Sphère émotionnelle

Digisexualité, une orientation sexuelle ? (1/3)

Digisexualité, une orientation sexuelle ? (1/3)

Véritable révolution ou simple évolution des sexualités érotisées, la digisexualité connait un engouement croissant.

Digisexualité, une orientation sexuelle ? (1/3)

La digisexualité : réinventer les relations intimes.

La révolution numérique n’en finit pas d’investir le champ des relations humaines. Après avoir modifié les us et coutumes en matière de rencontre amoureuse, ouvert un accès illimité aux contenus pornographiques, elle repense depuis quelques les interactions érotiques à l’aide d’une palette d’outils électrostimulants, d'investissements virtuels par avatars interposés et d’intelligence artificielle. Il en découlent un ensemble de pratiques sexuelles regroupées sous le vocable contemporain de digisexualité. Parce que certains individus ne trouvent que dans cette forme de sexualité les moyens de leur jouissance, certains sexologues la définissent comme une orientation sexuelle à part entière. 

La cybersexualité ou la genèse de la digisexualité.

La digisexualité, qui entretient une relation intime avec la technologie, s'apparente à la cybersexualité, un concept plus ancien inventé par l'avant-garde de l’exploration sensorielle numérique. Pour Yann Minh, artiste vidéaste, écrivain de science-fiction, précurseur et penseur de la cybersexualité, le terme cybersexe s’applique à toute sexualité faisant intervenir des outils informatiques, électromécaniques ou biologiques. C'est ainsi que la pilule contraceptive, dont l'action hormonale modifie les informations que le cerveau analyse et traite, doit être considérée comme un outil cybersexuel. 

De toute évidence, le téléphone est le premier objet qui a permis à deux personnes de se livrer à des expériences érotiques à distance et en temps réel. L’histoire de la cybersexualité commencerait donc avec son invention, fin 19ème siècle. En 1980, Sheila chantera « L’amour au téléphone » et la proto-industrie porno se lancera dans la commercialisation de conversations érotiques via le « téléphone rose ».


Le téléphone de Graham Bell. 1877.

Élément majeur de la cybersexualité, la réalité virtuelle, fondée sur le concept d’expérience numérique immersive dans un environnement réel ou imaginaire, demeure jusqu’au début des années 70 un fantasme de science-fiction. Le premier casque de réalité virtuelle a été créé au choix, en 1968 par Ivan Sutherland et David Evans ou en 1970 à l’université de l’Utah par Daniel Vickers. Si les avis divergent sur la paternité de ce dispositif, il n’en reste pas moins qu’il deviendra un outil essentiel de l’érotisme dématérialisé.


Un des premiers casques de réalité virtuelle. Ivan Sutherland.

Début des années 1980, une invention révolutionne les modes de communication à distance : le minitel. Expérimenté en 1981, le dispositif, à l’origine prévu pour délivrer des informations au grand public, se transforme, sous l’impulsion d’un piratage informatique, en un service de messagerie en ligne. Suscitant l’engouement immédiat de ses premiers utilisateurs, cette nouvelle façon de communiquer donne naissance aux premiers salons de tchat, puis en 1984, avec la création du système à kiosque et le fameux 3615, à celle du minitel rose. On peut dès lors avoir des échanges coquins avec des inconnus.es. Mais plus encore, sous couvert de l’anonymat des pseudos, il est possible de s’inventer un personnage virtuel, un fantasme de soi-même qui n’a d’existence que dans le cadre des échanges en ligne. Ainsi naît le concept d’incarnation numérique dans un monde virtuel que les gamers nommeront avatar.  

Compagnon indispensable de la réalité virtuelle, le DataGlove, un gant truffé de capteurs qui retranscrit en temps réel les mouvements de la main dans un univers virtuel, voit le jour en 1982 grâce aux travaux de Thomas Zimmerman et au soutien financier de la société de jeux vidéo Atari.


Exemple de Dataglove.

Dans le même temps, les jeux vidéo alors principalement accessibles sur des bornes d’arcade, commencent à subir la concurrence de ceux développés pour les ordinateurs personnels. En 1987, Mike Saenz, un dessinateur de comics books, élabore pour Macintosh le premier jeu de l’ère cybersexe : « Macplaymate », un personnage numérique interactif à vocation sexuelle. Si l’utilisateur peut, à l’aide de divers outils, inventer des scénarios érotiques, la playmate en question n’est qu’un automate informatique dont les réactions sont standardisées et non investies par la complexité informationnelle humaine. 


MacPlaymate.

Toujours dans les années 1980, trois américains créent une racine d’arborescence alternative, portant le préfixe « alt. », qui ouvre sur le développement d'un nouveau type de site où il est possible d'échanger textes, images et vidéos. Il en découlera la constitution des premières communautés d’intérêt virtuelles. Les amateurs californiens de BDSM se retrouveront à l’adresse alt.sex.bondage, pour des discussions sur leurs pratiques et l’organisation de rencontres réelles, les « Burger Munch » ou « Munch ». 

Le 10 décembre 1993, sont présentés à Paris des harnais sexuels équipés de stimulateurs, électriques et mécaniques, des zones érogènes. Les partenaires, qui n’ont aucun contact physique ou visuel, sont reliés par une simple ligne téléphonique et le programme « Cybersex » qui leur permet, via leur ordinateur, de jouer avec une sélection de quinze parties du corps. 

Au début du 21ème siècle, concomitamment à l’expansion des réseaux sociaux numériques, le cybersexe écrit une nouvelle page de son histoire. En 2003, la société Linden Lab et Philippe Rosedale créent « Second Life », un monde persistant où les internautes se livrent, par avatars interposés, aux premières expériences cybersexuelles interactives. L'investissement émotionnel, affectif et cognitif des gamers dans leur relations virtuelles est proportionnel à la bonne qualité du graphisme.


Scène de Second Life.

Les premiers vibromasseurs connectés apparaissent en 2006. Il est désormais possible de télé-opérer des systèmes de stimulation sexuelle électromécaniques via le monde persistant de « Second Life ». Le fantasme de Manara est devenu réalité.

Jusqu’en 2010, les poupées sexuelles aussi réalistes soient-elles, ne sont que des objets passifs. C’est une société américaine, True Companion, qui produira « Roxxxy » la première poupée capable, grâce à des réponses préenregistrées, d’interagir avec son utilisateur. On est encore loin de l’Android Love Doll de 2017, de ses 50 positions sexuelles automatisées et plus encore des sexbots dotés d'intelligence artificielle.


Aujourd’hui, toutes les inventions qui ont marqué le début de l’histoire de la cybersexualité connaissent de rapides évolutions. Le retour haptique, la qualité des représentations graphiques, les possibilités offertes par le très haut débit, la puissance des algorithmes, les progrès incessants de la robotique et de l’intelligence artificielle élargissent les perspectives de la digisexualité qui ne semblent être désormais limitées que par l’intelligence même de ses créateurs. 

À suivre...

Poster un commentaire

Dans la même thématique

Osphères c'est avant tout...

Une information fiable, objective et diversifiée

Une approche décomplexée, éthique et responsable de la sexualité et de l’érotisme

Un espace privilégié de rencontres et d'échanges

Un univers où prévalent les principes de respect, de courtoisie et d’ouverture.

X