Les femmes et leurs fantasmes
Les fantasmes féminins ou masculins n’ont rien de moral ou politiquement correct, ils sont aussi irrationnels qu’hermétiques.

Les fantasmes féminins : illogiques, immoraux et politiquement incorrects ?
Il y a un siècle Sigmund Freud posait clairement la question du désir féminin sans pouvoir y répondre. Depuis des chercheurs, comme Masters, Johnson, Kaplan ou Komisaruk ont apporté des éclairages permettant de mieux appréhender, d'un point de vue « technique », la réponse sexuelle féminine. Pour autant, les fantasmes qui l'animent restent une zone encore sujette aux aprioris et à l'incompréhension.
En 1972, la féministe Nora Ephron publie « Fantaisies », un essai dans lequel elle détaille le fantasme qui l’accompagne depuis l’âge de 11 ans : un homme sans visage qui arrache ses vêtements. La publication de l’ouvrage a donné quelques haut-le-cœur aux féministes qui ne trouvaient pas le fantasme si féministe que ça. Forcément ! Les fantasmes n’ont rien de moral ou politiquement correct, ils sont aussi irrationnels qu’hermétiques. D’ailleurs est-il si important que ça de comprendre ? Ne serait-il pas plus simple d’accepter la nature protéiforme de la fantasmatique sans autres formes de questionnement ?
Anne a 54 ans, féministe convaincue, esthéticienne, élégante et distinguée, férue de littérature et de musique classique, mariée à un cadre supérieur, mère de trois filles, elle appartient à la catégorie csp+. Libertine assumée, elle s’autorise à vivre sans retenue toutes ses fantaisies érotiques. Son fantasme masturbatoire favori : déambuler la nuit à travers des rangées de camions garés sur les aires d’autoroute, mini-jupe et bottes de cuir noir. Au milieu des camionneurs surexcités, elle s'imagine faire le show. Ce qu’elle fantasme n’est pas d’être traitée comme un objet sexuel, mais l’excitation que déclencherait son pouvoir d'embrasement sexuel. Laurence, 35 ans, professeure d’arts plastiques, mère aimante et épouse attentionnée, apprécie tout particulièrement de se masturber en fantasmant une scène où un homme copule avec des animaux. Son effervescence libidinale n’est pas motivée par la zoophilie, elle l’est par l’image d’un homme dont l’excitation est devenue si incontrôlable qu’il en vient à se comporter comme une bête affamée de sexe. L’une et l’autre sont psychologiquement équilibrées, stables et heureuses dans leur couple, reconnues et appréciées pour leurs compétences professionnelles, bien intégrées socialement, des femmes comme il en existe des millions de par le monde. Et pourtant lorsqu'elles font part de leur fantasme les réactions balaient une palette allant de la défiance à la réprobation.
Ni vierge, ni putain.
Dans le courant des années 70 et de la dynamique de libération sexuelle émerge le concept de « femme libérée ». Seulement séduisant sur le papier, il reprend et entérine la vision manichéenne de la femme, vierge ou putain, à la seule nuance que, dans l'esprit seventies, la femme libérée est celle qui se délivre du carcan chaste de la vierge pour assumer ouvertement de revêtir les habits licencieux de la putain. Mais cette acception de la libération sexuelle, prestement exploitée par les pornographes, n'a de sens que pour ses promoteurs. Pour les femmes elle est, à minima, source de désagréments. Ce qui leur importerait, en termes de libération, serait que la société s'affranchisse d’une conception obsolète de leur sexualité. En d’autres termes qu'elle leur reconnaisse la qualité d’être humain désirant et fantasmant sans porter de jugements sur ses manifestations.
Les sexologues le savent, la fantasmatique féminine est luxuriante. Ils/elles avouent que la vision de la femme vierge ou putain ne permet pas de rendre compte de la réalité de sa construction psycho-sexuelle. Car les femmes produisent des fantasmes absolument au même titre que les hommes et on ne saurait affirmer que leur exubérance diverge fondamentalement. Cependant il est courant que les spécialistes de la question accolent l’adjectif effrayante à la fantasmatique féminine, probablement dans l’intention de marquer leur docte compréhension de sa nature. Bien que cette appréciation ne soit pas totalement erronée, elle porte les stigmates d’une approche du sujet éminemment genrée, qui n’autorise pas son analyse objective. Si la fantasmatique féminine est effrayante elle ne l’est pas plus ni moins que sa contrepartie masculine. Hommes et femmes sont capables de fantasmer des situations érotiques hors-normes, en la matière ils sont sur un pied d’égalité. La seule différence que l'on saurait mettre en exergue repose sur la notion d'objectification plus courante chez les premiers que chez les secondes.
Transgressif par nature.
Si le fantasme n’a rien de moral ou de politiquement correct, c’est parce qu’il entretient une relation intime avec la transgression. Rappelons que la transgression est une notion subjective en lien non seulement avec les tabous universels, mais aussi avec les interdits spécifiques de chaque société, de chaque famille et de chaque individu. C’est pourquoi, par exemple, la sodomie ne portera pas les mêmes caractéristiques d'excitation transgressive pour la personne éduquée dans un contexte puritain que pour celle issue d’une famille ouverte et compréhensive à l’égard du sexuel.
Le fantasme n’a rien de logique non plus. On peut être féministe et s’épanouir dans des relations de Domination/soumission, être hétéro convaincu.e et fantasmer sur une relation homosexuelle. Que l’on trouve cela contradictoire est compréhensible, néanmoins c'est un fait, le fantasme se nourrit aussi de la transgression de nos propres valeurs. L’érotisme tantrique y fait d'ailleurs référence lorsqu’il impose au tantrika de « provoquer un scandale en soi, de dérouter la raison, pour se défaire de son homme social » et révéler son être originel. C'est pourquoi les fantasmes peuvent nous perturber, nous mettre mal à l’aise, nous interroger, nous laisser un goût de culpabilité, de honte, lorsque l’orgasme passé, nous sommes encore traversés.es par les images, les scénarios qui nous ont fait jouir. Si l’effet dérangeant persiste et que le fantasme devient source d’anxiété, de mal-être, il est toujours possible d’en parler à un spécialiste. Cela dit, quand les fantasmes s’organisent autour de l’inceste, de la pédophilie, de la zoophilie, de la nécrophilie ou de l'agression sexuelle et qu’ils s’immiscent dans le réel avec l’injonction d’une réalisation, il est indispensable et urgent de se questionner et de consulter un ou une sexologue.
Enfin, rappelons que le fantasme pur, restant au stade de l’imagerie mentale, et le fantasme réalisé sont deux choses bien distinctes, que le passage de l'un à l'autre n'est pas toujours couronné de succès et qu'il est souvent préférable de s'en tenir à la version immatérielle.
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