Sphère émotionnelle

Il n'y a rien de divin chez le petit marquis (9/9).

Il n'y a rien de divin chez le petit marquis (9/9).

Duchamp et le Dahlia Noir : Prière de toucher.

Il n'y a rien de divin chez le petit marquis (9/9).

Étant donnés : Marcel Duchamp, Man Ray, Sade et Georges Hill Hodel.

Duchamp est l’ami de toujours de Man Ray et comme lui une figure de proue du mouvement surréaliste. Depuis 1942 il vit à Greenwich village, un quartier résidentiel de New York. Les deux hommes entretiennent des relations constantes et il n'est pas interdit de penser que Georges Hill Hodel ait pu rencontrer Duchamp par l'entremise de Man Ray.

Le 7 juillet 1969 est présentée au public Étant Donnés : 1° La chute d’eau, 2° Le gaz d’éclairage, une création obscure commencée fin 1946 et tenue secrète jusqu’à la mort de Duchamp. Cette œuvre n’a étonnement rien d’un ready-made, concept qui a construit sa notoriété. C’est une installation pensée sur le mode de la chambre optique et présentant quatre plans en enfilade. Le premier est composé d’une vieille porte en bois à doubles battants enserrée dans un mur de briques. Deux petits trous percés dans l’huis permettent d’accéder au deuxième plan, un mur fait de 69 briques numérotées dont le centre offre une ouverture sur le troisième plan : un tapis de broussailles et de feuilles mortes qui accueille le corps allongé d’une jeune femme entièrement nue tenant dans sa main gauche une lampe dans le style bec Auer. On n'aperçoit de sa tête qu'une mèche de cheveux blonds. Le dernier plan construit en diorama dépeint un paysage champêtre idyllique constitué d’arbres, de rocaille et d’une chute d’eau.


L’installation intrigue par son titre conçu comme un énoncé invitant à résoudre une énigme et interroge au regard des éléments qui la composent : 

  • les jambes de la jeune femme dont la position est identique à celle du cadavre de Betty Short ;
  • les herbes folles d’Etant donnés qui rappellent celles de la scène de crime;
  • la vulve déformée qui présume d'une agression sexuelle ;
  • la porte et les briques du premier plan, importées de Cadaqués, petit village catalan où Dali a vécu de nombreuses années ;
  • le mur troué, lui aussi fait de briques, qui semble renvoyer à la composition du Portrait imaginaire de Sade, réalisé par Man Ray, ou éventuellement symboliser l'évasion des écrits sadiens de leur prison de pierre ;
  • la mèche blonde (que l’on ne distingue pas sur toutes les photos de l’œuvre) qui pourrait évoquer Le viol 1934 de Magritte ;
  • la juxtaposition d’une femme nue, sans tête, sexe glabre, et d'une lampe, un arrangement qui résonne avec The light of coïncidences 1933 du même Magritte ;
  • la mention le gaz d’éclairage, pouvant viser Man Ray intronisé "Maître des lumières" lors de l’exposition internationale du surréalisme de 1938.

Au-delà du visible on est en droit de s'interroger sur les raisons qui ont motivé Duchamp à garder cette œuvre secrète, à surseoir aux honneurs en imposant qu’elle ne soit révélée au public qu’après sa mort. Quoi qu’il en soit Duchamp interpelle le spectateur et lui propose un défi, peut-être celui de découvrir les clés de l’affaire du Dahlia Noir. `


Pour en terminer avec Duchamp nous évoquerons Prière de toucher présenté à la galerie Maeght lors de l’exposition surréaliste de juin 1947. Un sein posé sur un morceau de velours noir...

Des idées aux actes.

L'objectif des surréalistes affiliés à Breton était de traduire la violence sadienne par association d'éléments graphiques, de lui donner une dimension à la fois esthétique, politique et poétique. Les dissidents du mouvement emmenés par Georges Bataille cherchaient de leur côté à l'éprouver, ils en revendiquaient l'expérience. Dénonçant la forfaiture de l'idéalisation et de l'usage littéraire de Sade, Bataille martelait qu'on ne pouvait se prétendre sadien si on l'on était incapable d'aller aussi loin que lui. Le discours qui visait implicitement la démarche artistique pouvait malheureusement faire l'objet d'une interprétation abusive et être compris comme une invitation au passage à l'acte. 

Dans l'affaire du Dahlia Noir, on trouve tant de traces des pensées surréaliste et sadienne, tant d'indices qui renvoient à la personnalité et aux compétences du docteur Georges Hill Hodel, qu'il est impossible de les analyser à la seule lumière des coïncidences. En toute logique on supposera que l'immersion du docteur Hodel dans l'univers surréaliste, son appréhension des écrits du marquis par le prisme de son intelligence mégalo, sa probable implication dans le conflit entre l'idéalisme de Breton et le matérialisme de Bataille, lui auront donné la sordide ambition de réaliser, seul ou avec des complices, un cadavre exquis, réalisé en préface de l’exposition internationale de 1947, de supplanter Sade et ses héritiers en reproduisant dans le réel le supplice d'Augustine tout en donnant à l'ensemble l'aspect d'une œuvre surréaliste . 

Il n'y a rien de divin chez le petit marquis.

La fascination qu'exerce Sade sur nombre de nos contemporains reste un mystère. D'un point de vue strictement littéraire son œuvre n'a pas d'intérêt particulier. Sa lecture est fastidieuse, souvent rébarbative. Les innombrables argumentaires centrés sur les malheurs de la vertu et les vertus du vice font l'effet d'un bourrage de crâne. Au final ce ne sont pas tant les scènes de violence sexuelle qui feraient tomber l'œuvre des mains que l'itération de ces interminables discours sur le pourquoi, le comment du libertinage et du vice.

De la philosophie sadienne il conviendrait de dire que Sade philosophe n'existe pas. Car le philosophe démontre. Sade se contente de faire de la propagande en empilant des affirmations sous des postulats. Son discours est celui d'un idéologue au service d'une doctrine hédoniste qui s'offre à la violence et la toute-puissance du désir. 

La littérature peut acquérir une autonomie, une vie indépendante de son auteur, mais dans le cas de Sade on ne peut s'exonérer de mettre ses extravagances érotiques, sont goût pour la débauche, en perspective de ses écrits. Sade est un jouisseur pathologique obsédé par la soumission de l'autre, sa reddition, sa totale réification et son œuvre suinte l'adoration de la Domination. Cet état d'être fut cependant entrecoupé de moments de lucidité, des parenthèses déroutantes où il a désavoué sa pensée et ses comportements. À son avocat il écrit : " On imprime actuellement un roman de moi, mais trop immoral pour être envoyé à un homme aussi pieux, aussi décent que vous. J'avais besoin d'argent, mon éditeur me le demandait bien poivré, et je le lui ai fait capable d'empester le diable. On l'appelle Justine ou les malheurs de la vertu. Brûlez-le et ne le lisez point, si par hasard il tombe entre vos mains : je le renie." En 1791 il confesse à Marie-Constante Quesnet : " Tout cela (la débauche) me dégoûte à présent, autant que cela m'embrasait autrefois. Dieu merci, penser à autre chose et je m'en trouve quatre fois plus heureux." Dégoût réel ou de façade, peu importe, car Sade persistera à sublimer la cruauté sexuelle. La culpabilité et le remord n'épargnent pas les pervers, mais ne les affectent qu'en pointillé. 

On ne croit pas non plus au Sade encyclopédiste. Les multiples "passions" exposées n'étant, de toute évidence, que des interprétations personnelles des principales déviances sexuelles. Si l'on ne retiendra rien de ses romans qui soit de nature à nous renseigner sur la variété des érotismes pathologiques, Sade nous donne à comprendre, malgré lui, comment les esprits pervers s'épuisent dans une fuite en avant où chaque nouveau scénario porte la promesse illusoire de combler le vide qui habite leur vie. Le pervers est un individu qui n'expérimente jamais la plénitude orgasmique, un individu en proie à une sempiternelle frustration. Si la fureur s'empare de Curval et Durcet lorsqu'ils déchargent, c'est précisément parce que leur éjaculation les renvoie immanquablement à la case départ de leur insupportable néant intérieur. Pour les pervers la satisfaction est un horizon et comme tel une ligne fuyante qui les entraine dans une gradation sans fin de l'objectification et de la cruauté. Même la mort de l'objet ne parvient pas à donner à leur jouissance la qualité de l'accomplissement. La tyrannie de l'excès est au cœur la dynamique perverse, c'est le seul enseignement que retirerons des écrits sadiens.

Difficile aussi d'adhérer à l'érotisme pathologique de Sade, une absurdité qui n'a de logique voluptueuse que pour les esprits pervers. On ne croit pas non plus au Sade pourfendeur des idéologies, à moins d'oblitérer que lui-même fut un idéologue prosélyte. Personne ne l'a non plus attendu pour être conscient de la cruauté dont l'homme était capable, ni qu'il pouvait l'associer à la jouissance. On lui accordera néanmoins l'originalité d'avoir présenté le fait comme l'expression un système naturel. 

Petit marquis provincial, oisif et dépensier, écrivain quelconque, pseudo-philosophe, Sade se réjouirait au vu des éminents représentants de l'élite intellectuelle et artistique qui ont transformé sa rhétorique excrémentielle en un plaidoyer pour la liberté de dire, de penser, d'écrire, une apologie de la singularité et une critique acerbe des systèmes totalitaires. Il est vrai que le tour de force mériterait presque le respect...

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