Ces fantasmes qui dérangent, deuxième partie

L'univers fantasmatique, l'anarchie du désir.
Contrairement aux pratiques sexuelles, les fantasmes ne sont pas contraints par les tabous et les interdits sociaux. La fantasmatique ne connait ni Dieu ni Maître et dans ce champ infini des possibles érotiques où l’inconscient s'exprime librement, toutes les transgressions sont possibles. Si l’activité fantasmatique est naturelle, il n’en demeure pas moins qu’elle peut créer des scénarios qui entrent en conflit avec les fondations de notre moi conscient. Toutefois, un fantasme perturbant pour une personne, peut ne pas l’être pour une autre. Un fantasme nocturne de relation homosexuelle sera plus dérangeant pour un hétéro convaincu que pour un bisexuel. Hormis les fantasmes d’inceste, de pédophilie ou zoophilie, il n’est en vérité pas possible de dresser une liste de ceux qui seraient dérangeants stricto sensu, car tout un chacun à ses propres limites, interdits moraux et tabous. Dans cette logique nous ne passerons pas en revue tous les fantasmes potentiellement perturbants, mais nous en tiendrons à l’étude de l’emblématique et troublant fantasme féminin du viol.
Le fantasme féminin du viol et de la sexualité forcée.
Il est établit par les sexologues que certaines femmes produisent des fantasmes, nocturnes et/ou diurnes, les mettant en scène dans des situations où elles sont sexuellement soumises à un ou plusieurs agresseurs. À première vue, ce type de fantasme n’a pas de sens : est-il vraiment possible d'être excitées à l’idée de subir des actes qui dans la vie réelle sont traumatisants, répugnants et présentent un danger pour la santé physique et psychique ?
Puisant leur source aux confins de nos imaginaires, les fantasmes nous permettent de vivre, en toute sécurité, des expériences érotiques intenses et débridées. Cependant, nous devons admettre que le viol fantasmé peut sérieusement perturber la conscience des femmes concernées. D’ailleurs la plupart d’entre elles ne peuvent se départir du sentiment qu’elles sont anormales ou fondamentalement perverses. Objectivement, elles ne sont ni l’un ni l’autre.
Tout d’abord il est important de comprendre que fantasmer sur le viol n’est en aucun cas synonyme d’une volonté secrète d’être réellement violée. Et s'il existe quelques rares exemples de femmes de la sphère BDSM qui réalisent ce fantasme, il s’agit toujours de simulacre de viol sous la surveillance de leur partenaire et qu’elles ont, via leur safeword, pouvoir d’arrêter la séance à tout instant. Il y a une différence fondamentale entre la scénarisation d’un viol dans le cadre d’un jeu de rôle D/s et la réalité d’une agression sexuelle. Soyons clairs, aucune femme ne désire être réellement violée.
Ensuite, Il est nécessaire de faire le distinguo, entre fantasmes nocturnes et diurnes. Dans sa version purement onirique, le fantasme de viol ou de sexualité imposée, s’exprime indépendamment de la volonté. Que leurs auteures s’interrogent et se sentent mal à l’aise quant à la nature de ces rêves est compréhensible. Mais rappelons que rêver une situation n’implique pas l’existence d’un désir de la voir se réaliser. Rêver du meurtre de son père ou d’un supérieur hiérarchique, ne fait pas du rêveur un meurtrier en puissance. L’extravagance de l’activité onirique reflète celle de l’inconscient, elle n’a rien de raisonnable, c’est pourquoi il n’est pas opportun de s’alarmer outre mesure de ses émanations. Dans sa variante diurne, le fantasme s’apparente à un rêve éveillé, pleinement conscient, qui peut servir de support masturbatoire. Jouir en conscience d’une situation de sexualité forcée ouvre la voie à des questionnements plus justifiés et la survenue des sentiments post-orgasmiques de honte et culpabilité semble tout à fait légitime. Néanmoins, le fantasme diurne reste une fantaisie érotique virtuelle parfaitement contrôlée, un scénario précis dans lequel les acteurs n’ont d’autres libertés que celles octroyées par son auteure. Le fantasme de viol n’est que la sublimation, certes déconcertante, d’une agression sexuelle où la violentée reste en tout point maîtresse de la situation. Finalement, les femmes qui développent ce type de rêverie érotique, ne désirent pas être objet de la violence du désir d’autrui, mais dans un renversement des fonctions, assigner à leurs agresseurs imaginaires le rôle d’objets fantasmatiques. Il est aussi intéressant de noter que la moindre pensée ramenant au réel détruira instantanément le potentiel érotique du fantasme. Tout comme son pendant nocturne, le fantasme diurne de viol n’est pas la manifestation d’un trouble psychique ou d’une perversion, mais dans certains cas, il peut être corrélé à un traumatisme de nature sexuelle.
Des théories pour faire la lumière.
Pendant des siècles, et encore aujourd’hui, les jeunes filles sont éduquées dans l’idée rigoriste qu’il est malséant d’afficher ostensiblement un enthousiasme pour la sexualité et qu’il est indispensable qu’elles se conforment aux stéréotypes des comportements sexuels féminins. En conséquence leurs activités sexuelles s’accompagnent généralement de sentiments d’anxiété, de culpabilité et de honte. Le fantasme du viol leur permettrait alors d’atténuer le stress lié à la sexualité en opérant un transfert de responsabilité. N’étant plus les instigatrices des ébats, elles pourraient alors laisser libre cours à leur imagination érotique. Les sexologues ont remarqué que, dans l’écrasante majorité des cas, la description des fantasmes de viol contenait rarement des scènes violentes et presque toujours des actes de résistance suivis d’un abandon jouissif aux désirs de l’agresseur (ce qui n’advient jamais dans le cas d’un viol réel !). L’hypothèse est entendable, mais il serait intéressant de savoir si les femmes ayant été éduquées dans des milieux familiaux où la sexualité féminine est exempte de toute notion de honte et culpabilité, fantasment le viol dans les mêmes proportions que les autres. Mais, sur ce sujet précis nous n’avons trouvé aucune étude.
Inversement certains.es psychologues affirment que les femmes qui produisent régulièrement des fantasmes de viol ont une vision plutôt positive de la sexualité. Le fantasme d’une sexualité contrainte traduirait une approche totalement décomplexée des expériences érotiques. La conjecture est soutenue par Jenny Bivona, Joseph Critelli et Michael Clark, respectivement psychologues et sociologues américains, qui ont publié une étude mettant en évidence une corrélation entre la fréquence des fantasmes de viol et les réactions affectives positives à l’égard des sensations et expériences érotiques.
Le fantasme du viol serait, pour d’autres experts de la sexualité, lié à la question de la « désirabilité ». En s’imaginant dans le rôle de femmes au sex-appeal si implacable qu’aucun homme ne saurait résister à la tentation de les prendre de force, ces femmes boosterait par le fantasme du viol leur estime personnelle. Cette théorie qui a fait l’objet de plusieurs ouvrages, n’a pas été confirmée par des preuves empiriques.
Il a été aussi avancé que la description quasi systématique des rapports sexuels en termes de domination masculine et soumission féminine que l’on trouve, à divers degrés, dans la littérature érotique et la pornographie, reflétait une aspiration naturelle des hommes et des femmes pour le sexe forcé. La proposition paraît à priori incongrue, d’autant plus que les producteurs de littérature érotique et de pornographie sont principalement des hommes.
Enfin, pour quelques femmes, les fantasmes de viol sont liés à une ou des expériences sexuelles traumatiques. Dans ce cas, ces fantasmes pourraient être compris, comme une réponse psychique à un stress post-traumatique, une tentative inconsciente de transformation d’un évènement douloureux en une expérience jouissive. Mais il ne doit y avoir aucune ambiguïté, pour ces femmes, le fantasme du viol s’apparente à une pensée intrusive, incontrôlable et éminemment pénible à vivre. Pour elles, les sentiments de honte et culpabilité ne sont pas le simple résultat d’un conflit avec la moralité, mais plus sûrement celui d’un puissant conflit interne : comment ne pas être profondément perturbée par des fantasmes de viol alors même que l’on a subi une agression sexuelle ? Par ailleurs, quand les sentiments de honte et culpabilité prennent, sans raisons apparentes, des proportions extrêmes qui nuisent à la qualité de vie et aux rapports intimes du couple, la question d’un antécédent traumatique refoulé se pose. Dans un cas comme dans l’autre, sexologues et psychologues peuvent apporter conseils, soutien et il est recommandé de solliciter leur expertise.
Déconcertants, inquiétants, anxiogènes, dérangeants, ou excitants, enivrants, exaltants, les fantasmes résultent d’une alchimie qui s’opère au cœur de notre inconscient. En comprendre les arcanes est un défi auquel de nombreux psychologues, sexologues et psychanalystes se sont heurtés et s’heurtent encore aujourd’hui. Dans un futur plus ou moins proche, peut-être finirons-nous par lever le mystère qui entoure nos rêveries érotiques, mais gageons qu’à cet instant, nous perdrons en magie ce que nous aurons gagné en compréhension.
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