Sphère émotionnelle

Shibari et kinbaku, l'art des cordes

Shibari et kinbaku, l'art des cordes

En Occident le shibari est souvent associé aux pratiques sexuelles, alors que l’encordage à visée purement érotique se nomme, aux dires des érudits : kinbaku.

Shibari et kinbaku, l'art des cordes

Les cordes et le Japon : une esthétique de la complexité.

Entre subtilités sémantiques et interprétations occidentales de concepts japonais toujours aussi difficiles à cerner il n’est pas simple de différencier shibari et kinbaku. Une seule certitude, ils sont les héritiers d’une tradition millénaire d’utilisation de la corde, une véritable culture du ligotage qui s’exprime aussi bien :

  • dans le pragmatique de la vie quotidienne, emballage et transport des denrées alimentaires, tenues vestimentaires (kimonos) ;
  • que dans la symbolique de la vie spirituelle où la corde sacrée, le shimenawa, sert à délimiter l’aire de pureté d’un sanctuaire shinto ;
  • que dans la vie guerrière où les cordes furent utilisées pendant des siècles comme outils de contention et de torture des prisonniers. 

Le terme shibari, qui renvoie aux verbes ficeler, attacher, nouer, s’applique à toutes les techniques d’encordage incorporant des critères esthétiques. L’ensemble des spécialistes de la culture japonaise s’accordent pour dire que le shibari n’est pas stricto sensu synonyme d’art érotique. Un shibariste exprime aussi bien son talent sur un corps, que sur un arbre ou tout autre élément qui l’inspirerait, son but étant de révéler au travers de complexes motifs et nœuds la nature profonde des choses et des êtres, de montrer leur indicible beauté.



En Occident le shibari est souvent associé aux pratiques sexuelles, alors que l’encordage à visée purement érotique se nomme, aux dires des érudits : kinbaku. Le kinbaku, dont l'origine se trouve dans l'histoire guerrière du Japon, est donc l’interprétation exclusivement érotique du shibari.

Le hojo-jutsu.

Au cours de la période du Sengoku (1467-1603), marquée par des conflits militaires quasi-constants entre provinces rivales, les samouraïs inventent des procédés d’immobilisation rapide de leurs prisonniers par le biais d'une simple corde. D'une redoutable efficacité, leurs méthodes se répandent et s’affinent pour devenir un art martial à part entière : hojo-jutsu. Durant l’ère Edo (1603-1868), l’hojo-jutsu ne cesse de se perfectionner, les samouraïs et autres forces de police n’utilisant plus une, mais deux cordes : une courte, dite rapide, hayanawa, et une longue, honnawa, utilisée à postériori de l’arrestation pour renforcer la contention. Les systèmes d’entraves se complexifient jusqu'à revêtir une fonction d’identification du type, du contexte, de la gravité du crime commis et de la nature du criminel. Parallèlement,  l'hojo-jutsu s'agrémente d'une spécialisation, le zainin shibari, ou le shibari des coupables, la corde devient un outil de châtiment, de torture et de mise à mort.


Différentes techniques de contention des prisonniers.

La torture ou gomon, prenait essentiellement deux formes, l’ebizeme et le tsurizeme. La première, ou supplice de la crevette, consistait à ligoter les bras du prisonnier derrière son dos, réunir ses jambes au niveau des chevilles, puis à contraindre le haut de son corps à toucher les cuisses. Dans cette position le supplicié devenait rapidement rouge crevette, puis violet, puis bleu. La seconde, à base de suspension, était pratiquée en générale à la suite de la première. On attachait les poignets du criminel dans le dos et on le suspendait ainsi des heures durant, les articulations des épaules finissant par sortir de leur loge naturelle. 


La torture ebizeme


La torture tsurizeme

En dehors de la torture, l'hojo-jutsu répondait à quatre règles : le prisonnier ne devait pouvoir se détacher, il ne devait subir de dommages physique et/ou mental, le procédé d’encordage devait faire preuve d’une recherche esthétique et rester secret. Les ligotages nécessitaient une parfaite connaissance de l’anatomie humaine, car les effets recherchés étaient très précis : diminution de la force, pression sur les vaisseaux sanguins et/ou les nerfs en vue d’engourdir, de paralyser temporairement et/ou de faire souffrir. Il en allait d’ailleurs de l’honneur des samouraïs de maîtriser les meilleures techniques d’immobilisation. Vers la fin du 19ème siècle, avec la disparition de ces derniers, la pratique du hojo-jutsu tombe en désuétude. Ses systèmes de contention auraient disparu si le théâtre kabuki et les shungas n'en avaient (sous une forme édulcorée par le premier, érotisée pour le second) perpétué l'enseignement.

Kinbaku : les cordes érotiques.

Le kinbaku en tant qu’art érotique semble être né au début du 20ème siècle sous l’influence de l'artiste peintre et photographe Ito Seiu (1882-1961) féru de théâtre kabuki et fasciné par les tortures pratiquées pendant la période Edo. A partir de 1908 il étudie l’hojo-jutsu dont il détourne les principes dans un dessein purement érotique. Ses productions graphiques, souvent d'inspiration zainin shibari,  lui vaudront d’être largement censuré, mais aussi le titre de père du kinbaku. Ce n’est qu’aux alentours des années 50 que l'art de l'encordage érotique prendra son essor au Japon et deviendra une discipline prisée par les amateurs de BDSM occidentaux. 


Yomikiri Romance. 1953. Ito Seiu.

Le kinbaku est avant tout un art qui veut non pas créer des émotions, mais les révéler. Une nuance toute japonaise. Au pays du soleil levant la culture du masque, dans ses acceptions factuelles et métaphoriques, se traduit par un refoulement émotionnel : on ne montre pas ses sentiments sans susciter l’opprobre de ses concitoyens. De fait la dimension érotique du kinbaku s’organise autour de la transgression des préceptes de rétention des ressentis. Le maître ou la maîtresse kinbaku atteint son but lorsque sous l’emprise de son encordage, son modèle lâche prise et révèle ostensiblement ses émotions. L'encordé.e de son côté se fait fort de lui opposer une résistance avant de tomber le masque et mettre à découvert son être émotionnel. Le kinbaku est un jeu dont la subtilité érotique nous échappe en grande partie, par le simple fait qu'en Occident nous ne sommes pas enjoints.es de censurer nos émotions. Cela étant, que ce soit ici ou au Japon le cocktail d'endorphines qui envahit le corps et l'esprit de l'encordé.e reste le même, tout comme l'est la volupté qu'il/elle ressent en offrant son abandon.


Il existe plusieurs façons de ligoter, mais quelles qu’elles soient, la recherche esthétique, le choix des cordes (robustes, souples et douces au toucher) les motifs créés et les interactions entre le maître ou la maîtresse des cordes et l’encordé.e tiennent une place centrale dans l’art du kinbaku. L’encordeur.se doit suivre un processus répondant à des règles précises censées sublimer le corps, le désir et la volupté. La gestuelle, les positions qu’il/elle impose à son modèle, les motifs et nœuds qu’il/elle utilise doivent faire montre de qualités esthétiques. Le maître ou la maîtresse des cordes doit acquérir la pensée d'un.e artiste plastique, mais aussi celle d’un.e psychologue car il/elle doit composer habilement avec les traits de caractère, force, vulnérabilité, sensualité, de son modèle. La pratique du kinbaku implique l'existence d’une relation de confiance et pour les encordeurs.ses un savoir-faire de haute tenue ainsi qu'une lecture parfaite des réactions émotionnelles.


Mads Mikkelsen.

Le kinbaku, une pratique d'initiés.es.

Le kinbaku n’est pas sans danger, les cordes mal placées, trop serrées, les positions compliquées à l’excès, pouvant endommager les nerfs, les vaisseaux sanguins, les articulations et dans les cas extrêmes provoquer une suffocation. Lorsqu'il s'accompagne de suspensions, ce sont les chutes qui sont à craindre. C’est pourquoi le maniement et le positionnement des cordes ne peut rien concéder au hasard. Les experts.es kinbaku sont tenus d’acquérir une connaissance approfondie de l’anatomie du corps humain et notamment des points de pression exploités dans la massothérapie shiatsu. L’encordage peut induire un état de « subspace », identique à celui éprouvé par les marathoniens et les amateurs de SM. Par conséquent, le maître ou la maîtresse des cordes doit être constamment à l’écoute des réactions de son modèle qui pourrait ne pas être en mesure de signifier sa volonté de stopper la séance. L’encordé.e devra montrer quelques dispositions pour les contorsions, une bonne tolérance à la douleur et des dispositions psychiques lui permettant de rester lucide en toute situation. L’après séance est très important, le réconfort par des caresses, des massages, des boissons chaudes et couvertures est le bienvenu. Comme dans tout projet érotique, la communication, le respect, le consentement et la sécurité sont des prérequis incontournables. Enfin, si vous souhaitez expérimenter le kinbaku, il est fortement conseillé de suivre une formation, " L'École des Cordes" est une référence dans le domaine.

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