Sphère émotionnelle

Perversions sexuelles ou paraphilies : la question des normes sexuelles (1/2)

Perversions sexuelles ou paraphilies : la question des normes sexuelles (1/2)

L'anxiété de la survie de l'espèce, inscrite dans les sous-sol de l'inconscient collectif, a certainement motivé la stigmatisation des sexualités non-reproductives et la disqualification du plaisir en tant qu'objectif exclusif de la sexualité.

Perversions sexuelles ou paraphilies : la question des normes sexuelles (1/2)

Les sexualités alternatives : du concept de perversion à celui de troubles paraphiliques.

Le rapport qu’entretient la majeure partie de l’humanité avec le versant jouissif de la sexualité semble depuis toujours avoir été contrarié par des questions de morales définissant de manière résolument restrictive ce qui est acceptable en la matière. 

En Occident l’appréhension de la normalité et de la perversion a été formatée par une conception théologique de l’acte sexuel symbolisée dans la Genèse par la mise à mort d’Onan, coupable d’avoir laissé sa semence se perdre dans la terre. La condamnation biblique du gaspillage de sperme, qui révèle un continuum dans la pensée d’homosapiens porté par l’anxiété de la survie de l’espèce, fait écho à l’émergence du culte phallique et la transmutation de la semence masculine en siège sacré du principe de vie. Cette aversion chrétienne pour la dépense stérile servira de fondation à un système de pensée qui encouragera la promotion de la sexualité sur un mode hétérosexuel et coïto-reproductif, disqualifiera le plaisir en tant qu’objectif exclusif et conduira à spécifier toutes les activités et orientations sexuelles non reproductives comme des « perversions ». 


Les dangers de la masturbation.

Si l’on peut conjecturer que les pratiques et orientations sexuelles n’ont pas ou peu évolué au fil des siècles, il n’en est pas de même de leur caractère licencieux fluctuant au gré des volte-face de la morale collective et de l’adhésion plus ou moins forte du peuple au discours religieux. C’est ainsi qu’au siècle libertin des Lumières, succédera l’Empire, un retour en grâce de la pruderie du 17ème siècle et de sa conception religieuse de la morale sexuelle. Avec l’effacement progressif du rôle et de l’influence de l’Église, dès la fin du 19ème, les sexualités non-reproductives ne seront plus stigmatisées au titre du péché de luxure, mais de la pathologie des comportements sexuels. Ce seront alors la psychiatrie et la psychanalyse naissante qui prendront en charge la définition et la correction des « perversions sexuelles ». En 1886, le psychiatre germano-autrichien Richard von Krafft-Ebing, fera publier un ouvrage référence traitant des « intérêts sexuels inhabituels » : Psychopatia sexualis. Masochisme, sadisme, fétichisme et homosexualité y seront analysés en tant que principaux représentants d’une sexualité stérile et psychopathologique. Bien que plusieurs millénaires se soient écoulés depuis le "crime d’Onan", la normalité sexuelle en ce début de 20ème reste assujettie à la fonction reproductive et le restera jusqu’au début du 21ème siècle.


Marie-Louise O'Murphy, jeune maîtresse de Louis XV, par François Boucher. 1752.

La normalité sexuelle par le prisme de la psychiatrie et de la morale.

Durant le 20ème deux organisations vont travailler à la classification des maladies mentales : l’APA, American Psychiatric Association, et l’OMS, Organisation Mondiale de la Santé. S’appuyant sur la publication de leur ouvrage référence, le DSM (Manuel Diagnostique et Statistique des maladies mentales) pour l’APA et le CIM (Classement Internationale des Maladies) pour l’OMS, les deux identités médicales vont diffuser, à partir des années 50, des concepts diagnostiques permettant aux praticiens de déterminer la nature normale ou pathologique des pratiques sexuelles.

Les déviations sexuelles et les personnalités pathologiques, selon le CIM. 

En 1948, la 6ème version du CIM fait mention d’une nouvelle catégorie diagnostique nommée « déviations sexuelles » qui est incluse dans celle des « personnalités pathologiques ». Sont concernées les conduites sexuelles non reproductives : fétichisme, exhibitionnisme, homosexualité, sexualité pathologique, sadisme. En 1965 la CIM-8 augmente la catégorie des déviances sexuelles en y ajoutant la pédophilie, la sodomie, le transvestisme, l’érotomanie, le masochisme, le narcissisme, la nécrophilie, la nymphomanie et le voyeurisme. Sont mises sur la sellette les pratiques ne permettant pas le coït reproductif ou n’entrant pas dans les codes de la conjugalité hétérosexuelle. L’homosexualité, qui continue d’être pensée comme l’archétype des comportements sexuels déviants, est plus que jamais attribuée à des personnalités pathologiques.  

Avec la publication de la CIM-9 en 1975, le concept de déviance sexuelle se précise. Il est noté que les comportements sexuels normaux sont ceux qui servent des buts sociaux et biologiques socialement approuvés. Inversement, les comportements anormaux sont décrits comme étant orientés vers des personnes qui ne sont pas du sexe opposé, ou vers des actes sexuels qui ne sont pas associés avec le coït normal, ou vers le coït réalisé dans des conditions anormales. Il est précisé que si l’étiologie des comportements déviants fait apparaître une psychose ou une autre maladie mentale, le trouble doit alors être classé sous la rubrique de cette maladie.


Richard von Krafft-Ebing. 1840-1902.

Le DSM, la paraphilie et la dépsychiatrisation de l'homosexualité. 

La notion de « déviations sexuelles » fait place, au début des années 80, à celle de « paraphilie » mentionnée une première fois dans le troisième opus du DSM. Les paraphilies, répertoriées au chapitre des « Troubles psychosexuels », sont définies par : « La nécessité de recourir à un support imaginaire ou à des actes bizarres pour obtenir une excitation sexuelle. » Il est ajouté que « un tel recours ou l’existence de tels actes se répétant involontairement et avec insistance correspond : 

  • soit à une préférence, à des fins d’excitation sexuelle, pour des objets inanimés ;
  • soit à une activité sexuelle répétitive avec des personnes placées dans un contexte de souffrance et d’humiliation (réelles ou simulées) ;
  • soit à une activité sexuelle répétée avec des partenaires non consentants.

Dans d’autres classification, ces troubles sont désignés sous le nom de déviations sexuelles. Le terme de paraphilie est préférable en ce sens qu’il met justement l’accent sur le caractère déviant (para) de ce vers quoi l’individu est attiré (philia). »

Sont principalement concernés : le fétichisme, le transvestisme, la zoophilie, la pédophilie, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le sadisme et le masochisme sexuel. S’y ajoute une catégorie fourre-tout nommée « paraphilie atypique ». 

En 1987 paraît une version révisée du DSM-III. Le chapitre « Troubles psychosexuels » est renommé « Troubles sexuels » et les paraphilies sont désormais caractérisées par « la survenue d’une excitation en réponse à des objets ou des situations qui ne font pas partie des modèles normatifs de stimulation et qui sont susceptibles, à des degrés divers, d’interférer avec la capacité du sujet à avoir une activité sexuelle empreinte d’affection et de réciprocité. » Les rédacteurs précisent que « la caractéristique essentielle des troubles de cette catégorie consiste en des impulsions sexuelles répétées et intenses, et en des fantaisies imaginatives sexuellement excitantes impliquant soit :

  • des objets inanimés ;
  • soit l’humiliation ou la souffrance du sujet lui-même ou de son partenaire (humiliation et souffrances non simulées) ;
  • soit des enfants ou des personnes non consentantes. 

Le diagnostic n’est fait que si le sujet agit sous l’emprise de ces impulsions ou est fortement perturbé par celles-ci. » Sont ajoutées à la liste des paraphilies : le travestissement fétichiste, le frotteurisme, tandis que la zoophilie rejoint le camp des « paraphilies non spécifiées » qui regroupe la scatologie téléphonique, la nécrophilie, le partialisme, la coprophilie, la klysmaphilie et l’urophilie. 

En remplaçant « déviation sexuelle » par « paraphilie », qui ne porte plus la même charge négative, le DSM-III s’est à la fois singularisé du CIM et placé en catalyseur d’une déstigmatisation des sexualités alternatives. Mais la vraie révolution engendrée par la publication du troisième volet du DSM concerne la dépsychiatrisation de l’homosexualité.

Commencés en 1973, les travaux préparatoires à la rédaction du DSM-III sont pour partie consacrés à résoudre la question du diagnostic homosexuel. Après d’âpres débats, les psychiatres s’entendent pour retirer le terme homosexualité de la classification des maladies mentales. Cependant elle n’est toujours pas formellement reconnue comme une sexualité normale et persiste dans cette version du DSM le diagnostic « d’homosexualité égo-dystonique » censé mettre en évidence une souffrance psychique née du désaccord entre les valeurs propres d’un individu et ses pratiques sexuelles. Ce n’est que dans sa version révisée de 1987 que le DSM (DSM-III-R) abandonnera définitivement le diagnostic psychiatrique d’homosexualité. Le retrait de ce diagnostic qui marquera un tournant décisif dans la reconnaissance de la diversité sexuelle, comme élément naturel du sexuel humain, symbolisera aussi l’avènement d’un autre système de pensée qui permettra à terme la dépathologisation d’un grand nombre de paraphilies.


L'émergence des troubles de l'identité sexuelle.

Dans sa quatrième version parue en 1994, le DSM inscrit les paraphilies dans la catégorie des « troubles sexuels et troubles de l’identité sexuelle » dont les caractéristiques essentielles sont :

Critère A.

  • « des fantaisies imaginatives sexuellement excitantes ;
  • des impulsions sexuelles ou des comportements survenant de façon répétée et intense et impliquant des objets inanimés ;
  • la souffrance ou l’humiliation de soi-même ou de son partenaire, des enfants ou d’autres personnes non consentantes, et qui s’étend sur une période d’au moins six mois.

N.B. : Chez certaines personnes, des fantaisies imaginatives ou des stimulus paraphiliques sont obligatoires pour déclencher une excitation érotique et font toujours partie de l’acte sexuel. Dans d’autres cas, les préférences paraphiliques n’apparaissent qu’épisodiquement (par exemple, au cours d’une période de stress) alors qu’à d’autres moments, la personne est capable d’avoir un fonctionnement sexuel sans fantaisies imaginatives ou stimulus paraphiliques.

Critère B.

Les comportements, impulsions sexuelles, ou fantaisies imaginatives sont à l’origine d’un désarroi cliniquement significatif ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel, ou dans d’autres domaines importants. »

Si la liste des paraphilies reste inchangée, le DSM-IV introduit la notion de « trouble de l’identité sexuelle », qui résonne avec l’ancien diagnostic « d’homosexualité égo-dystonique » et se traduit par :

  • Une identification intense et persistante à l’autre sexe ;
  • Un sentiment persistant d’inconfort par rapport à son sexe ou un sentiment d’inadéquation par rapport à l’identité de rôle correspondant ;
  • Une affection qui n’est pas concomitante d’une affection responsable d’un phénotype hermaphrodite ;
  • Une affection qui est à l’origine de souffrance cliniquement significative ou d’une altération du fonctionnement social, professionnel, ou dans d’autres domaines importants.

La question transgenre qui prend de l’ampleur en cette fin de 20ème siècle est clairement au cœur de la création de ce trouble psychiatrique.

Une nouvelle approche de la paraphilie : le trouble paraphilique.

En 2013, le dernier opus du DSM, sans modifier la liste des paraphilies, introduit une nouvelle notion qui marque une rupture dans l’approche et la compréhension des paraphilies : le trouble paraphilique. « Un trouble paraphilique est lié à une paraphilie qui cause d’une façon concomitante une détresse ou une altération du fonctionnement chez l’individu ou une paraphilie dont la satisfaction a entraîné un préjudice personnel ou un risque de préjudice pour d’autres personnes. Le fait d’avoir une paraphilie est une condition nécessaire mais non suffisante pour présenter un trouble paraphilique et une paraphilie en soi ne justifie ou ne requiert pas nécessairement une intervention clinique. » 

Le versant psychiatrique de la paraphilie voyeuriste devient « le trouble voyeuriste », celui du fétichisme « le trouble fétichiste », etc. En dissociant la paraphilie de ses conséquences, les psychiatres de l’APA ont sous-entendu que les sexualités paraphiliques dont l’expression est maîtrisée et génère du plaisir, du bien-être, ne devaient plus être considérées comme pathologiques. Le DSM-V définit la pathologie sexuelle au regard : 

  • de la détresse induite par un comportement sexuel, que l’on doit aborder comme l’expression affective de l’incapacité de l’individu à contrôler ses désirs et actions ;
  • et/ou de l’altération du fonctionnement, lorsque sa sexualité déborde sur les autres sphères de son existence et le place dans un régime de dépendance et d’hétéronomie ;
  • et/ou d’un préjudice personnel, dans le cas du masochisme pathologique ;
  • et/ou d’un risque de préjudice à autrui, dans l’hypothèse du sadisme non consensuel, du viol, de la pédophilie, l’hébéphilie, l’éphébophilie, du frotteurisme, du voyeurisme, de l’exhibitionnisme et toute autre paraphilie potentiellement non consensuelle.

Enfin, pour conclure la première partie de cet article, il est à noter que les différentes études sur les sexualités alternatives ont montré que les hommes sont les principaux acteurs des paraphilies pathologiques, tels la pédophilie, le frotteurisme ou encore le sadisme pathologique.

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