Sphère émotionnelle

Egon Schiele, le mal aimant

Egon Schiele, le mal aimant

Volonté de choquer pour mieux dénoncer la nature tourmentée, perverse de l'homme ou de dompter, par le biais du processus créatif, des pulsions sexuelles toxiques, toujours est-il que l'œuvre d'Egon Schiele interroge l'ambiguïté du rapport aux femmes et à la sexualité.

Egon Schiele, le mal aimant

L'art thérapie d'Egon Schiele.

"Je peins la lumière qui émane de tous les corps. L’œuvre érotique, elle aussi, a un caractère sacré ! J’irai si loin qu’on sera saisi d’effroi devant chacune de mes œuvres d’art." En trois phrases aussi laconiques que radicales, Egon Schiele pose les fondements d’une œuvre érotique obscure dont la complexité suscitent toujours autant d’interrogations. 

Né le 12 juin 1890 à Tulln an der Donau, petite commune autrichienne située près de Vienne, il est très tôt attiré par le dessin. En 1906 il rejoint l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, mais sa personnalité sans concession s’oppose au conformisme académique. Ne pouvant s'exprimer dans un moule aussi étriqué, il fonde groupe le Neukunstgruppe (Groupe pour l'art nouveau) avant de rencontrer celui qui restera sa vie durant son maître spirituel, Gustav Klimt. 

Dès ses premières expositions, les critiques sont très partagés quant à la pertinence artistique de ses productions. Sa peinture violente, caractérisée par un trait tranchant, une palette de couleurs désenchantée et l’étalage d’un érotisme pervers, ne manquent pas de mettre à mal une société viennoise empreinte de morale et de conservatisme. Egon Schiele dérange dans le fond et dans la forme. En 1912, accusé de détournement de mineurs.es et de pornographie, il est incarcéré trois semaines et une partie de ses tableaux sont brûlés. Toutefois l'artiste persiste à produire ce que bon lui semble. En 1913, sa notoriété dépasse les frontières autrichiennes. On l'invite dans plusieurs expositions internationales : Budapest, Cologne, Dresde, Munich, Berlin, Düsseldorf, Bruxelles, Paris et Rome. Mais, ce n’est qu’en 1918, quelques temps avant sa mort, lors de la 49ème exposition de la Sécession, que Schiele sera pleinement accepté par l'intelligentsia artistique.

L’œuvre d' Egon Schiele est fondamentalement égocentrée, marquée par un nombre pléthorique d’autoportraits où il se révèle dans sa complexité. Angélique, parfois sombre ou encore démoniaque et lubrique, l’artiste s’expose sans désir de plaire. Schiele dévoile sa vie et ses tourments, peut-être avec l'espoir d'opérer une catharsis.


Pénétrer l'univers érotique de Schiele c'est se confronter à l'expression d'une sexualité empreinte de fétichisme, sadisme et pédophilie. Volonté de choquer pour mieux dénoncer la nature tourmentée, perverse de l'homme ou de dompter, par le biais du processus créatif, des pulsions sexuelles toxiques, toujours est-il que l'œuvre interroge le rapport aux femmes et à la sexualité.  

Schiele associe fréquemment par la couleur les parties érogènes du corps féminin et des attributs vestimentaires, comme les bas ou les jarretières. Objectification et fétichisme ou la négation des femmes en tant que sujets de désir et de plaisir. 


Si l'on en croit les historiens de l'art, Schiele a énormément souffert de la mort prématurée de son père. Cette affliction semble l’avoir poussé à penser la vie comme une absurdité, une douleur inutile, à abhorrer sa venue au monde et nourrir une rancœur envers les femmes et la sexualité reproductive. Sans doute est-ce la raison de son affection pour les thèmes lesbien, masturbatoire, fétichiste et pédophile, qui idéalisent en quelque sorte les sexualités défiant l'injonction de la reproduction.


Dans la même idée, lorsque Schiele peint les amours hétérosexuées, il les dépouille de toute émotion, les amants semblent absents, irréels, mécaniques, comme s’ils voulaient nous convaincre du non-sens et de l’absurdité du coït. Dans le tableau intitulé "Un homme, une femme", deux amants viennent d’en terminer avec l’accouplement, ils sont allongés sur un drap blanc sali et froissé, l’homme tout de noirceur et la femme en position de contrition. La mort hante le tableau, le désir est porteur d’un malheur à venir.  


Le rapport que Schiele entretient avec les femmes est le plus souvent teinté de brutalité et plus encore quand, dans un accès de rage, il se laisse aller à ses pulsions sadiques. Les peaux se stigmatisent de bleus et de contusions, les corps se déforment, s’enlaidissent, deviennent douleur indicible. Enfin, quand Schiele trouve la lumière, sa blancheur inquiétante, qui rappelle tout autant l’orgasme que le linceul, émane d’un corps démembré et tuméfié. 



Egon Schiele ne cherche pas l'admiration du public, il ne concède rien à la bienséance et dévoile sans retenue les faces les plus sombres de son être. Cependant, son œuvre, essentiellement auto-biographique, apparait plus comme une tentative de résilience, une volonté de trouver la paix intérieure, que la manifestation d'un désir de reconnaissance artistique. Et sans doute y est-il parvenu. En 1917, un an avant sa mort, il livre un tableau qui amorce une rupture, une métamorphose de sa perception du féminin, marquée par l'abandon des signifiants fétichistes et l'intégration d'un symbolique voile de pudeur couvrant le sexe de son modèle. La femme-objet n'est plus.


Dans sa dernière production de 1918, le peintre se représente en famille. Sa femme est au centre, lui se tient en arrière, l’air serein, apaisé. Il est père d'un enfant. Ce tableau n'aura malheureusement aucun écho dans le réel. Le 28 octobre 1918, sa femme enceinte meurt de la grippe espagnole, il y succombera trois jours plus tard.



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