Sphère émotionnelle

Les Fuck Paintings de Betty Tompkins

Les Fuck Paintings de Betty Tompkins

Qui pénètre, qui engloutit ? Qu'en est-il de l’iniquité homme-femme face au désir, à la jouissance ?

Les Fuck Paintings de Betty Tompkins

Au delà du porno.

Betty Tompkins a patienté 30 ans avant que son talent ne soit identifié. Si elle est aujourd'hui une artiste reconnue, pour la pertinence artistique d'une démarche centrée sur un détournement de l’iconographie pornographique, elle a subi jusqu'au crépuscule du 20ème siècle la censure ainsi que l’ostracisme des critiques d’art et des galeristes. 


Fuck Painting #7

Dans le New-York des années 70, les plasticiens bankables sont pour l’essentiel des hommes blancs dans la quarantaine. Betty Tompkins est une jeune femme tout juste diplômée. Ses premiers contacts avec les marchands d’art ne lui laissent que peu d’espoirs. Systématiquement on lui suggère de revenir plus tard, quand elle aura trouvé sa voie... Par chance le quartier de SoHo, et ses usines abandonnées, offre des opportunités pour la création d’espaces d'exposition alternatifs. Elle en profite et décroche son premier vernissage collectif. En 1973 elle est invitée pour une exposition parisienne, mais ses « Fuck Paintings » sont bloqués par les douanes françaises qui ne goutent guère leur caractère licencieux. Toutefois, cet incident l'incitera à changer de registre, d’expérimenter d’autres idées, qui lui ouvriront une première fenêtre de visibilité.


Ten Until She

Décennie 90, Betty Tompkins contacte le célèbre critique d’art new-yorkais Jerry Saltz qui prépare une expo sur le sexe. Elle croit y avoir droit de citer et lui envoie des slides de ses tableaux. Pas de réponse et nouvelle désillusion. Quelques années plus tard, Mitchell Algus, un marchand d’art en vogue, décide de lui donner sa chance. En 2002, elle obtient une expo personnelle où est présenté l’ensemble de son œuvre. Un tournant dans sa carrière. La biennale d'art contemporain de Lyon, l'invite en 2003 et, dans la foulée, le Centre Pompidou se porte acquéreur de la « Fuck Painting #1 ». 


Fuck Painting #1

Artiste remarquablement prolifique, Betty Tompkins a pensé toute sa production en termes de série. La première intitulée « Fuck Painting » a été réalisée entre 1969 et 1974. Conçue comme une suite de tableaux monumentaux, elle traite de la pénétration sexuelle dans un style que l’on qualifierait d’hyperréalisme si la palette de couleurs, ostensiblement limitée aux noir, blanc et gris, l’effet sfumato produit par l’aérographe, et quelques subtilités graphiques, ne leur conféraient une dimension métaphorique.


Fuck Painting #42

Questionnée sur le moteur de son inspiration l’artiste a souvent répondu par la même confidence : « Mon premier mari avait une grande collection de revues porno et un jour en les feuilletant j’ai pensé : si on supprime les têtes et les jambes – tous ces trucs chiants – et qu’on se concentre sur le money shot (allusion à l’éjaculation finale dans le X), alors c’est superbe… vraiment superbe d’un point de vue formel. » C'est paradoxalement en portant la focale sur le seul génital que Tompkins va organiser la déconstruction de l’iconographie porno. Supprimant toutes traces d'objectification des ouvertures du corps féminin, elle propose une lecture de l’union charnelle à la fois douce et sensuelle. Le traitement égalitaire des sexes, se partageant équitablement l’espace pictural, célèbre une sexualité complice où le rapport de domination masculine n’a plus lieu d’être. Qui pénètre, qui engloutit ? Qu'en est-il de l’iniquité homme-femme face au désir, à la jouissance ?


Fuck Painting #46

Le féminisme de l’œuvre de Tompkins se révèle avec force au travers de plusieurs séries de tableaux juxtaposant mots, images et humour cynique. 


My Ex's Favorite

« Le terme d'affection favori de mon ex était "scleprock" (bonne à rien) dont il usait presque tous les jours, mais surtout lorsqu'il m'expliquait pourquoi retourner à l'école ou travailler était dans mon cas une perte de temps. Il était bien pour moi d'avoir des hobbies tels que jouer à trouver une carrière ou avoir une meilleure éducation tant que je me rappelais que mon véritable boulot était de tenir sa maison impeccable et bien m'en prenait d'être à la lessive ou de servir le repas à 19h00. Il avait aussi des lubies : confisquer mes ordonnances, écraser ma tête sur la machine à laver, m'étouffer jusqu'à l'évanouissement, prendre mon téléphone et mon ordinateur portable et celle d'être un salaud abusif. Mais, tout ce qui m'arrivait c'était parce que j'étais juste une scleprock" »

Pour la série « Women’s Words » elle s'inspire de phrases typiquement phallocrates. 


And Then He

« Puis il éjacula sur son visage, mais c'était ok puisque c'était une salope »

Il est difficile de rendre compte de l’intégralité de la production de Betty Tompkins tant elle est vaste. « Fuck Paintings », « Sex Paintings », « Cunt Paintings », « Sex Grid Paintings », « Pussy Paintings », « Masturbation Paintings », « Blow Job », « Kiss Grid Paintings », « Censored Grid », « Girl on Girl » et autres « Women’s Words » forment un ensemble de séries aussi divers qu’homogène.


Girl on Gril #2


Kiss Grid #1


Masturbation Painting #2


Pussy Painting


Si la critique contemporaine reconnait la pertinence artistique de son travail, elle ne s’accorde pas sur sa portée féministe, certains y voyant « une sorte d’animalité agissante », d’autres l’expression pseudo-artistique du porno, d’autres encore un anti-féminisme latent sous un discours artistiquement pavé de bons sentiments. Finalement l'œuvre de Tompkins nous rappelle l'embarras endémique qui frappe les sociétés androcentrée dès lors qu'il s'agit de se confronter à l'expression féminine de l'obscène.

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