Témoignage : les relations intimes et le premier enfant
Diplômé de l'Institut de Sexologie du docteur Jacques Waynberg, Eric Royer répond aux questions des abonnés.es.

Grossesse et parturition : l'avènement d'une Autre femme
Laurens, 40 ans, profession libérale
Ma femme et moi-même sommes dans notre quarantaine, mariés depuis 18 ans. Nous avons un fils de 9 ans. Avant sa naissance, nous avons connu une période sexuellement très active avec des fantasmes partagés. De façon incompréhensible pour moi tout s’est déréglé jusqu’à aujourd’hui où il ne se passe plus rien, enfin pas comme avant. Nous travaillons tous les deux à la maison et ma femme me demande souvent de lui faire un massage le soir après dîner, mais ça ne débouche jamais sur du sexe. Je ne demande plus rien, car chaque fois je me fais rejeter. Quand elle revient vers moi, de temps à autre, elle est toujours alcoolisée. Même si c’est agréable de se retrouver sexuellement, j’ai l’impression qu’elle ne me désire que lorsqu’elle a bu. J’ai bien essayé d'en parler, mais elle s’est mise sur la défensive. Apparemment, notre sexualité est parfaite pour un couple de notre âge. Dois-je me résoudre à tirer un trait sur la sexualité d’avant et accepter de soulager mon désir en solitaire ?
Ce que j’en pense
La procréation est l’une des principales pierres d’achoppement des relations intimes érogènes. Les raisons sont diverses et chaque couple en expérimente une combinaison singulière. Il est fréquent que le partenaire ne prenne pas la pleine mesure de l’intense expérience émotionnelle et physique que traverse sa compagne : au cours de la grossesse et/ou pendant l’accouchement et/ou durant le post-partum. Peuvent s’en suivre des petites rancœurs donnant lieu à règlement de compte sur le terrain des relations intimes. Il est par ailleurs commun que la transformation de l’esthétique corporelle, de l’image de soi, ayant acquis des qualités anxiogènes, s'oppose à l'octroi du droit d'en jouir à nouveau. De plus, on ne peut passer sous silence les conséquences physiques et psychiques d’une grossesse et/ou d’un accouchement difficile(s), concrétisées, de façon plus ou moins durable, par une redéfinition des priorités. D’une manière générale, il n’est pas assez dit que la grossesse, l’accouchement et le post-partum, participent d’une expérience métaphysique qui introduit la femme concernée dans une sphère initiatique, transformatrice, dont elle ressort Autre. Durant ce temps, son partenaire devrait être au service, modérer ses demandes, faire preuve de patience, être empathique et s’adapter aux changements.
La cohabitation telle que vous la vivez, c’est-à-dire sans interruption, est un autre facteur de dégradation des relations intimes érogènes. La dynamique relationnelle s’alimente pour partie du manque de l’autre. On supposera que tous les couples ont, au moins une fois dans leur vie, vécu l’éloignement et le regain d’intensité amoureuse, érotique, qui en découle. Lorsque les conditions du manque ne sont pas remplies, se présente le challenge d’en palier la perte de dynamique. À défaut, la relation en pâtit notamment sur le plan de l’intimité.
Vous concernant, c’est un point positif : votre femme sollicite vos compétences de masseur. C’est positif, car cela marque son désir de maintenir un lien physique, certes a-sexué et source de frustration pour vous. Que cela ne débouche jamais sur du sexe m’incite cependant à conjecturer qu'il vous est proposé une reformulation de vos relations intimes, que s'ouvre une porte vers un ailleurs érotique qui vous échappe encore. Sans doute votre épouse souhaite-t-elle rompre avec une façon de faire l’amour et aimerait que vous le compreniez "spontanément", implicitement. D’où son refus d’en débattre. Comme je l’ai mentionné, une femme qui a connu la gestation et la mise au monde de la vie, est une Autre femme. Quoiqu’il en soit, on supposera que vous ne vous êtes pas adapté à ce changement de statut, que vous n’avez pas, vous aussi, changé de statut, et en l’occurrence de statut érotique. Qu’elle s’alcoolise pour autoriser la relation intime érogène est une suite logique, l’ébriété lui permettant de passer outre ses aspirations profondes, d’accéder à une forme de désinhibition propre à l’exercice de la sexualité d’avant.
C’est donc le rejet de la forme et non du fond que semble révéler votre témoignage. Tous les espoirs sont permis…
Les réflexions proposées s’établissent sur les faits que vous rapportez. Pour poser un diagnostic précis, il est indispensable d'avoir la vision la plus holistique possible de votre situation et la consultation sexologique est la seule option envisageable.
* Crédit illustration : Jacqueline Lamba. La femme blonde. 1930
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