Sphère émotionnelle

Il n'y a rien de divin chez le petit marquis (3/9)

Il n'y a rien de divin chez le petit marquis (3/9)

Après quelques années de liberté durant la période du Directoire, l'arrivée au pouvoir du général Bonaparte va sceller l'incarcération définitive du marquis de Sade.

Il n'y a rien de divin chez le petit marquis (3/9)

Fin de parcours à l'hospice d'aliénés de Charenton.

Entre 1794 et 1800, Sade, qui tente « bon an, mal an » de vivre de ses productions, fait publier de façon plus ou moins anonyme,  « Aline et Valcour » (1793) ; « La philosophie dans le boudoir » (1795) ; « La nouvelle Justine ou les malheurs de la vertu » et « Juliette, ou les prospérités du vice » ( 1799) ; « Les crimes de l'amour » (1800). Si le Directoire (1795-1799) s'est montré complaisant à l'égard ses occupations littéraires, le coup d'État de 1799, qui sanctifie l'accession au pouvoir du général Bonaparte, amorce un changement de cap. Car le Consul, tout comme Louis XIV, Louis XV et Robespierre, avant lui, n’apprécie guère l’écrivain Sade. De « La nouvelle Justine » il dira qu'il est le livre le plus abominable qu'ait enfanté l'imagination la plus dépravée.  En 1800 il ordonne que l’on en brûle une édition complète et enjoint Fouché de préparer l'arrestation de son auteur. En mars 1801, Sade est interpellé chez son éditeur, mis au secret à la préfecture de police, puis incarcéré la prison Sainte-Pélagie. Il y restera deux ans, mais encore une fois son comportement dérange. On l’envoie alors à l’hôpital-prison de Bicêtre dit « La Bastille des canailles », un lieu infâme où s’entassent violeurs, fous et assassins. Sa famille intervient pour qu’il soit placé dans des conditions de détention moins sordides. Ce sera l’hospice de Charenton, un établissement pour aliénés, qui jouit d'un bel environnement de jardins.


Bonaparte jetant au feu « La nouvelle Justine ».

Pendant quelques années sa vie à Charenton est relativement agréable. Ses fils payant pour sa pension il bénéficie d'un traitement de faveur. François Simonet de Coulmiers, le directeur du lieu, avec lequel il entretient des relations presque amicales, lui accorde le droit de monter une petite troupe de théâtre composée des détenus du cru. Une fois par mois, au sein de l’hospice et devant plus de 200 spectateurs venus du tout Paris, il fait donner des représentations de ses pièces. En 1804 Coulmiers permet à Marie-Constance Quesnet, sa compagne, de séjourner à Charenton. Jusqu’en 1806, Sade poursuit ses activités théâtrales dont on vante les valeurs thérapeutiques. Toutefois l’arrivée d’un nouveau médecin en chef va assombrir la vie du marquis. Ciblant sa trop grande liberté, les repas « mondains » qui suivent les représentations théâtrales, et surtout ses mauvaises attitudes, il demande que lui soit retiré tous ses privilèges. En juin 1807 la police perquisitionne sa cellule. Les manuscrits qu'elle y trouve sont saisis. Dans la foulée Coulmiers est démis de ses fonctions et remplacé par un directeur moins complaisant. Dès lors la vie du marquis devient celle d’un détenu ordinaire. De ses dernières années à Charenton on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’il a continué à produire quelques textes et probablement eu une liaison charnelle avec la fille d'un employé de l'hospice, Madeleine, une adolescente de 14 ans. Sade décèdera le 2 décembre 1814, d'une embolie pulmonaire, à l’âge de 74 ans, dans l’indifférence quasi-générale.


L'hospice de Charenton en 1900.

Voilà, en résumé, ce que fût la vie du marquis de Sade. De son vivant se sont plus les scandales que ses écrits qui auront défrayé la chronique populaire. Ce n’est qu’à la fin du 19ème siècle que ses derniers entameront leur épopée littéraire, émaillée, nous le verrons dans les articles suivants, de multiples controverses et prises de bec entre les différents admirateurs, fils spirituels autoproclamés et exégètes de « la plus grande entreprise de librairie pornographique jamais réalisée au monde » (Jean-Jacques Pauvert). Cependant nous ne pouvions en terminer avec ce chapitre historique sans faire référence à son testament, couché sur papier le 30 janvier 1806. 

Le testament et la postérité.

« Je défends absolument que mon corps soit ouvert sous quelque prétexte que ce puisse être. Je demande avec la plus vive insistance qu’il soit gardé quarante-huit heures dans la chambre où je décéderai, placé dans une bière de bois qui ne sera clouée qu’au bout des quarante-huit heures prescrites ci-dessus. Pendant cet intervalle il sera envoyé un exprès au sieur Le Normand, marchand de bois, boulevard de l’Égalité, numéro cent un, à Versailles, pour le prier de venir lui-même, suivi d’une charrette, chercher mon corps pour être transporté, sous son escorte et dans la dite charrette, au bois de ma terre de la Malmaison, commune d’Émancé, près Épernon, où je veux qu’il soit placé, sans aucune espèce de cérémonie, dans le premier taillis fourré qui se trouve à droite dans ledit bois, en y entrant du côté de l’ancien château par la grande allée qui le partage. La fosse pratiquée dans ce taillis sera ouverte par le fermier de la Malmaison sous l’inspection de monsieur Le Normand, qui ne quittera mon corps qu’après l’avoir placé dans la dite fosse. Il pourra se faire accompagner dans cette cérémonie, s’il le veut, par ceux de mes parents ou amis, qui, sans aucune espèce d’appareil, auront bien voulu me donner cette dernière marque d’attachement. La fosse une fois recouverte, il sera semé dessus des glands, afin que, par la suite, le terrain de la dite fosse se trouvant regarni, et le taillis se trouvant fourré comme il l’était auparavant, les traces de ma tombe disparaissent de dessus la surface de la terre comme je me flatte que ma mémoire s’effacera de l’esprit des hommes, excepté néanmoins du petit nombre de ceux qui ont bien voulu m’aimer jusqu’au dernier moment et dont j’emporte un bien doux souvenir au tombeau. Fait à Charenton-Saint-Maurice en état de raison et de santé ce trente janvier mil-huit-cent-six. »

Les volontés posthumes de marquis de Sade ne seront pas respectées, sa famille lui offrant des funérailles conformes à la tradition catholique et procédant à un enterrement religieux avec croix sur la pierre tombale. Le souhait familial de ne pas répondre aux exigences du marquis relève d’une décision qui ne souffre aucun commentaire. Inversement, on interrogera celle de ses admirateurs contemporains qui exhumant son esprit l’ont imposé à la mémoire des hommes. Attitude paradoxale de la part de ceux qui se prévalant d’en être les fidèles défenseurs, d’en comprendre mieux que quiconque la ténébreuse pensée, lui ont refusé l’accès souhaité à l’oubli universel. 

À noter que les faits que nous avons présentés, dans cet article et les deux précédents, ne sont pas relatés de façon identique par tous les historiens sadiens.

À suivre…

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