L'erreur relationnelle : dissonance cognitive et autojustification
Notre propension à vouloir vivre dans un monde qui nous ressemble nous entraine à faire une réalité de l’idéal relationnel que nous avons construit mentalement et donc à fantasmer l’autre plutôt qu’à le voir tel qu’il est.

Quand l'amour rend aveugle.
Derrière ce dicton rebattu se cache une vérité on ne peut plus scientifique. Lorsque nous tombons sous le charme d'une personne, notre perception de sa nature est immanquablement altérée par la production endogène d'un cocktail de substances chimiques. En conséquence nous avons tendance à minimiser ses défauts, voire à leur trouver un certain charme, et inversement à magnifier ses qualités et parfois même à lui en accorder qui n'ont aucune existence réelle. De plus, dans le temps idyllique de la rencontre, nous manifestons une incroyable aptitude à faire le deuil d'une partie de nos convictions et croyances. En fait, nous manipulons la réalité pour la faire coïncider avec nos attentes. En psychologie sociale, deux notions mettent en exergue ce phénomène : la dissonance cognitive et l’autojustification.
La dissonance cognitive.
Selon Léon Festinger, professeur en psychologie sociale, quand nos comportements se trouvent en contradiction avec nos opinions, croyances ou idéologies, nous ressentons un état d’inconfort, de tension psychologique. Ces états d'être définissent le concept de dissonance cognitive. Marie vient de rencontrer Bernard, un beau garçon qui lui plaît énormément. Lui est fan de corrida, mais Marie la tient pour une pure maltraitance animale. Mais parce qu'elle est sous le charme de Bernard elle minimise son aversion et accepte d'aller en voir une. Une fois dans l'arène, devant les taureaux ensanglantés, elle expérimentera cet état dissonance cognitive. Pour réduire la tension psychologique qui l'étreint elle n'aura d'autres solutions que de sortir de l'enceinte ou d'ajuster ses cognitions(tout élément de connaissance, opinion ou croyance sur l’environnement et sur soi-même) en autojustifiant sa présence. Dans le cas d’espèce, Marie pourra relativiser l'horreur de la corrida en focalisant, par exemple, sur sa dimension allégorique. L’autojustification n’est ni un mensonge ni une excuse, mais plutôt une façon de s’arranger avec le réel pour éviter de reconnaître que nous faisons une erreur.
L'autojustification source d'erreur relationnelle.
Carol Tavris, psychologue sociale et Elliot Aronson, psychologue, ont publié en 2010 un livre intitulé Les erreurs des autres/L’autojustification, ses ressorts et méfaits, dont un chapitre est consacré à la dissonance cognitive et l'autojustification dans le mariage, vues comme les principales causes de dégradation inéluctable de la relation. Imaginons que Bernard, d’une nature plutôt économe, rencontre Marie, laquelle a les poches percées. Dans un premier temps, Bernard qui est très attiré par Marie va corrompre sa perception de la réalité et appréhender le défaut de Marie comme une marque de grande générosité. Une fois le couple formé et les années passant, les poches percées de Marie perdront, aux yeux de Bernard, leur statut fantasmé de générosité. La question de la bonne gestion des ressources financières du couple, primordiale pour Bernard, aura alors toutes les chances de générer des conflits et à terme une séparation.
L'erreur relationnelle se fonde sur notre propension à vouloir vivre dans un monde qui nous ressemble, à concrétiser l’idéal relationnel que nous avons construit mentalement et donc à fantasmer l’autre plutôt qu’à le voir tel qu’il est réellement. Dans cette dynamique, au commencement d’une relation, nous saisissons toutes les opportunités pour nous conforter dans l’idée que l’autre est compatible avec nos cognitions, quand bien même il ne le serait pas. Toutes les attitudes susceptibles de contredire ce que nous voulons comprendre de l’autre sont occultées et tous celles propres à corroborer nos idées sont amplifiées.
Cette aptitude à l'auto-tromperie nous entraîne à commettre des erreurs de jugement préjudiciables pour le projet de couple. Si le processus d’autojustification nous permet de résoudre les tensions générées par la dissonance cognitive, il n’est pas une solution qui ouvre sur des perpectives de long terme. Pour éviter de nous embarquer dans des histoires sans lendemain, nous devons accepter la nature de nos cognitions et en tout état de cause les respecter si ne nous ne sommes pas en mesure de les amender en conscience. Il nous faut aussi refuser d’enfermer l’autre dans nos représentations fantasmatiques. Enfin, nous devons être vigilants afin de démasquer nos autojustifications car elles nous indiquent clairement que nous sommes en train de faire fausse route.
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