MissMe, l'empreinte d'une époque
Street-artiste engagée dans un combat féministe, MissMe produit des œuvres puissantes qui portent un message clair : " La féminité est un spectre immense qui s'étend bien au-delà des canons de beauté."

L'art de l'engagement politique.
L’appropriation de l’espace urbain à des fins artistiques revendiquées est une des émanations de l’underground new-yorkais des années 70. La genèse du mouvement est cependant attribuée à Daryl McRay de Philadelphie, alias Cornbread, tagueur de la fin des années 60. À première vue anecdotique, le tag se révèle être un excellent outil d’expression politique pour les populations ghettoïsées. Car plus qu’une simple trace, c’est un moyen d’imposer sa présence et d’affirmer son existence au-delà de son propre espace social. Cornbread le comprend le premier. Ses tags font des émules et forment une communauté qui s'engage dans une prolifique compétition. Les tagueurs rivalisent d'inventivité graphique et développent des techniques de plus en plus sophistiquées. Les tags se transforment en graphs, de véritables œuvres d'art qui révolutionnent le paysage urbain.
En prenant la rue, les arts plastiques redécouvrent la liberté de créer, affranchis de la tutelle des galeristes, marchands et critiques d’art. Liberté plastique, liberté de dire ou de hurler si nécessaire. Au cours des années 90, l’art urbain explose et les villes se couvrent de ses productions. La rue redevient un espace où s’expriment avec force, humour et poésie, toutes sortes de revendications : anarchistes, antimilitaristes, anticapitalistes et bien sûr féministes.
Si l’action militante nécessite la production de discours dûment argumentés, l'excès de théorisation, l'élitisme idéologique induisent trop souvent des effets contreproductifs qui empêchent le plus grand nombre de percevoir le bien-fondé du message. Mettre des mots sur les maux pour mieux les circonscrire, mieux appréhender leurs origines et conséquences est une démarche qui malheureusement ne garantit pas toujours les meilleurs résultats. C’est pourquoi il est parfois préférable de s’en remettre au pouvoir de l’image. Pour MissMe, une street-artiste féministe de Montréal, connue pour ses collages urbains XXL et son éternelle cagoule noire aux grandes oreilles, l’option s’est imposée comme une évidence.
Le parcours engagé de la jeune artiste débute par une rupture professionnelle et une question d'intégrité. Directrice artistique d'une agence de pub, destinée à une brillante carrière, elle se sent esclave d’un mode de vie surfait, dépourvu de sens. L’urgence de se réaffirmer, de retrouver une voix authentique, l'invite à tout plaquer et à user du feu de la créativité pour la bonne cause. Comme nombre de jeunes artistes, elle pense se faire connaître via Instagram, mais sa première publication est censurée. Vexée, elle décide de l'imprimer en grand format et d’en tapisser les murs de la ville de Montréal. Une double révélations : la rue comme terrain d’expression ouvert à la vérité artistique et le collage mural comme médium.
Ce premier autoportrait, pièce centrale de son art, ne cessera d’évoluer avec le temps. Dans une interview accordée à l’association Urban Street Art Urbain, elle confesse : « J’ai toujours eu besoin d’utiliser mon corps pour m’exprimer artistiquement, c’est très particulier à ma pratique, cela me permet de faire ressortir toutes sortes d’émotions. Cette nudité est étrange et un peu agressive, mais pas du tout sexuelle. Les gens n’ont pas l’habitude de voir le corps de la femme exploité par elle-même, qui plus est d’une manière non-séductrice. »
En 2016, à l’occasion de la Nuit Blanche de Montréal elle crée une œuvre de collage, Army of Vandals, 42 combattantes incarnant la puissance et la révolte. Dans l’esprit de l’artiste « Vandal est une femme qui revendique sa nudité et son corps en tant que sien, en faisant abstraction des notions de sexualité et de désir. » Présentées de manière frontale les Vandals défient le mâle gaze et fracassent l’image stéréotypée que les médias donnent de la féminité.
Aujourd’hui le travail MissMe, alliant féminisme militant et insolence politique, est reconnu comme une œuvre contemporaine majeure. Ses autoportraits masqués ont investi les rues d'Amérique, de Cuba, d’Italie, de Hong-Kong, de Suisse, d’Allemagne, de Suisse, du Portugal et du Moyen-Orient. Mais l'espace public n’est pas un musée, il n’en respecte les codes de bienséance et les œuvres ne bénéficient d’aucune protection. Livrées sans filtre à la critique du spectateur, elles ne sont pas à l’abri de la dégradation et de la censure prosaïque des quidams, comme à New-York où un mécontent a dessiné des culottes sur tous ses collages et rajouté « respect yourself ». Ou encore à Montréal où quelques outragés en ont arraché des parties et recouvert le restant de tombereau d’insultes. La liberté d’expression qu’offre la rue n’est pas sans contrepartie.
« It’s not me, it’s you ». Inscrit sur nombres de ses œuvres, le slogan n’a été compris qu’à la suite du mouvement MeToo : « Si tu trouves que ce corps est sexuel, ça t’appartient. Ça ne m’appartient pas. Ne me fais pas porter le poids de tes jugements. » Parallèlement à la série qui met en scène son corps, l’artiste en conçoit d’autres, comme celle intitulée « Aspire to inspire », des collages qui rendent hommage à des femmes inspirantes, Frida Kahlo, Simone de Beauvoir, Helen Keller, Maya Angelou et bien d'autres. Dans « Buy More !! » elle dénonce les abus de la Fast Fashion, de la mondialisation sauvage qui accorde plus de valeur aux produits manufacturés qu’à ceux qui les fabriquent.
Intègre, politisée au sens noble du terme, engagée sans retenue, imperméable à la compromission, MissMe est une artiste qui s'inscrit dans l'air du temps. Loin de l'ambiance policée des musées, elle hurle le mal-vivre des femmes dans une société toujours aussi cadenassée par les stéréotypes et les représentations dévalorisées du féminin.
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