Polyamour, idéal ou utopie ?
Le polyamour propose une lecture idéaliste des relations interpersonnelles amoureuses, où les concepts de liberté, bien-être, épanouissement brilleraient de mille feux aux côtés de considérations plus pragmatiques d'ordre social, économique et familiale.

Poly-heureux ou poly-malheureux ? Le polyamour entre idéal et utopie.
Qu'est-ce qu'une utopie ? En sociopolitique, une utopie est un "plan imaginaire de gouvernement pour une société future idéale qui réaliserait le bonheur de chacun" ou encore au sens figuré "ce qui appartient au domaine du rêve, de l'irréalisable". La conceptualisation de tout idéal présente généralement plus volontiers les aspects positifs de principes dont l'application est censée aboutir à sa réalisation. Le polyamour propose une lecture idéaliste des relations interpersonnelles amoureuses, où les concepts de liberté, bien-être, épanouissement brilleraient de mille feux aux côtés de considérations plus pragmatiques d'ordre social, économique et familiale.
Si séduisantes soient ces théories - et par ailleurs non dépourvues de logique ou de cohérence - les avis sont toutefois partagés quant à la pertinence de cette nouvelle approche de l'amour, l'édifice polyamoureux ne devant finalement sa stabilité qu'à la pierre angulaire des principes de non-appropriation et par extension, de non-jalousie. Les quelques études menées sur la question du polyamour n'ont d'ailleurs démontré aucune différence significative en matière de satisfaction matrimoniale, d'estime de soi et de névrose entre les couples sexuellement ouverts et les couples exclusifs. L'une d'elle qui démontre également qu'aucune différence n'a été trouvée dans l'ajustement ou le bonheur entre les deux groupes (Rubin, 1982), conclut que "Rien dans ces données ne plaide pour l'idée que l'ouverture sexuelle ou l'exclusivité, en soi, font une différence dans l'ajustement global d'un couple marié." Il n'y aurait pas plus de différences notables en termes de stabilité conjugale entre les couples polyamoureux et les couples exclusifs (Rubin et Adams, 1986) qui par ailleurs montrent des ratios identiques entre bonheur et tristesse. Et l'étude poursuit : "Les raisons invoquées pour expliquer la rupture n'étaient presque jamais liées au sexe extra-conjugal."
C'est donc bien que les causes de ruptures ou de divorces n'ont finalement que peu à voir avec la structure ouverte ou fermée d'un couple, mais plutôt avec la conception plus ou moins conciliable que deux individus se font du couple et de l'amour.
Nous admettons qu'être polyamoureux ne garantit pas le bonheur conjugal, mais qu'il peut tout à fait en constituer l'un des facteurs les plus déterminants.
Parce que ce mode de vie entre en parfaite résonance avec la nature et les aspirations profondes du bonheur conjugal, parce qu'on n'est pas homme ou femme à se laisser enfermer dans les carcans réducteurs du couple exclusif, parce que la vie offre tant de possibilités d'ouverture à l'autre, de partage et d'enrichissements réciproques, comment se satisfaire d'un seul modèle amoureux, d'un paysage monochrome perpétuel ? Pour quelques privilégiés, la découverte d'une alternative à l'exclusivité amoureuse et sa mise en application a révélé des trésors d'épanouissement jusqu'alors insoupçonnés. Passés les salves émotionnelles de l'inéluctable jalousie et son cortège de peurs (abandon, comparaison au rival, solitude…), un constat inattendu se fait jour. Lorsque sa moitié a visité le lit de quelqu'un d'autre, elle revient toujours plus amoureuse, plus épanouie, plus sereine et c'est l'entité couple qui paraît jouir d'un souffle nouveau et libérateur. Les témoignages de polyamoureux abondent dans ce sens et semblent faire l'unanimité, le polyamour a changé leur vie, leur conception de l'amour et du couple.
Pourtant, au sein même de la communauté poly, le regard porté sur les relations multiples reste lucide et objectif.
Les séparations et divorces n'y sont pas moins nombreux, comme les disputes, les tensions, les éloignements, à la différence que cela n'implique plus seulement deux personnes. C'est pourquoi gérer une relation polyamoureuse peut dans certains cas s'avérer particulièrement épuisant, psychologiquement et physiquement. C'est le dessous du canevas des amours pluriels, où tout n'est pas aussi beau et idyllique qu'il n'y paraît." Non, le polyamour n'est pas la recette miracle du bonheur conjugal. L'amour en général est source de joie mais aussi de souffrance, le polyamour ne fait pas exception, il ne protège pas contre les peines de cœur, on n'est pas plus que n'importe qui immunisé contre la jalousie par exemple, qui peut surgir à n'importe quel moment dans le couple et peut même le détruire si elle n'est pas canalisée" nous confie Jérôme, en couple polyamoureux depuis 12 ans. La jalousie par exemple, s'il est vrai qu'elle semble moins présente dans les relations polyamoureuses, au contraire de la compersion qui est son exact opposé, n'en est pas moins l'un des thèmes récurrents alimentant les forums de discussion. Pourtant, le principe même du polyamour suggère qu'on en ait enfin terminé avec ce sentiment "d'un autre âge", aussi despotique qu'égoïste ou pour le moins anormal.
Alors de quoi parle-t-on exactement sur ces espaces dédiés ? Du sentiment lui-même ou de la façon de le "guérir ", de le contourner, ou même de le dissimuler ? En règle générale, les avis s'accordent sur plusieurs points. La jalousie peut être une réponse émotionnelle normale aux mensonges avérés d'un partenaire non plus polyamoureux, mais adultère. Mais, sans cause réelle et sérieuse, elle est perçue comme un profond manque de confiance en soi, un problème qui appartiendrait en propre au jaloux qui doit faire un travail sur lui-même et tenter de s'en libérer. D'autres vecteurs de jalousie sont abordés, tels que le manque de communication, les indélicatesses blessant l'amour-propre et enfin, les problématiques de dépendance affective. Nous l'avons observé, en dépit de l'accord de principe des couples polyamoureux consistant à vivre ouvertement des relations extra-conjugales sans cachotteries ni mensonges, nombre de témoignages révèlent une tendance de certaines personnes à la clandestinité, soit des rencontres, soit des sentiments extérieurs au lien primaire non autorisés par l'arrangement de départ. Nous serions tentés d'y voir une faiblesse purement humaine, un travers de lâcheté, ou simplement la peur de blesser. A moins qu'il ne s'agisse de tout autre chose.
Lorsque l'un des partenaires inclut un tiers à la relation, l'autre se trouve ipso facto en droit d'en faire autant.
Tout changement entraîne inévitablement une restructuration de la formation polyamoureuse, avec le temps d'ajustement nécessaire à chacun pour accepter la présence de l'autre et composer avec elle, ce qui ne va pas toujours de soi. Le principe de "dettes, contre-dettes" évoqué par Philippe Combessie dans son ouvrage Amours plurielles et communication - Dettes, contre-dettes et jalousie constructive, sera plus ou moins dispendieux selon que les arrangements seront souples ou rigides (nombre de personnes autorisées, pratiques réservées au couple, temps consacré à chaque partenaire etc.)
Mais si nous poussions plus loin l'analyse du choix polyamoureux, peut-être y trouverions-nous quelques éléments d'ordre purement pragmatique. Lorsque nous examinons l'ouverture d'un couple au "lutinage", nous aimerions questionner les motivations des uns et des autres les ayant fait choisir un jour ce mode de vie amoureuse. Par exemple, toujours selon Combessie, il serait fréquent que des femmes ayant développé des pratiques de pluripartenariat disent l'avoir fait en réaction à une infidélité masculine première. En d'autres termes, le polyamour de ces femmes blessées par la trahison de leur conjoint ressemble à s'y méprendre à une variante du dépit amoureux. Choisissent-elles le polyamour comme d'autres prendraient le voile, ou y voient-elles un argument de négociation ultérieure leur permettant d'envisager des relations sentimentales hors du huit-clôt conjugal ? Si l'on considère maintenant le point de vue masculin quant à la pluralité sentimentale, nous remarquerons qu'elle est souvent confondue avec l'acceptable, sinon l'inéluctable nécessité pour tout homme qui se respecte, de butiner fleur après fleur, parce que telle serait sa nature et l'intérêt même de la perpétuation de l'espèce. Ainsi libéré de la culpabilité de ses incartades, l'invétéré cavaleur goûterait sans modération aux joies d'une liberté sexuelle et sentimentale désormais assumée et assentie comme clause du contrat du couple.
Bien sûr ces réflexions parfois volontairement exagérées n'ont pas pour vocation ni même prétention à révéler les origines socio-anthropologiques du polyamour, mais comme nous aimons le faire, à ouvrir des pistes de réflexion un peu plus approfondies - quitte à faire office de poil à gratter - sur des thèmes parfois sensibles, dont les principes sont généralement méconnus. Et l'une de ces pistes questionne ce que la communauté polyamoureuse voit comme un mythe : le couple exclusif durable, au point de préconiser à ceux et celles qui sont confrontés au sentiment de jalousie de faire le "deuil" du tout pour l'autre mutuel.
Faire le deuil, une expression forte s'il en est, se rapportant à quelqu'un ou quelque chose que l'on aurait irrémédiablement perdu. Le polyamour, par cet aspect désabusé, ne traduit-il pas une certaine forme de renoncement, de démission, voire de désespoir amoureux ou ne trahirait-il pas une conception superficielle de l'amour ? De ce fait, les polyamoureux ne ferment-ils pas la porte (même temporairement) à leur propre liberté de rencontrer la personne qui, contre toute attente, sera tout pour eux et pour laquelle ils seront tout ?
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