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Le nu masculin, la face oubliée du nu artistique

Le nu masculin, la face oubliée du nu artistique

Pendant des siècles le nu masculin a servi de support pour exprimer les valeurs morales devant présider à la bonne marche des sociétés. Ce n'est qu'à partir de la seconde moitié du XXème siècle qu'il s'offrira aux regards des amateurs de sensations érotiques.

Le nu masculin, la face oubliée du nu artistique

Le corps de l'homme nu, entre idéal et fantasme.

À l'évocation du nu artistique, il est difficile de ne pas spontanément penser "nu féminin". Rien d’étonnant tant sa production a été surabondante depuis un bon siècle et demi. Cependant, si le nu masculin ne retient pas l’attention des foules contemporaines, il n’en demeure pas moins un genre qui a traversé et marqué de son empreinte l’ensemble de l’histoire de l’art. 


L'homme nu de Lascaux.

La première représentation connue d’un homme nu se trouve dans l’endroit le moins accessible et le plus secret de la grotte de Lascaux, le Puits de l'homme mort. Réalisée en quelques traits rudimentaires, contrastant avec la qualité graphique des autres dessins, elle revêt une valeur plus symbolique qu’esthétique. Un détail lui confère une place particulière dans l’histoire de l'art : l'exhibition d’un pénis en érection. Car le fait sera exceptionnel et hormis quelques statues de Priape ou de Satyres ithyphalliques, le phallus brillera par son absence artistique tout au long de l'histoire.


Satyre ithyphallique.

Ce sont les grecs qui offriront au regard les premières représentations idéalisées du corps masculin, reflétant leur volonté d’incarner le concept du beau que Platon définira comme la recherche de l’harmonie totale. Le sculpteur Polycète créera le premier canon de la beauté masculine, le Doryphore, une statue aux proportions minutieusement calculées.


Le Doryphore de Polycète.

Contrairement à ce qui couramment entendu le nu masculin de la Grèce Antique n'a pas un dessein homo-érotique. À l'époque, la nudité est banale. Elle est d'ailleurs omniprésente : aux bains publics, au cours des processions religieuses ou dans la pratique du sport. Les dieux eux-mêmes sont représentés dans le plus simple appareil. L'exhibition du pénis, aux dimensions sciemment réduites, a en réalité une fonction symbolique : mettre en évidence la capacité de l’homme éduqué à contenir ses pulsions sexuelles. Le nu masculin grec évoque les belles valeurs morales dont les hommes doivent être les garants.


Zeus ou Poseidon. Bronze attribué à Kalamis, vers 460 av. J-C.

Avec l’avènement du christianisme, le nu masculin devient ambigu. À la fois symbole de la pureté d’Adam et de l’obscénité de la faute originelle : « Et les yeux de tous furent ouverts ; ils connurent qu’ils étaient nus et ils cousirent ensemble des feuilles de figuiers, et s’en firent des ceintures. » À noter que dans de rares exemples, pour mettre en évidence l’humanité du Christ, le Sauveur est représenté entièrement nu.


Crucifix de Santo Spirito. 1492. Michel-Ange.

À partir du XIVème siècle, intellectuels et artistes redécouvrent ce que l'Antiquité avait produit d’éminemment remarquable, tant en matière de philosophie, de littérature, de sciences que d’art. Durant toute la Renaissance ils se réfèreront à la perfection que les anciens avaient atteinte, à l'image du sublime Hercule Farnèse ou du Groupe du Laocoon.


L'Hercule Farnèse, attribué à Lysippe. 400 av. J-C.


Groupe de Laocoon. Agésandros, Polydoros et Athénodoros.  200-100 av. J-C.


David. Michel-Ange. 1501-1504.

La Renaissance se veut fidèle aux idéaux ayant guidé les artistes de l'Antiquité et la sublimation esthétique du corps masculin tend à rendre compte des hautes valeurs morales qui doivent fonder les sociétés. Cette ambition tombera en désuétude durant les périodes maniéristes et baroques, plus inspirées par l'éloge de la sensualité et de l’insouciance hédoniste, mais reviendra en force à partir de la seconde moitié du XVIIIème. Au siècle des Lumières, la référence renouvelée aux héros de la mythologie classique tente de ressourcer l’idéal de noblesse et droiture de l’âme que le XVIIème avait corrompu. Le corps masculin idéalisé est vecteur de l’exemplum virtutis, le nu héroïque l’incarnation du vrai, du beau et du bien.


Thésée combattant le Minotaure. Etienne-Jules Ramey. 1827.

L’exaltation de la masculinité virile est par ailleurs symptomatique d’une défiance à l’égard de la gent féminine que philosophes et moralistes tiennent pour responsable de la décadence du siècle libertin, d’aucuns affirmant que la civilisation antique a touché l'excellence parce que dominée par des forces simples et viriles. Paradoxalement, le nu masculin va sensiblement se féminiser vers la fin du XVIIIème, ce qui pour Xavier Rey, ex-conservateur du Musée d’Orsay, est la conséquence d’une recherche excessive de la grâce. 


Jean-Baptiste Frédéric Desmarais. Le Berger Pâris. 1756-1813.

Les années 1800 voient le retour du nu féminin au premier plan de la scène artistique, reléguant son homologue masculin au rang de genre annexe. Pour autant le corps masculin continue d'inspiré les artistes, mais leurs intentions ne sont plus celles du siècle précédent. La nudité de l’homme se départit de toute velléité propagandiste, et qu’ils soient guidés par l’expression des états d’âmes ou la mise à nu de la vérité humaine, peintres et sculpteurs ne sont plus assujettis à la promotion d’une quelconque moralité politique, ils redeviennent subversifs, contestataires, animés d’une volonté de perturber la bien-pensance. L’homme sensuel, l’homme fragile, l’homme ventripotent, s’exposent sans pudeur. 


Balzac par Rodin. Étude. 1892.


L'Âge d'airain. Rodin. 1877.

Le XXème siècle, affranchi de tout rapport à la bienséance et de la sujétion aux pouvoirs politiques, va libérer le corps masculin de la censure imposée par la décence, corps qui désormais s’offre aux amateurs d’émotions érotiques.


Garçon de dos. Herbert List.

Toutefois, comme l’a souligné Gene Thornton dans le New-York Times : « Lorsque le corps dévêtu est celui d’un homme, on comprend mieux l’intérêt de notre bonne vieille pudeur. On ne peut nier que le corps de l’homme puisse être sexuellement attirant pour une femme, ainsi que pour quelques hommes. On ne peut nier non plus que le nu masculin occupe une place traditionnelle et honorable dans l’histoire de l’art. Néanmoins, il y a quelque chose de déconcertant dans la vue d’un corps d’homme présenté comme objet sexuel. » Mais la nudité n’a pas pour seul objectif de satisfaire les regards lubriques. Alors qu’il avait servi la promotion d’idéaux devant présider à la bonne moralité des sociétés, le nu masculin s’imposera comme outil de contestation de la morale bourgeoise et de la répression sociale de l’homosexualité.


Douche. Boris Ignatovitch. 1932.


Kyle and Laine Carson, Golden Beach. Bruce Weber. 2000.

Au tournant du nouveau millénaire, la crise de la masculinité va ouvrir un autre chapitre dans l’histoire du nu masculin. Le nu idéal, héroïque, cède la place au nu imparfait exprimant le mal-être qui s’empare d’une grande partie de la gent masculine en perte de repères.


Naked Man on Bed. Lucian Freud. 1989.

L’homme désabusé, désorienté, en quête d'équilibre et d’une nouvelle identité, inspire une approche pragmatique et in fine plus subtile de sa condition. L’homme fantasmé des anciens, monolithique et infaillible, est un leurre, un concept qui a produit deux millénaires de malentendus. L'homme contemporain doit se réinventer.


Behold the man. Grzegorz Gwiazda.  2009.


Cyclist. Grzegorz Gwiazda. 2013. 


Volador. Grzegorz Gwiazda. 2014.



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