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BDSM : dire ou ne pas dire ses pratiques chez son psy

BDSM : dire ou ne pas dire ses pratiques chez son psy

BDSM : dire ou ne pas dire ses pratiques chez son psy

Vénus à la fourrure et petites bottines : dire ou ne pas dire ses pratiques BDSM chez son psy. 

Un article signé Thiphaine Beynard-Santini.


Au même titre que la plupart des sexualités alternatives, les pratiques BDSM sont encore considérées par beaucoup de psy (sexothérapeutes, psychanalystes, psychologues ou psychiatres) comme malsaines, anormales et pathologiques .

Cette forme de sexualité souffre bien souvent d'idées négatives préconçues, parmi lesquelles :

  • les pratiquant/es SM auraient souffert d’abus sexuels ou de violence dans leur enfance ;
  • le fait de pratiquer des actes impliquant de la souffrance ou des rapports de pouvoir dans la sexualité induirait un comportement agressif et violent dans la vie non-érotique ;
  • ce type de sexualité provoquerait nécessairement des troubles de la personnalité. 

Dans cet article basé sur mes recherches doctorales, je présenterai les diverses théories du SM et du fétichisme en cours dans la littérature psychanalytique, ainsi que leurs origines freudiennes et leur utilisation par certain/es thérapeutes contemporain/es. 

Les conceptions psychanalytiques traditionnelles du fétichisme reposent en grande partie sur les travaux de Sigmund Freud, qui eux-mêmes sont très inspirés des théories sexologiques et psychiatriques de la fin du XIXe siècle. Dès 1900, Freud envisage le fétichisme comme une tendance à la régression et à un retour aux sensations primaires de la petite enfance. C’est dans son article « Le Fétichisme », publié en 1927 , que Freud développe sa conception la plus aboutie de l’étiologie de ce désir sexuel (il faut noter que la thèse qu’il propose est exclusivement masculine et ne dispose pas d’équivalent féminin).

Le désir fétichiste (des hommes, donc) s’originerait dans l’histoire infantile et aurait pour fonction de pallier à l'effroi produit par la vision de la « castration », c'est-à-dire l'absence de pénis sur le corps de la mère. En d’autres termes, la vue insupportable d’un corps féminin « châtré » (sans pénis) serait si effractante qu’elle produirait chez certains garçons un clivage psychique et la formation d’un fétiche, censé remplacer le pénis absent chez la mère. 

Cette approche perdurera tout au long du XXe siècle sans voir beaucoup de changements. Le psychiatre et psychanalyste Robert Stoller est l’un des premiers à avoir mené en 1991 une recherche psychanalytique dénuée de préjugés dans le monde du SM . À l’issu de son analyse, il note qu’aucune des personnes étudiées dans son enquête ne présente les symptômes cliniques psychotiques ou pré-psychotiques habituellement décrits par les psychiatres. Il rapporte également  que le consentement des partenaires est primordial et que les scènes d’humiliation ne sont jamais de réelles humiliations. En outre, il reproche aux psychanalystes de dissimuler, sous couvert d’expertise intellectuelle et clinique, une condamnation morale des rapports SM. 

Malheureusement, si j'en crois mes enquêtes auprès de patient/es et ancien/nes patient/es, parler de BDSM avec son ou sa psy reste bien souvent compliqué.

Les travaux de Stoller semblent avoir eu très peu d’effets sur la théorie psychanalytique française. Bien qu’aucun des postulats pathologiques présentés ci-dessus n’aient pu être prouvés, ils continuent d’informer l’appréhension de la sexualité SM dans la littérature et dans certains cabinets de psychothérapie. 

Une étude menée par des psychologues américains en 2006 indique que sur leur 175 participant/es s’identifiant comme pratiquant/es SM, plus d’un quart n’a pas souhaité révéler ses goûts sexuels en psychothérapie par crainte d'être jugé/es.

Lorsque le/a patient/e a fait le choix de révéler ses goûts érotiques, l’accueil par les thérapeutes nord-américain/es étudié/es dans cette enquête n’a pas toujours été positif. En effet, les chercheurs totalisent 118 incidents sur 175 interviewé/es dus à un manque de compréhension et d’ouverture lors du dévoilement de la préférence sexuelle. 

Pour ma part, j'ai constaté à de nombreuses reprises que mes répondant/es trans et homosexuel/les redoutent fréquemment d'être mal entendu/es en psychothérapie. C'est le cas également des personnes qui pratiquent le SM. Stéphane, un homme cisgenre de 40 ans, fétichiste des uniformes médicaux vintage, me raconte que sa compagne souhaiterait qu’il aille consulter un psychanalyste car elle n’apprécie pas ses goûts fétichistes, mais qu'il refuse de suivre le conseil de sa partenaire parce qu’il redoute d’être jugé et de voir sa passion taxée de perversion . 

Charlotte, quant à elle explique que si elle parle très peu à sa psychanalyste de ses pratiques sexuelles avec son partenaire, c’est qu’elle ne saurait même pas comment les nommer. Le SM et les jeux de rôles lui apparaissent indicibles et inexplicables. Elle m’explique :

« Le fait que je suppose qu’elle soit hétéro, ça ne m’aide pas du tout à parler de ça. Tu sais... elle va être forcément dans le jugement tu vois. Donc du coup, dans le jugement ou dans le : ah c’est tellement fou ! Ou dans « c’est extrême » ou je ne sais pas quoi. J’ai l’impression que je peux parler avec elle de sexualité que quand c’est un problème et de ce qui ne va pas » . 

La croyance selon laquelle les désirs hors normes trouveraient leur source dans les expériences de la petite enfance est très largement partagée, aussi bien dans l’opinion publique, que chez les psychothérapeutes et psychanalystes. La psychothérapeute et sexologue de Francis, un homme hétérosexuel de 49 ans qui consulte en raison de son fétichisme des pieds qui pose problème à sa compagne, fait référence à ce lien de cause à effet lorsqu’elle expose à son patient que son attirance pour les pieds féminins se comprend aisément par le fait qu’il a perdu sa mère à l’âge de six ans, aux pieds de laquelle il aimait se blottir pour en sentir l’odeur. Elle fait également référence aux théories psychiatriques du fétichisme, fournies par le manuel de diagnostic américain (DSM), puisqu’elle attribue aux préférences sexuelles de son patient un caractère addictif et pathologique : 

« Au début de la thérapie ce qu’elle m’expliquait c’est que c’est un peu comme quelqu’un d’alcoolique, t’as une bouteille de bière, hum bah c’est un peu comme ça, elle m’a dit : je t’arrache la bouteille de bière des mains, c’est un peu ça qu’on fait » . 

Si de telles hypothèses diagnostiques peuvent être appréciées par des personnes culpabilisées par des désirs hors normes, ces explications étiologiques ne rendent pas hommage à la complexité des désirs humains.

L’étiquette diagnostique renforce en outre le sentiment d’anormalité, de maladie et de bizarrerie chez des personnes déjà victimes de la stigmatisation sociale. 

La crainte d’être pathologisé/e par son/a thérapeute peut avoir pour conséquences de nuire à l’échange clinique, voire de décourager certaines personnes de faire appel à un/e professionnel/le lorsqu’elles en ont besoin. Le cas de Lila est représentatif des conséquences fatales d'un accueil négatif des goûts SM. Lila est une jeune femme de 22 ans qui consulte une psychologue en raison d’anxiété, de douleurs vaginales et d’abus sexuels répétés, raconte qu'elle envisage d'évoquer sa relation suivie avec une dominatrice mais qu'elle redoute sa réaction, en dépit du fait que patiente et thérapeute entretiennent une relation de confiance depuis de nombreuses années : 

« Je lui ai parlé de sexualité particulièrement au niveau de ma douleur et elle m’a fait un peu d’éducation sexuelle aussi, mais je n’étais pas très à l’aise de lui parler de mes goûts et de mes fantasmes comme la fessée » .  

En raison du préjugé théorique selon lequel les goûts SM sont la conséquence des violences subies dans l’enfance, la psychologue de Lila considère la relation de sa patiente avec une dominatrice comme le symptôme de répétitions de scénarios traumatiques d’abus infantiles. Pourtant Lila estime que cette relation de domination ne reproduit pas les situations abusives dont elle a été victime : 

« Elle n’a jamais pu comprendre que j’étais heureuse d’être soumise, alors que je pense avoir été rarement autant respectée dans une relation que celle que j’ai eue avec ma maîtresse. (…) Au lieu de voir que c’était un choix que je faisais et que j’aimais, elle le voyait comme une façon de me faire victime de quelque chose, comme si je m’envoyais le message que je ne méritais pas de me faire aimer en vous voyant (…). C’est toute la sphère masochiste et le milieu qui la dérangeait.  D’après elle, c’était un manque de respect envers moi-même que je m’imposais  ». 

Face à cette situation, sa thérapeute lui a fait savoir qu’elle ne continuera pas à la recevoir si elle s’obstine dans cette relation de domination. Finalement Lila interrompra cette thérapie à la suite du jugement catégorique de la thérapeute. 

Ces quelques exemples montrent à quel point le besoin de pouvoir faire appel à des professionnel/les sans risquer de se faire mal recevoir est important dans la communauté fétichistes ou SM. Plus généralement, nous avons vu au fil de cet article qu’il n’est pas encore acquis pour les femmes, ni pour les minorités sexuelles, de trouver un/e psychothérapeute susceptible de les entendre sans jugements ni a priori et qu'il est encore nécessaire de se faire recommander, par une connaissance, ou un annuaire de psy "safe" le ou la thérapeute en qui on pourra se confier en toute confiance. 



1 - BARKER Meg, IANTAFFI Alessandra et GUPTA Camel. Kinky clients, kinky counseling ? The challenges and potentials of BDSM, in  MOON Lindsey dir., Feeling Queer or Queer Feelings: Radical Approaches to Counselling Sex, Sexualities and Genders, Londres : Routledge, 2007, p. 106–124.

2 -FREUD Sigmund, Le Fétichisme, (1927), La Vie sexuelle, Paris : PUF, 1999 (1969), p. 133-138.  

3 - STOLLER Robert J. Pain and Passion: A psychoanalyst explores the world of S&M, New York : Plenum Press, 1991, p. 19.

4 - KOLMES K. STOCK W. et MOSER C. Investigating bias in psychotherapy with BDSM clients, in KLEINPLATZ P. et MOSER C. dir. Sadomasochism, SM: Powerful Pleasures, p. 301-324, Binghamton, NY: Haworth Press.

5 - Journal de terrain 16 octobre 2014.

6 - Entretien avec Charlotte réalisé à Paris le 13 février 2014.

7 - Entretien par Skype avec Francis le 29 septembre 2013.

8 - Échange par email avec Lila entre le 8 mars et le 11 septembre 2013.






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