Chemsex et culture gay

La culture gay de consommation de produits psychoactifs désinhibants, favorisant l’expression d’une sexualité débridée, existe depuis les années disco.
Jusqu’aux années 2000, la communauté se retrouvait dans des lieux publics, bars, clubs, discothèques, saunas pour draguer, se « défoncer » et faire la fête. Au début du 21ème siècle plusieurs facteurs vont entraîner une migration du champ festif de l’espace public vers l’espace privé. La gentrification des zones urbaines historiquement liées à la subculture gay, le nombre croissant d’hommes ne désirant pas révéler publiquement leur homosexualité et l’émergence des sites et applications de rencontre, induiront une raréfaction des lieux traditionnels de socialisation et de fête.
Dans ce contexte, apparaît une forme alternative de soirées sexe, les « Party and play », soirées privées à l’abri des regards où les drogues dures font leur apparition. La méthamphétamine, puis le GHB, le GBL se substituent aux drogues festives comme l’ecstasy et le cannabis. Si les PNP sont clairement des parties centrées sur le sexe, certains spécialistes du mouvement gay les voient encore, au début des années 2000, comme des temps de socialisation qui permettent la création de réseaux sociaux. Cependant les « Party and play », véritable subculture axée autour de la consommation de méthamphétamine, se délestent peu à peu de leurs ambitions socialisatrices en mettant la focale sur la seule sexualité. Ainsi les PNP deviennent des soirées « chemsex », clairement estampillées « drug and sex », qui vont se développer rapidement grâce à l’essor des sites web et applications dédiées à la rencontre occasionnelle.
Le terme chemsex, prononcer « kemsex », est la contraction de « chemical sex ». Il a été inventé pour décrire l’association d’une activité sexuelle et de drogues potentiellement psychoactives. Le chemsex s’inscrit dans l’histoire d’une frange de la communauté gay spécialement tournée vers la recherche d’émotions sexuelles extrêmes dont le barebacking des années 90 peut constituer l’exemple emblématique.
Rapport de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT).
Le chemsex se classe dans la catégorie des pratiques sexuelles qui s’accompagnent d’une consommation de substances psychoactives. Si le terme chemsex est né dans la communauté gay, les pratiques associant sexe et drogues ne sont pas l’apanage de cette population, ni de notre époque. Depuis des temps immémoriaux les hommes ont cherché des moyens exogènes pour intensifier les plaisirs de la chair. Dans la Rome antique, une boisson à base de pavot, le Cocetum, servait à préparer les jeunes romaines à l’union conjugale. Les adeptes du tantrisme voyaient dans l’association du cannabis et de l’alcool le moyen d’atteindre la jouissance cosmique. Les riches levantins, arabes et indiens, s’en remettaient aux « pilules de joie » généralement à base d’opium, pour honorer leurs harems sans faiblir. Les livres de magie et de sorcellerie du bas moyen âge à la renaissance contenaient de nombreuses recettes opiacées pour « dénouer l’aiguillette » et « réactiver le feu qui couvre sous la cendre ». Le mouvement hippy avait un faible pour le hash et le LSD qu’il combinait allègrement avec les activités sexuelles. L’histoire des hommes, de la sexualité et des drogues ne commencent donc pas avec l’apparition de la communauté gay et encore moins avec celle du chemsex.
Si au départ les pratiques de chemsex étaient réservées à une frange minoritaire des HSH, les « Butch » ou « Gymqueen », adeptes d’une sexualité hard, l’émergence des nouveaux modes de rencontre, l’apparition de nouvelles drogues de synthèse et les récits dithyrambiques des participants aux soirées chem, ont concouru à l’expansion du phénomène. En une quinzaine d’années la partie de la communauté des HSH, friande de soirées sexe enflammées, faisant un usage immodéré des drogues désinhibitrices et aphrodisiaques, va considérablement s’étendre. Dès 2009 les observateurs notent que la consommation de produits ou « chems » s’intègre dans les profils des internautes comme un plus, marquant une sorte de banalisation de la pratique. Entre 2007 et 2009, toujours poussés par le désir de jouir plus fort et plus longtemps, les plus extrémistes des HSH commencent à s’injecter un ou plusieurs produits psychostimulants par voie intraveineuse et donnent naissance à la tendance « slam ».
Au début des années 2010 parmi les HSH alliant sexe et drogue une distinction s’opère entre deux types de consommateurs, les clubbers et les sexers. Les premiers restent attachés à la mouvance festive, ils sortent en club avant tout pour des raisons conviviales, l’alcool, le poppers, la MDMA, les ecstasy et la cocaïne font partie de la fête, mais rarement le GHB et la GBL. Les seconds sont surtout en quête d’expériences sensorielles hors norme, ils désertent les clubs au profit de soirées privées où les drogues sexuelles sont érigées en centralité de la démarche érotique. Pour les sexers l’ambition n’est pas festive, ils veulent du sexe à outrance et pour cela ils disposent d’un véritable arsenal de drogues, le GHB, la GBL, les cathinones tels les 4-MEC et 3-MMC, la méthoxétamine et autres NPS (nouveaux produits de synthèse). Entre clubbers et sexers la frontière n’est pas hermétique et il n’est pas rare que les clubbers se mettent en quête de sexers sitôt sortis de boite.
Aux alentours de 2014, les observateurs assistent à une véritable « démocratisation » du chemsex qui sort de son contexte confidentiel pour toucher tous les milieux gay. Dans le même temps la consommation de produits psychostimulants se durcit et s’oriente vers des substances encore plus fortes comme la méthylènedioxypyrovalérone (MDPV), drogue hautement addictive de la famille des cathinones, dont les effets sont redoutables et difficilement contrôlables. Le chemsex s’inscrit donc et logiquement dans une dynamique d’escalade de consommation et de pratiques. Ainsi apparaissent aux côtés des sites explicitement chemsex, des plateformes de rencontre dédiées aux pratiques sans tabou, érotiquement violentes, teintées de soumission chimique, de sadomasochisme et de satanisme. Par ailleurs le « slam » gagne en notoriété et se banalise dans certains cercles, ce qui hier était l’exception devient peu à peu la norme.
Les risques.
Sous l'effet foncièrement désinhibiteur des drogues sexuelles, la notion de consentement perd tout ou partie de sa substance. D'ailleurs, d’une façon communément admise les participants au chemsex sont réputés consentants de fait et ce postulat aussi hasardeux que dangereux les rend plus vulnérables aux agressions. Le GHB, connu comme la drogue du violeur, peut conduire à une perte totale de contrôle du désir lorsqu’il est mal dosé ou pris en association avec de l’alcool. Le G-Hole sorte de coma éveillé typique d’un surdosage de GHB ouvre la porte à tous les dérapages et de nombreux témoignages prouvent que certaines séances ont plus de points communs avec le viol qu’avec la notion de sexualité désinhibée.
Avec la levée des inhibitions la sexualité s’aventure sur des terrains mouvants et périlleux. L’appréciation des risques devient floue, les consommateurs développent des sentiments de toute puissance, ils se sentent et se croient indestructibles. Les pratiques à haut risque du barebacking s’invitent régulièrement dans ces folles soirées avec les conséquences que l’on connaît. Si l’on en croit une étude britannique parue en 2006, les fans de chemsex ont deux fois plus de rapports non protégés. L’explosion des IST en Angleterre entre 2012 et 2015, 105% d’augmentation des cas de gonorrhée, 95% pour la syphilis, 52% pour le Chlamydia, montrent des changements de comportements dans la population des HSH et bien que les données soient encore insuffisantes la relation entre développement des pratiques de chemsex et explosion des IST est sérieusement envisagée. Les rapports prolongés traumatisent les muqueuses et les rendent plus perméables aux agressions virales et/ou bactériennes. Il semblerait aussi que la pratique du chemsex favorise la résistance aux traitement VIH.
De plus, certains participants ayant surconsommé s’engagent dans des comportements sexuels jusqu’au-boutistes et irresponsables dont ils peuvent ressortir avec de graves dommages neurologiques et physiques. La multiplication des fist-fucking au cours d’une session peut engendrer d’importantes fissures anales, des problèmes d’incontinence, voire une rupture du sphincter. Psychiquement parlant, il n’est pas rare qu’après coup les sexers éprouvent de profonds sentiments de dégout et de honte pour ce qu’ils ont subi ou fait subir.
Concomitamment, les chemsexers peuvent développer une addiction aux substances consommées. Pour certains il n’est plus question de faire du sexe sans produit, pour d’autres c'est la vie de tous les jours qui s'agrémente de la prise quotidienne de psychostimulants. La dépendance devient alors morbide et s'accompagne du chapelet de souffrances du toxicomane classique : dépression, perte de l’estime de soi, désocialisation, perte d’emploi, rupture avec le milieu familiale et tentatives de suicide. D’autre part l’arrivée constante sur le marché de nouvelles substances rend encore plus aléatoire la maîtrise de la consommation et les cas d’overdoses fatales se multiplient.
Les drogues utilisées.
La méthamphétamine. Plus connue sous les noms de « Ice », « Meth », « Crystal meth » ou encore « Tina », la méthamphétamine appartient à la famille des phényléthylamines comme l’ecstasy et la MDMA. Beaucoup plus puissante, elle se présente sous forme de cristaux. Elle peut être sniffée, ingérée, fumée, injectée ou insérée dans l’anus. Elle est prisée pour ses effets aphrodisiaques, stimulants et euphorisants. Cependant, et paradoxalement, la méthamphétamine a la fâcheuse tendance à bloquer l’éjaculation et l’orgasme.
La méthamphétamine est une drogue hautement addictive qui induit un fort craving (désir puissant ou compulsif d’utiliser une substance psychoactive). Consommée de façon régulière, elle provoque des troubles du comportement, des crises de panique, de paranoïa, des sentiments de persécution, des hallucinations et idées suicidaires.
La kétamine, est une drogue utilisée comme anesthésique général en médecine humaine et vétérinaire. C’est un puissant psychotrope hallucinogène et dissociatif qui provoque des sensations de décorporation particulièrement appréciées par les amateurs de fist-fucking. Elle se présente en général sous forme d’une poudre cristalline. Elle est sniffée et plus rarement injectée. Les effets secondaires se composent de troubles de l’humeur et du comportement, de perte de contact avec la réalité, de visions cauchemardesques, d'états de panique et d'impressions de flotter au-dessus de son corps (troubles dissociatifs).
Le GHB, ou gamma-hydroxybutyrate est une anesthésiant et analgésique. On le trouve sous forme de poudre blanche ou de liquide incolore. Généralement bu, il peut être aussi injecté. Recherché pour ses effets relaxants, désinhibants, euphorisants, il stimule le désir, accroît la sensualité et facilite la pénétration. Le GHB n’est pas un aphrodisiaque réel, mais un sédatif qui entraîne une désinhibition sexuelle surtout lorsqu’il est associé à l’alcool. Le GHB est une drogue très difficile à maitriser, la marge entre bon dosage et surdosage est très faible. La consommation d’alcool rend la frontière entre les deux encore plus mince, car les deux molécules sont synergiques. Surdosé, le GHB provoque, des nausées, vomissements, vertiges, somnolence, détresse respiratoire, amnésie et perte de connaissance (G-Hole) qui s’apparente à une forme de coma éveillé. Ce dernier effet indésirable pour le consommateur est à l’inverse apprécié des agresseurs sexuels et violeurs. Pris dans un G-Hole le consommateur n’a plus la faculté de s’opposer à son agresseur qui peut en disposer comme bon lui semble avec la quasi-certitude qu’il ne gardera que peu ou prou de souvenirs de son agression. Des cas de décès consécutifs à une dépression respiratoire ont été enregistrés.
La GBL, gamma-butyrolactone, et le BD, 1.4 butanediol, sont des solvants utilisés dans l’industrie. Remarquons que les caractéristiques très acides de la GBL font fondre le plastique et servent de décapant pour jantes de voiture ! La GBL et le BD se transforment en GHB une fois ingérés et présentent donc des effets identiques à celui-ci.
Les cathinones de synthèse sont des dérivés de la cathinone naturellement présente dans le khat, une plante originaire d’Éthiopie appréciée comme stimulant et euphorisant. Les cathinones de synthèse composent une famille qui ne cesse de s’agrandir et dont il devient difficile d’en énumérer de façon exhaustive tous les membres. Les plus répandues sur le marché, sont la méphédrone ou 4-MMC, la 3-MMC, la 4-MEC, la MDVP, la méthylone et les mélanges de cathinones, NRG-1, NRG-2, NRG-3, etc. Elles se présentent sous formes variables, cristaux ou poudres de différentes couleurs. Les cathinones sont sniffées, ingérées, insérées dans l’anus ou injectées dans un contexte de slam-sex. Très peu chères contrairement à la MDMA, l’ecstasy, la cocaïne ou la meth, elles font un carton dans les milieux « chem ». Les cathinones génèrent euphorie, désinhibition, empathie, sensualité et améliore la performance sexuelle. L’effet craving, envie irrépressible de surconsommer, est très prégnant. La consommation de ces drogues s’accompagnent de troubles psycho-comportementaux : crises de panique prolongées, crises de parano aiguë, sentiments de persécution, hallucinations, troubles dépressifs et idées suicidaires.
La cocaïne faisait partie de la « pharmacopée » standard des « party and play », c’était le produit phare des années 90. Toujours appréciée, elle n’est plus centrale dans le chemsex. La coke est un psychostimulant intellectuel, physique et sensoriel. Les risques associés à la consommation de cocaïne sont d’ordre cardiovasculaire et cardiorespiratoire. Les cas d’hémorragie cérébrale et d’arrêt respiratoire ne sont pas anecdotiques lorsque la cocaïne est injectée. En cas de surdosage le pronostic vital est généralement engagé.
D’autres produits sont aussi utilisés dans le chemsex, poppers, ecstasy, MDMA, alcool, etc.
Paradoxalement, les psychostimulants ont, à plus ou moins court terme, des répercussions fâcheuses sur l’orgasme et l’érection, imposant aux chemsexers de prendre du Viagra, Cialis et autres Levitra. De plus, la descente s’accompagne d’épisodes dépressifs qu’ils minimisent en absorbant des antidépresseurs. À cela il faut ajouter pour les séropositifs, les traitements antirétroviraux et pour les séronégatifs les médicaments adaptés à la PrEP. C’est donc un cocktail de produits chimiques, dont les interactions ne sont absolument pas étudiées, qui va investir le corps du chemsexer. Les conséquences sur le long terme des pratiques de chemsex ne sont pas connues, car nous manquons encore de recul. Mais il serait surprenant, compte tenu de la dangerosité des différentes substances, qu’il n’y en ait aucune. D’ailleurs nombreux sont ceux qui dans la communauté gay tirent la sonnette d’alarme et alertent les pouvoirs publics.
Ce que raconte le chemsex.
Les adeptes du chemsex le reconnaissent de façon unanime, l’intérêt premier de la consommation de produits psychostimulants est de permettre un lâcher prise total en faisant sauter en éclats tabous et interdits. Les soirées « chem » qui s’organisent sur le mode orgiaque se révèlent comme des parenthèses transgressives durant lesquelles les comportements sexuels se déchaînent. Telles les orgies au temps des bacchanales, ou les grandes fêtes carnavalesques contemporaines avec leurs excès d’alcool et de sexe, elles entrent donc dans la vaste économie de la transgression. En se référant aux divers récits des chemsexers, on comprend que leur recherche de l’extase est intimement liée à ce que Georges Bataille nommait « une profonde descente dans la nuit de l’existence » ou la tentative de renouer avec la « nuit animale ». Le chemsex s’inscrit dans cette dimension transgressive de l’érotisme ou l’inversion des valeurs du noble et de l’ignoble, du beau et du laid, du haut et du bas, de la vie et de la mort pose les conditions propres à la naissance de l’extase bataillien. Le chemsex dans sa radicalité nous montre une fois de plus l’attirance irrésistible de l’inconscient pour l’abjection et au-delà vers la limite de toute existence : la mort.
N’en doutons pas, le lâcher prise évoqué par les chemsexers n’est rien d’autre que l’abandon du surmoi aux forces de l’inconscient par l’entremise des drogues. Le chemsexer redevient l’homme-animal en quête de liberté absolue, de jouissance sans limite et de toute puissance. Il retrouve cette promiscuité sexuelle des temps anciens où son énergie libidinale se déchargeait de façon libre et anarchique, ne connaissant ni dieu ni maître. Cependant et contrairement à l’expérience bataillienne, le chemsex n’est pas conduit par une pensée philosophique, mais par une frénésie de consommation sexuelle dépourvue de sens. Le chemsexer transgresse sans ambition, car l’absolu transgressif voudrait, pour avoir une réelle valeur, que la conscience soit mise à l’épreuve. Or, les drogues consommées, tel le GHB, annihilent la conscience, l’efface et la soustrait au défi de la transgression. Ainsi le chemsexer ne peut retirer que le superflu de l’expérience transgressive, tel un consommateur frénétique qui inscrit son plaisir dans l’instant de l’achat, il se confronte sans espoir au vide de son existence et s’engage dans un processus de fuite en avant destructeur.
Le chemsexer est un énième symptôme de nos sociétés de consommation qui aiment à croire que l’on peut jouir sans faire d’effort, ou comme le disait Arthur Clive Bell à propos de l’art érotique : « Ne laissez personne croire, au motif qu’elle a connu un moment agréable dans la chaleur pittoresque des alcôves de la romance, qu’elle pourrait ne serait-ce qu’imaginer la stricte et palpitante extase de celui qui a gravi les froids et blancs sommets de l’art."
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