Sphère émotionnelle

Il n'y a rien de divin chez le petit marquis (1/9)

Il n'y a rien de divin chez le petit marquis (1/9)

L'histoire de Sade est celle d'une incroyable escroquerie intellectuelle. Pourtant le 20ème a mis le marquis sur un pied d'estale, le portant aux nues et l'intronisant grand maître de la liberté de dire et de penser.

Il n'y a rien de divin chez le petit marquis (1/9)

Un aristocrate oisif sans foi ni loi.

Figure incontournable de la « littérature » pornographique, le marquis de Sade soulève toujours autant de questions quant à la portée de ses écrits et le sens qu’il faut y donner. Quoiqu’il en soit, difficile de prétendre aimer Sade, accessoirement parce que son style ne soulève pas l’enthousiasme, mais surtout parce que la lecture de ses « œuvres » se révèle aussi fastidieuse que nauséabonde. Étrangement, jamais un écrivain n’aura autant fait couler d’encre, autant suscité de controverses et de spéculations, autant alimenté le dégoût et la réprobation, qu’inversement l’admiration et la fascination. Un paradoxe pour celui qui dans son testament souhaitait que les traces de sa tombe disparaissent de dessus la surface de la terre et que sa mémoire s’efface de l’esprit des hommes.

Alors que son entreprise d'anéantissement des valeurs humaines aurait dû disparaitre avec lui, le 20ème siècle, par la voix d’Apollinaire proclamant que « cet homme, qui parut ne compter pour rien durant tout le 19ème siècle, pourrait bien dominer le 20ème », puis celles de Maurice Heine, Georges Bataille, et des surréalistes guidés par André Breton, lui donnera un éclairage médiatique sans précédent. La psychiatrie inscrira son nom dans le marbre en nommant « sadisme » la perversion sexuelle qui associe cruauté et jouissance. En 1989, la célèbre collection La Pléiade l’accueillera en son sein parachevant d’en faire un auteur majeur de l’histoire de la littérature.

Faits historiques.

Naissance, éducation, mariage.

Le 2 juin 1740, à Paris, dans l’hôtel de la famille de Condé, nait celui qui sera connu sous le nom de « Marquis de Sade », héritier de la Maison de Sade, une Maison de Provence dont la noblesse remonte au 13ème siècle. Le bien-né commence toutefois sa vie commence sur un malentendu. Au jour de son baptême ses parents et parenté proche sont absents. Les domestiques qui les suppléent se fourvoient et communiquent au prêtre les prénoms Donatien-Alphonse-François en lieu et place de Donatien-Aldonse-Louis. Dès l’âge quatre ans il est séparé de sa mère. Son éducation est confiée à son oncle, l’abbé Jacques-François de Sade, un ecclésiastique érudit et mondain, jouisseur éhonté, qui entretient une relation d'amitié avec Voltaire. Au château de Saumane, où il réside, le jeune Sade se familiarise avec ce monde libertin que son oncle fréquente assidument. Dans une lettre de 1765, il confiera : « Tout prêtre qu'il est, il a toujours un couple de gueuses chez lui [...] Est-ce un sérail que son château, non c'est mieux, c'est un bordel. » 


Le château de Saumane. Une forteresse qui surplombe la plaine du Vaucluse.

Très tôt le jeune Sade se persuade d’appartenir à une espèce supérieure. Il écrira plus tard sur le ton de l’autocritique acerbe : « Allié par ma mère, à tout ce que le royaume avait de plus grand ; tenant par mon père, à tout ce que la province de Languedoc pouvait avoir de distingué ; né à Paris dans le sein du luxe et de l’abondance, je crus, dès que je pu raisonner, que la nature et la fortune se réunissaient pour me combler de leurs dons ; je le crus, parce qu’on avait la sottise de me le dire, et ce préjugé ridicule me rendit hautain, despote et colère ; il semblait que tout dût me céder, que l’univers entier dût flatter mes caprices, et qu’il n’appartenait qu’à moi seul et d’en former et de les satisfaire. »

Après avoir étudié au collège jésuite Louis-le-Grand, il intègre l’École des Chevau-légers de la Garde du Roi. Il a tout juste quatorze ans. Deux ans plus tard il participe avec ferveur à la guerre de Sept ans et s’y illustre par sa témérité. En 1758, il obtient le grade de capitaine de cavalerie, puis celui de Mestre de Camp dont il n'exercera la fonction du fait d’un penchant marqué pour la débauche. De ses états de service ne subsiste que la mention « Fort dérangé, mais fort brave. ». Le 17 mai 1763, il se marie avec la fille d’un puissant homme d’affaires, membre de la petite noblesse de robe, Renée-Pélagie de Montreuil. Un mariage de convenance censé sauvé la famille Sade de la déroute financière.

Le temps des « affaires ».

Cette même année la dynamique du scandale s’enclenche autour de la première affaire Sade. Le 18 octobre 1763, une jeune femme, connue sous le nom de Jeanne Testard, porte plainte contre le marquis. Sa déposition stipule : « Le jour d’hier à huit heures du soir, ladite Du Rameau a envoyé chercher la comparante (Jeanne Testard) qui s’est rendue chez elle sur-le-champ, et ladite Du Rameau lui a proposé de faire une partie qui lui procurerait deux louis d’or de 23 liv. ; ce que la comparante ayant accepté, elle l’a mise entre les mains d’un particulier inconnu à la comparante. Elle a été ensuite conduite à l’extrémité du faubourg Saint-Marceau […] dans une petite maison […] ; qu’étant arrivés il l’a fait monter dans une chambre au premier étage, et après avoir fait descendre au rez-de-chaussée son domestique, il a fermé la porte de ladite chambre à clé et aux verrous ; étant resté seul avec la comparante, il lui a d’abord demandé si elle avait une religion, et si elle croyait en Dieu, en Jésus Christ et en la Vierge ; à quoi elle a fait réponse qu’elle y croyait […] À quoi le particulier a répliqué par des injures et des blasphèmes horribles, en disant qu’il n’y avait point de Dieu, qu’il en avait la preuve, qu’il s’était manualisé jusqu’à la pollution dans un calice […] Il a ajouté qu’il avait eu commerce avec une fille avec laquelle il avait été communier, qu’il avait pris les deux hosties, les avaient mises dans la partie de cette fille, et qu’il l’avait vue charnellement, en disant : Si tu es Dieu, venge-toi. » L’affaire vaut à Sade ses premiers jours prison, il a 23 ans.

En 1768, c'est un tout autre scandale, « L'affaire d'Arcueil », qui éclabousse le Marquis. La Gazette d’Utrecht du 28 avril relate en ces termes  : « Le jour de Pâques M. de Sade, allant seul dans sa maison d’Arcueil près de Paris, trouva sur son chemin une jeune femme mendiante (Rose Keller) qu’il amena chez lui sous prétexte de l’attacher à son service par humanité, mais lorsqu’elle y fut arrivée, il la conduisit dans un cabinet écarté, lui lia les membre, la bâillonna pour l’empêcher de crier, et avec un canif lui fit plusieurs incisions sur le corps, dans lesquelles il fit fondre une espèce de cire d’Espagne ; ensuite il sortit tranquillement pour se promener, laissant la victime de sa férocité bien enfermée ; cependant elle parvint à se détacher, et elle se jeta par la fenêtre […]. Tous les habitants du village qui la virent auraient massacré le comte de Sade, s’il n’eût pris la fuite. […] Des gens disent que le comte de Sade a seulement une fureur pour la chimie, et que sa cruauté, à laquelle on ne peut penser qu’en frémissant d’horreur, avait pour motif de faire l’essai d’un baume, avec lequel il prétend guérir toutes sortes de plaies sur le champ. » L’affaire d’Arcueil lui coûtera six mois de prison, suivis d’une assignation à résidence en son château de Lacoste.

À suivre...

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