L’art érotique. Introduction

Comment définir l’art érotique ?
Toutes les œuvres graphiques ayant pour thème la sexualité sont-elles érotiques ? Peut-on faire une distinction entre érotisme et art érotique ? Les expériences esthétiques, notamment l’expérience du beau, sont-elles étroitement liées aux expériences érotiques ? Une œuvre d’art peut être sensuellement attrayante au même titre qu’une personne mais la notion de beauté revêt-elle une signification identique dans les deux cas ? Y-a-t-il une différence entre le nu et le dénudé ? Pouvons-nous tracer une ligne stricte entre l’art érotique et la pornographie ? Nous pensons la production artistique en termes de complexité quand la pornographie est jugée simpliste, mais ces différences d’appréciation sont-elles irréfutables ? La pornographie est considérée à juste titre comme dégradante mais l’art érotique est-il toujours à l’abri de telles critiques ? Ce sont les questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans ce dossier traitant de l’art érotique qui sera présenté en plusieurs parties.
Qu’est-ce que l’art érotique ?
L’art érotique pourrait de prime abord être défini comme toute représentation ayant rapport avec l’activité sexuelle. Cependant cette description est trop large pour rendre compte de ce qu’est l’art érotique. En effet les illustrations médicales de la sexualité pourraient entrer dans le cadre de cette première définition alors que leur nature intrinsèque n’est ni artistique ni érotique.
Nous ne saurions non plus prétendre que la seule appréciation du spectateur puisse à elle seule suffire pour qualifier un tableau ou une sculpture d’œuvre d’art érotique. Un individu absolument étranger au christianisme et son iconographie pourrait comprendre la scène de la crucifixion de Le Tintoret (1565) comme la représentation d’un acte sado-masochiste.
L’art érotique ne serait-il pas simplement l’art qui fait référence aux émotions dans le cadre de productions à thème sexuel dont le caractère esthétique est indiscutable ? Si la notion d’émotion est acceptable, d’un point de vue étymologique éros sous-entendant amour et passion, elle est une condition trop restrictive pour expliquer clairement l’art érotique. La photo de Man Ray, « La prière » (1930), qui ne montre que les mains, les pieds et le haut des fesses d’une femme, n’est pas une représentation au sens strict d’un acte sexuel et ne procure aucune émotion à ce titre. Pourtant cette œuvre reste classée parmi les monuments de l’art érotique.
La prière - Man Ray (1930)
Au lieu de prétendre que l’art érotique s’attache à la représentation des désirs et des émotions, nous pourrions avancer qu’il est celui qui les provoque. Là encore la définition est trop peu rigoureuse. « La Vierge et l’Enfant entourés d’anges » de Jean Fouquet (1450), peut chez certains susciter des désirs érotiques, mais le tableau n’est pas en lui-même érotique. Il serait alors important de mettre en avant la volonté de l’artiste de provoquer des émotions et désirs sexuels et d’y parvenir. Mais l’art érotique doit-il nécessairement être explicite ?
La Vierge et l'Enfant - jean Fouquet (1450)
La photo, « The Look » de Nobuyoshi Araki (1993), montre l’œil d’une femme pris en gros plan. A priori rien de sexuel et encore moins d’érotique. Mais par un simple effet de rotation, l’œil présenté dans la verticalité, suggère un sexe féminin entrainant le spectateur dans la volonté de l’artiste de créer des émotions sensuelles. Cette œuvre est résolument érotique alors même qu’elle ne contient aucun élément explicitement sexuel.
The look - Nobuyoshi Araki (1993)
Pour affiner notre définition il serait possible de postuler que l’art érotique est l’art qui a pour dessein de stimuler sexuellement le public et qui y parvient dans une certaine mesure. Bien sûr il convient de préciser la notion de stimulation sexuelle qui, en tout état de cause, doit se rapporter à des émotions, des désirs et fantasmes sexuels. Cependant, l’art érotique ne saurait se réduire à l’idée d’excitation sexuelle. Nous conviendrons que les publicités pour des produits érotiques, comme la lingerie fine, peuvent provoquer quelques « effets » sans pour autant être estampillées « œuvre d’art ».
Si toutes les productions d’art érotique doivent avoir pour thème la sexualité, toutes les créations centrées sur la sexualité ne sont pas pour autant des œuvres érotiques. C’est par exemple le cas du tableau lumineux « Is Anal Sex Legal ? » de Tracey Emin (1998), constitué par cette simple question écrite à l’aide d’un tube de néon rose. Il se trouve aussi des œuvres qui voudraient induire des émotions sexuelles mais qui n’y parviennent pas et d’autres, comme celles d’Otto Dix, Altes Liebespaar (Vieux couple) de 1923, ou « Sex murder in the Ackerstrasse » de George Grosz (1916) qui provoquent des émotions sexuelles délétères.
Sex murder in the Ackerstrasse - G. Grosz (1916)
Enfin, il existe des œuvres qui peuvent entrer le domaine de l’art érotique mais qui ne présentent aucun caractère sexuellement explicite. Ce sont toutes les productions qui ont été réalisées sur des périodes où la censure interdisait aux artistes l’accès au champ érotique, mais dont les auteurs usant de subterfuges y ont caché un message très sexuel. La palme d’or dans le domaine devrait être décernée aux « Sukashi Shunga », Shungas cachées, très populaires au Japon au début du 20ème siècle. Les shungas traditionnelles sont des gravures sur bois dépeignant des scènes d’un érotisme torride dont la production a commencé vers 1600. Si au cours du 17ème les artistes furent libre d’exprimer leurs fantaisies érotiques, dès le 18ème les autorités japonaises commencèrent à restreindre leur diffusion et à la fin du 19ème les lois de censure devinrent suffisamment dissuasives pour que les artistes rechignent à titiller l’humeur des censeurs. Dès lors ils n’eurent d’autres solutions, pour ne pas tuer la poule aux œufs d’or, que d’inventer des procédés permettant de cacher le réel des œuvres aux yeux de la censure. Ainsi naquirent les « Sukashi Shunga », de belles cartes postales qui à première vue se présentaient comme de banales reproductions de paysages ou de jolies filles sages. Toutefois, placées dans un faisceau lumineux, elles laissaient apparaître en transparence de vraies scènes érotiques.
Autre exemple qui se rapporte à la même idée d’un érotisme caché : « La laitière » du peintre baroque hollandais, Johannes Vermeer (1658-1661). Ce tableau eut au 17ème la réputation de recéler un message érotique. Quelques érudits de l’art ont prétendu que le chauffe pieds que l’on aperçoit en arrière-plan suggérait le désir féminin, pour la simple raison que l’ustensile, positionné au sol entre les jambes, diffusait une chaleur à même de dégeler tout ce qu’il y avait sous les jupes de madame. Par ailleurs sur l’un des carreaux de faïence bleus on peut distinguer Cupidon et sur un autre un homme s’éloignant suggérant que la laitière pense à son amant parti. Même si l’interprétation du tableau peut paraître tendancieuse nous devons admettre que « La laitière » dégage une manifeste sensualité.
Nous le voyons, définir l’art érotique nous entraîne à chercher la quadrature du cercle, mais la gageure est excitante.
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