. 1973.
Loin de susciter l’enthousiasme chez les féministes de la seconde vague, sa conception de l'éducation à la sexualité lui occasionne quelques déboires passagers. En 1972, le magazine féministe Ms. lui commande un article dédié à la masturbation féminine, mais les dix-huit pages qu’elle rédige s’avèrent trop radicales et le comité de rédaction refuse de publier. N'ayant aucune intention de renoncer à porter la bonne parole, sûre de la pertinence de ses thèses, elle fait paraître en 1974 " "Liberating Masturbation", une méditation sur l'auto-amour devenu un classique et réédité en 1986 sous le titre "Sex for one. The Joy of Self-Loving".
Libertaire avant tout.
Sa vision décomplexée de la sexualité féminine, Dodson la comprend comme une suite logique de son éducation. Dans plusieurs articles elle fait une référence pleine de tendresse à sa mère : "J’ai eu une mère géniale. Elle n’avait ni religion, ni éducation, ni mère […] mais pour elle la sexualité comme la masturbation étaient naturelles." Lorsque à 20 ans elle migre à Manhattan pour étudier l’art et travailler en tant qu’illustratrice indépendante, elle découvre que la plupart des jeunes de son âge sont en couple et qu’il n’est pas bien vu d’être célibataire. Comme elle le confesse : "Être sexuelle était un combat, car ce n’était pas à la mode. Tout le monde était maqué. De fait on me voyait comme une fille facile. Certains de mes amis pensaient même que j’étais sûrement une prostituée."
Le rêve commun d’une vie tranquille et rangée ne l’a jamais excitée. "Je savais que ce n’était pas ce que je voulais. Je ne voulais pas d’une famille. Je ne voulais pas élever des enfants." Le modèle du couple traditionnel l’effraie : "Est-ce que vous vous rendez compte que certaines personnes n’ont de relations sexuelles qu’avec leur partenaire officiel pendant 50 ans ? On pense que c’est une réussite. Je pense que c’est une tragédie." Le propos peut choquer, mais il est plus une provocation qu’une profession de foi car elle concède volontiers qu’une relation monogame au long cours, épanouissante et sexuellement satisfaisante peut être une chose merveilleuse.
"Polymorphous Puti". B.Dodson. 1970-71
Après une première union monogame non satisfaisante, elle s’implique dans une relation non exclusive avec un certain Grant Taylor, professeur d’anglais. Très sincèrement elle reconnaît que ce type d’engagement ne va pas de soi. Il faut surmonter les réflexes de possession et les sentiments de jalousie, mais précise-t-elle : "Une fois la chose faite et que s’installe la confiance, c’est la liberté. Mais les gens sont terrifiés par la liberté. Ils veulent des règles."
Une vie, un combat.
La question des normes et représentations sociales, de leur influence sur les comportements est au centre de sa réflexion sur la condition des femmes. Elle fustige notamment les médias qui portent systématiquement le focus sur les femmes victimes de violences sexuelles au détriment de celles qui font face à leurs agresseurs avec force détermination. "Nous n’avons pas de modèle de femmes qui montrent la voie de la résistance. Elles existent, mais la culture médiatique ne les met pas en avant. Elle préfère faire la promotion des victimes […] moi j’ai grandi avec mes frères. Je peux me battre. J’ai des muscles." Des muscles et un caractère bien trempé ! Elle déplore que l’on regarde les femmes sous le seul angle de la victimisation et martèle que leur propension à subir la violence masculine relève plus du conditionnement social que de leur faiblesse présumée. La faiblesse de quelque nature qu’elle soit semble d’ailleurs antithétique au mode de pensée de Dodson.
"Finalement la femme prend les choses en main et exprime son ancestrale colère d'avoir été traité comme un sexe faible" The Angry Cunt. B.Dodson. 1971.
Quelle trace laissera l’enseignement de Betty Dodson ? Difficile à dire, tant la masturbation est encore considérée comme une pratique sexuelle sans valeur. Dommage, car s’octroyer la liberté de jouir par soi-même, ce n’est pas seulement s’offrir l’opportunité de décharger une tension génitale, c’est accéder à une méthode de développement sexuel personnel. Pour bien se connaître, l’auto-exploration sensorielle est essentielle, et ce n’est qu’à cette condition que l’on peut espérer être totalement raccord avec son potentiel érotique et libre dans la relation intime. Betty Dodson œuvre depuis 50 ans pour faire entendre que l’onanisme à une fonction essentielle dans l’épanouissement érotique et sur le site qu’elle partage avec Carlin Ross (son alter égo) elle détaille nombre de méthodes et distille autant de conseils pour que de meilleurs orgasmes puissent ouvrir sur un monde meilleur !
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