Témoignage : de la complexe sexualité érogène féminine
Diplômé de l'Institut de Sexologie du docteur Jacques Waynberg, Eric Royer répond aux questions des abonnés.es.

La quête du moi émotionnel
Paola, 21 ans, étudiante en école d'architecture
Je suis une jeune fille d’une vingtaine d’années qui a connu sa première expérience sexuelle à l’âge de 18 ans. Depuis j’ai couché avec dix hommes et deux femmes et je n’ai eu qu’une fois un orgasme. J’aime l’idée de coucher avec quelqu’un, mais je suis profondément fascinée par le BDSM. Je fantasme souvent sur ces choses et il m’arrive d’être particulièrement attirée par une personne, mais dès que je me retrouve en situation avec elle, je n’éprouve plus de désir. En fait mes relations sexuelles sont des relations où je joue à dominer l’autre, parce que même si je n’éprouve rien sexuellement, je peux au moins me focaliser sur l’idée de faire vivre une expérience à mon partenaire. Je me demande si je ne suis pas asexuelle, vu que je n’ai d’attirance sexuelle pour personne. Chaque fois que j’essaie de coucher, ça ne fonctionne pas. J’ai consulté une sexologue qui m’a dit que je devais apprendre à connaître mon corps en pratiquant la masturbation et que je devais revenir à des choses basiques pour commencer à apprécier de faire l’amour, mais ça ne marche pas. J’aimerai connaître votre point de vue.
Ce que j'en pense
De toute évidence votre vie érotique vous cause quelques soucis et une réflexion globale s'impose.
La capacitation à la volupté
Vous devez déjà entendre que la sexualité érogène féminine est éminemment complexe et, pour plusieurs raisons, il n’est pas donné d’en jouir aisément. En première instance elle requiert la capacitation du clitoris (zone érogène primaire) soit sa mise en disponibilité pour la volupté et l’orgasme. Cette capacitation résulte de l’activation des connexions complexes, neurologiques, hormonales, qui vont permettre le dialogue entre le clitoris et les différentes aires du cerveau dédiées au système de récompense sexuelle. Il est possible d’envisager la capacitation comme un apprentissage de la volupté dont les prémisses s’inscrivent généralement dans les explorations sensorielles infantiles. Un clitoris capacité a acquis le pouvoir de se congestionner, de se gorger de sang, autrement dit d’atteindre la température requise pour une bonne transmission des signaux voluptueux. Un clitoris qui reste "froid" réagit au toucher en envoyant des signaux de douleur. C’est d’ailleurs ainsi qu’il conviendrait de comprendre la frigidité. Remarquons qu’à l’identique un gland pénien froid, non congestionné, répond par la douleur aux stimulations manuelles.
De la capacitation clitoridienne dépend ensuite celle des zones érogènes secondaires, mamelon, nuque, lobe de l’oreille… qui peuvent acquérir le statut de substitut clitoridien. Remarquez que le conduit vaginal ne constitue pas en lui-même une zone voluptueuse, ce qui explique pourquoi le coït est si peu gratifiant côté féminin. Toutefois la pénétration n’est pas totalement dépourvue d’effets érogènes, prenant en considération la sollicitation des organes connexes au vagin, mais surtout les retours émotionnels liés à la sensation d’être (pleinement) remplie de l’être désiré. Vous concernant il appert que cette perspective, stricto sensu, ne soit pas pourvoyeuse d’émotions et par voie de conséquence motrice de désir. Je remarque, cependant, qu’il est couramment fait mention du désir d’être remplie du pénis, mais jamais de celui de le phagocyter. Je dirais que la deuxième option, moins phallocrate, permet une appréhension du coït où la femme domine les ébats amoureux. Peut-être qu’en adoptant cette conception du coït, il vous serait possible d’en retirer les émotions qui vous fuient, remarquant par ailleurs que vos relations sexuelles sont des relations où vous jouez à dominer l’autre…
Le contexte
Cela dit, bien que le corps puisse être en état de répondre voluptueusement aux caresses, si le contexte n’est pas érogène, s’il ne suscite pas le désir, rien ne peut advenir de joyeux. Force est de reconnaître la subjectivité d’appréciation d’un même contexte, excitant pour certaines femmes, absolument démotivant pour d’autres. Il n’y a pas de recette en la matière et chaque femme a une approche spécifique, unique, différenciée des éléments contextuels qui participent à l’éclosion et la pérennité de son désir. Ce sont bien sûr les fantasmes qui en offrent la vision la plus radicale et la plus juste. Vous concernant il semble que votre contexte de prédilection soit de type BDSM, j’y reviendrai plus loin.
Le fantasme et le réel
Il n’est jamais simple de passer du fantasme à la réalité, parce que dans le fantasme tous les éléments composants la scène sont parfaitement érogènes, c’est à dire calibrés, formatés, à votre perception de l’érotisme. Sauf exceptionnelle opportunité d’une subtile adéquation entre le fantasme et le réel, il sera toujours question d’une négociation, d’établir un compromis avec le réel qui soit acceptable pour l’éclosion et la pérennité du désir. Toutefois le niveau d’exigence contextuelle, peut chez certaines personnes s’assimiler à une intransigeance. Dès lors il suffit que la personne incorporée au fantasme, s’écarte peu ou prou, par sa gestuelle, son odeur, sa nudité, ses paroles, etc… du scénario idéal, idéalisé, pour que s’évanouisse dans l’instant le désir du passage à l’acte. C’est ce que vous décrivez et qui m’incite à penser que d’une manière générale vous devez être émotionnellement très exigeante.
La métaphysique de l'érotisme
La sexualité érogène contrairement à ce qui couramment entendu n’est pas, comme la reproduction, une expérience typiquement génitale. La sexualité érogène est une expérience émotionnelle qui peut se vivre sur un plan "métaphysique". Que vous développiez une attirance pour les pratiques BDSM, dont l’étayage est axé sur l’extra-génitalité, sur la scénarisation, la théâtralisation des rapports intimes, et manifestiez une indifférence à l’égard de la copulation indiquent, à priori, que telle est votre orientation érotique.
Le plaisir, les émotions, retirés d’une rencontre intime, peuvent tout à fait exister en dehors de tout "rapport sexuel". Je dirais à ce propos qu’il est important de mettre en perspective les émotions qui nous assaillent, parfois jusqu’aux larmes, à l’écoute de la musique. Les amateurs de BDSM et autres sexualités alternatives comme le kinbaku, peuvent témoigner que la volupté cérébrale est tout aussi, sinon plus puissante que la volupté génitale, que l’orgasme n’est qu’un évènement émotionnel possible, non d’obligatoire, dont l’éventuelle absence ne signifie pas l’échec de la séance érotique.
En conclusion
In fine, la question n’est pas de savoir si vous êtes asexuelle, ce qui n’a qu’un intérêt limité, mais d’accepter les requêtes de votre moi émotionnel. Bien sûr l’idée n’est pas de réassigner votre orientation érotique. Sauf à ce que le renoncement à une sexualité érogène génitalisée soit cause de souffrance, laissez-vous porter par vos intuitions fantasmatiques. Je précise cependant qu’avant d’y donner corps il est indispensable de faire le point, avec une ou un sexologue, sur votre historique relationnel. En effet l’attirance pour les sexualité alternatives peut être motivée par une pure cérébralité émotionnelle, mais aussi par des expériences d’agression sexuelle, ce qui à mon sens, dans ma conception des pratiques érotiques extra-ordinaires, constitue, au moins temporairement, un motif d’abstinence.
Les réflexions proposées s’établissent sur les faits que vous rapportez. Pour poser un diagnostic il est indispensable d'avoir la vision la plus holistique possible de votre situation et la consultation est la seule option envisageable.
{reply-to}{comment}{status-info}
Poster un commentaire