Sphère émotionnelle

Digisexualité, une orientation sexuelle ? (3/3)

Digisexualité, une orientation sexuelle ? (3/3)

La digisexualité s'inscrit dans une évolution transhumaniste des sociétés. Si certains.es l'appellent de leurs vœux, d'autres la pense comme une dystopie où se mêleront paupérisation et déliquescence des écosystèmes.

Digisexualité, une orientation sexuelle ? (3/3)

Pensée et concepts cybersexuels.

Pour Yann Minh la perfection technologique est une condition aussi nécessaire qu'insuffisante pour que l'érotisme digital acquiert une dimension digne de ce nom. Pour ce faire, il rappelle que les pratiquants.es devront montrer de réelles qualités kinesthésiques et empathiques. Empathie et kinesthésie référent à notre capacité à éprouver les émotions d'un tiers et à notre aptitude à investir nos corps et esprit dans un artefact ou un dispositif technologique. Si le concept d'empathie est facilement compréhensible, celui de kinesthésie, bien qu'impliqué dans nos expériences quotidiennes, peut paraître abscons. C'est ainsi que la sensation d’oppression qui nous gagne dans un embouteillage (ou de liberté sur une route dégagée) tient au fait que nous investissons, mentalement et corporellement, le « dispositif véhicule ». Si nous étions dépourvus.es de sens kinesthésique, nous ne ressentirions pas cette oppression, car objectivement, embouteillage ou pas, l’espace dont nous disposons dans l’habitacle demeure inchangé. Nous avons donc tous et toutes des facultés kinesthésiques. Toutefois pour les théoriciens du cybersexe, investir un avatar relève d'un mécanisme émotionnel complexe qui impose un upgrade de nos talents kinesthésiques et empathiques naturels (upgrade qui par ailleurs porterait les ferments d’une évolution positive de l’espèce humaine).

Au-delà des compétences informatico-technologiques, la digisexualité nécessiterait des talents spécifiques en termes de communication, de culture, de sens artistique, de verbalisation et de sensualité. C'est du moins ce que pointe avec un brin de fierté ses aficionados. Rappelons quand même que toute aventure érotique qui veut créer « autre chose » implique la présence de partenaires ayant les qualités évoquées ci-dessus. Il suffit pour s’en convaincre de se référer à l’érotisme tantrique, au kinbaku ou encore aux relations scénarisées du BDSM. 

La cybersexualité connectée vise un érotisme magnifié par l’intervention de la machine. Yann Minh argumente que la cybersexualité est à la sexualité ce que la voiture est à la marche, laquelle en amplifiant la fonction de courir a généré un plaisir particulier et modifié notre rapport au monde en matière de déplacement. Il en serait de même avec les outils informatiques qui contribueraient à la transformation positive de notre relation au corps et aux autres et par conséquent à générer de nouvelles formes de volupté. Cependant nous remarquerons que la facette « aseptisée » de l’érotisme technologique, qui se prive du contact des peaux, des odeurs, des fluides et des phéromones, appauvrit le champ des informations érogènes que le cerveau est amené à traiter et logiquement prive l’expérience d’une part importante de ses stimuli. 

À terme que sera-t-il de la digisexualité ? 

Compte tenu des différents progrès que nous avons évoqués tout est réellement imaginable. D’ores et déjà la recherche s'oriente vers la conception de robots sexuels non humanoïdes reproduisant par la technologie ce qu’en 1814 Hokusai avait fantasmé dans le shunga  « L’Ama et le Poulpe ». Il semble que le désir de jouir plus fort soit un indémodable objectif de la sexualité humaine...


L'ama et le Poulpe. Hokusai. 1814.


Nooscaphe-X1 Cybersex Stimulation Engine. Yann Minh.

Certains théoriciens de la cybersexualité assurent que l'investissement émotionnel et cognitif dans un avatar d’un genre opposé au sien stimule, ou plus précisément, réveille des groupes neuronaux en mesure de produire des orgasmes féminins chez les hommes et masculins chez les femmes. Le cerveau étant un système cybernétique particulièrement plastique l'hypothèse n'est pas totalement farfelue, d'autant plus que l’indifférenciation sexuelle de l'embryon, lors des huit premières semaines de gestation, rend concevable l'existence d'un tronc neuronal commun au réflexe orgasmique féminin et masculin. Cela dit, nul ne sachant exactement ce qu’est l’orgasme, il est difficile de déterminer la part que jouent l’éducation, l’histoire, la construction sociale du genre, le psychisme de chaque individu dans le ressenti orgasmique. Pour Yann Minh il s'agirait plutôt de penser que l’expérience cybersexuelle est de nature à générer une troisième voie, l’orgasme androgynique, une complétude orgasmique quasi métaphysique. 

La puissance des émotions que nous éprouverons lors d’une expérience érotique, réellement communicante, avec un sexbot empathique est, pour les tenants.es de la révolution digisexuelle, le facteur qui poussera à l’abandon des rapports sexuels humains, tout à la fois compliqués et rarement gratifiants. Sans préjuger de l'avenir, on reste septique quant à la probabilité que les algorithmes puissent parfaitement traduire, l'amour, l'intelligence relationnelle, l'empathie, le raffinement sensuel, sauf à ce que l'humain ne soit finalement qu'une entité mathématique, une équation émotionnelle solvable par la force de l'intelligence artificielle. 

La digisexualité s'inscrit dans une évolution transhumaniste des sociétés. Si certains.es l'appellent de leurs vœux, d'autres la pense comme une dystopie où se mêleront paupérisation des et déliquescence des écosystèmes. C'est un fait, la révolution transhumaniste sera gourmande en énergie et matières premières. Dans le contexte actuel de raréfaction des ressources il est légitime de se poser la question de sa pertinence et d'interroger notre insatiable appétit pour la consommation de produits technologiques.

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