Beate Uhse symbole de la révolution sexuelle allemande
En avance sur son temps, ou le comprenant mieux que les autres, Beate Uhse fut pendant deux décennies à l'avant-garde de l'émancipation sexuelle des femmes.

« Je veux la liberté pour l'amour ».
C'est un fait historique, le concept de sex-shop a été inventé par une femme : Beate Rotermund Uhse, une précurseuse qui aura eu l’audace, dans le contexte rigoriste de l’Allemagne d’après-guerre, de commercialiser le plaisir sexuel au sein de boutiques ayant pignon sur rue. Décédée le 16 juillet 2001 à l’âge de 81 ans, Beate Uhse symbolise à elle seule ce que fut la révolution sexuelle allemande.
Fille d’un père fermier et d’une mère médecin, Beate Uhse grandit dans un environnement familial aux valeurs libérales, un milieu épanouissant qui lui permettra se forger une personnalité douée d'une indéfectible force d'entreprendre. À 16 ans, elle se lance un premier défi : devenir aviatrice. Elle suit la formation ad hoc et obtient l'ensemble des brevets nécessaires au pilotage d'un avion. En 1937 elle intègre la Luftwaffe où elle sera élevée, grâce à ses état de service, au grade de capitaine. Au lendemain de la capitulation de l’Allemagne, son statut de pilote de guerre lui interdisant d'exercer le métier d'aviatrice, elle se lance dans la vente de petits objets de pacotille en porte à porte.
Du porte à porte à l'émergence de la société Beate Uhse.
Son activité de colporteuse l'amène à rencontrer de nombreuses ménagères, dont une grande partie est tombée enceinte au lendemain de la signature de l'armistice. Les temps sont économiquement durs et beaucoup de grossesses se soldent par un recours aux « faiseuses d’anges ». Touchée par le sort de ces femmes contraintes à l’avortement elle décide de promouvoir le mode de contraception qu'elle-même utilise : la méthode Ogino-Knauss, une technique permettant de déterminer, avec une relative précision, les jours de fertilité. Elle emprunte une machine à écrire, rédige un manuel explicatif « Schrift X », le fait tirer à 2 000 exemplaires et fixe un prix de vente à la portée de toutes les bourses. En quelques mois elle en écoule 32 000 unités.
Nantie d’un petit capital, elle crée sa première société, Betu-Versand, une entreprise de vente par correspondance qui distribue « Schrift X » dans des grandes villes allemandes. Peu à peu elle acquiert la notoriété de « celle qui sait » et reçoit des dizaines, puis des centaines de demandes de conseils sur tout sujet concernant la sexualité. Comprenant qu'il est nécessaire d'aller plus en avant dans la distribution de produits et conseils dédiés à la sexualité, elle décide de commercialiser préservatifs, crèmes lubrifiantes et livres d’éducation à l’hygiène sexuelle. Nouveau succès et nouvelles ambitions. En 1951, avec quatre de ses employés, elle fonde la société Beate Uhse Mail Order Co. qui prend rapidement le leadership européen de la vente par correspondance.
La création du premier sex-shop au monde.
En 1962, dans l’Allemagne conservatrice de « l’âge d’or du mariage », la contraception, l’émancipation sexuelle en générale et celle des femmes en particulier, sont loin d'obtenir l'adhésion générale. C'est pourtant à cette époque que Beate Uhse fait part à son équipe de son intention d'ouvrir la première boutique spécialisée dans les produits d'hygiène du couple. Malgré les réactions mitigées de ses collaborateurs, elle persiste dans son idée. Son avocat lui conseille alors de faire preuve de patience et d’attendre la période de Noël pour implanter son échoppe, les gens étant focalisés sur les festivité, il est persuadé que la pilule passera plus facilement. Fin 1962, à Flensburg une ville du nord de l’Allemagne, Beate Uhse inaugure le premier sex-shop du monde, baptisé « Institut pour l’hygiène conjugal ». Si, comme l’avait anticipé son avocat, le magasin ne suscite pas immédiatement l'opprobre, peu à peu, la nouvelle se diffusant, les réactions hostiles prennent de l'ampleur, les plaintes se multiplient, mais l’entrepreneuse tient bon et résiste à la pression politico-judiciaire.
Le premier sex-shop Beate Uhse.
La révolution sexuelle soixante-huitarde : l'apogée puis la chute.
En cette fin de décennie, dans la suite des révolutions de 68, la jeunesse allemande aspire à plus de liberté. La sexualité se déleste de ses tabous les plus réactionnaires. On veut jouir sans entraves. Pour la société Beate Uhse tous les voyants sont au vert. Son entrepreneuse, qui voit toujours plus grand, saisit l'occasion pour envahir l'Allemagne de ses magasins. Toutefois la success-story génère des émules. La société Beate Uhse perd son monopole sur un marché qui devient de plus en plus concurrentiel et qui surtout se diversifie. Car l’assouplissement des lois régulant la diffusion de contenus pornographiques a donné naissance à une proto-industrie du sexe qui surfe avec opportunisme sur la vague de la libération sexuelle. La santé génésique et le conseil, au cœur du projet de Beate Uhse, font de moins en moins recette. Pour rester dans le coup sa société amorce un changement de cap en investissant le champ émergeant de la diffusion puis en 1975 celui de la production pornographique.
Sex-shop Beate Uhse version eighties.
Au début des années 1980, une brouille familiale entraîne un split de la société de Beate Uhse. Ses fils, Klaus et Dirk, prennent le contrôle de la vente par correspondance, tandis qu’associée à son fils Ulrich elle continue de gérer les échoppes. Cet évènement la marquera profondément et la conduira à réduire son implication dans la société à un rôle d'ambassadrice. En 1999 la société à son apogée fait une remarquable entrée à la Bourse de Francfort. Mais faute de savoir s’adapter à l’avènement de l'internet haut débit, Beate Uhse, la plus grosse entreprise allemande de produits érotiques, dépose le bilan en 2017.
Beate Uhse, féministe controversée.
En avance sur son temps, ou le comprenant mieux que les autres, Beate Uhse fut pendant deux décennies à l'avant-garde de l'émancipation sexuelle des femmes. Son combat pour la promotion de la santé génésique, sa volonté de libérer ses congénères des aléas de la sexualité auraient pu lui conférer une place privilégiée au panthéon des féministes si, au tournant des années 70, l'implication de sa société dans la distribution et la production de matériels pornographiques n'avait suscité des interrogations quant à la sincérité de son engagement en faveur de la condition féminine.
Le musée de l'érotisme à Berlin.
Longtemps considérée persona non grata dans sa ville d’adoption, Flensburg, elle en sera nommée citoyenne d’honneur en 1999. Dix ans plus tôt elle avait reçu la Croix de chevalier de l’ordre du Mérite de la République Fédérale d’Allemagne. En 1996, pour son propre plaisir elle créera à Berlin un musée de l’érotisme : « The Beate Uhse Erotic Museum ». Beate Uhse décèdera en 2001 juste après la publication de son autobiographie « Je veux la liberté pour l’amour ».
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