Construction sociale de la ménopause : détour anthropologique.
Il existe différents modèles physiologiques de l’arrêt des règles. Dans les sociétés traditionnelles, le terme ménopause n’existe pas. Il fut construit en France au XIXème siècle mais toutes les sociétés traditionnelles ont leurs expressions et locutions propres et chaque culture donne une explication physiologique à ce phénomène intrigant de l’apparition et la disparition des menstruations.

Comment l’arrêt des règles et de la fertilité est perçu, pensé, construit dans différentes sociétés et cultures.
Il existe différents modèles physiologiques de l’arrêt des règles. Dans les sociétés traditionnelles, le terme ménopause n’existe pas. Il fut construit en France au XIXème siècle mais toutes ont leurs expressions et locutions propres et chaque culture donne une explication physiologique à ce phénomène intrigant de l’apparition et la disparition des menstruations.
Chez les Samos au Burkina Faso, Afrique sub-saharienne.
Dans cette culture, on pense que le contact d’une substance chaude avec une autre substance chaude a pour effet immédiat d’assécher le cosmos. Or, le sang étant chaud, la femme devient froide lors des menstruations. L’homme lui, est chaud, ce qui lui permet de fabriquer du sperme. Mais à l’arrêt des règles, la femme ne perd plus la chaleur du sang et donc, devient chaude. Son contact avec le sperme très chaud est alors considéré comme dangereux et pouvant déclencher toutes sortes de catastrophes (maladies, sécheresse, guerres...) De fait, lorsqu’un drame survient, on va chercher si une femme ménopausée n’a pas eu de relation sexuelle avec une homme. Si on la trouve, elle est chassée du village. Le phénomène est si courant que des associations ont été créées pour accueillir ces femmes.
En Italie du sud, il y eut également l’idée de la « rétention du mauvais sang », toujours ce même sang toxique rendant malade. À la ménopause, il se dirige vers la tête et provoque des migraines. On pense aussi que la circulation du sang devenu épais, ralentit. Ce sang putride, stagnant, peut provoquer un cancer, une leucémie, une paralysie…
Pour les Thaïs, la rétention du sang est positive.
Chez le groupe ethnique des Thaïs en Thaïlande, existe
également la notion de rétention du sang, mais avec une valeur positive. On pense en effet que la quantité de sang qui circule dans le
corps humain est source de bonne santé et de vigueur. Certains hommes et
femmes reçoivent même des perfusions via des soigneurs ambulants,
pensant qu’ils seront en meilleure santé. La perte de sang menstruel est
perçue non pas comme toxique, mauvaise, mais simplement affaiblissante.
Ce qui par ailleurs est plus proche de la réalité physiologique puisque
la perte de sang signifie également la perte du fer qu’il contient, pouvant provoquer fatigue et déprime. Toutefois, le sang menstruel est toujours pensé comme provenant de la
circulation générale et non de la desquamation de la muqueuse utérine.
En conséquence, les Thaïs pensent que lors de la ménopause, l’arrêt des
règles permet aux femmes de conserver leur force vitale. Ce modèle
positif et valorisant de la ménopause n’est pas un hasard dans une
société matrilinéaire où les femmes ont généralement un très bon
statut.
Au Pays De Galle, on a aussi décrit une correspondance entre bouffées de chaleur et sang menstruel.
Avoir des règles est un signe de bonne santé, en l’absence de règles abondantes on s’inquiète. Il y a donc une correspondance retrouvée assez fréquemment entre bouffées de chaleur et sang menstruel. Elles seraient provoquées par le sang des règles montant à la tête au lieu d’être éliminé. Une enquête a également relevé cette correspondance en Tunisie. En Irlande rurale, on pense même que la ménopause peut rendre folle. Il s’agit d’un écho lointain de la conception de Kraepelin sur la dépression de la ménopause.
L’évolution du statut social des femmes après l’arrêt des règles et la fertilité : d’un extrême à l’autre.
D'après Georges Devereux, chez les Indiens Mohaves d’Amérique du nord qu'il a étudiés le long du fleuve Colorado dans les années 1930-1940, les femmes ont un bon statut. « Pendant et après la ménopause, la femme Mohave reste au cœur de la vie. Elle a les mains pleines de travail, sa maison pleine de petits enfants, la tête pleine de la sagesse de l’expérience, les bras souvent pleins d’un jeune mari ou amant, le regard lumineux, prompte à la répartie et pas du tout gênée de flirter avec un homme assez jeune pour être son petit-fils. » Georges Devereux conclut sur la joie gargantuesque, le plaisir de vivre des grands-mères Mohaves pour qui la ménopause est une étape de développement positif. Ces femmes ont donc accès à une vie sociale, amoureuse, politique et pour elles, cette période représente plutôt un gain de statut, contrairement à ce que l’on peut voir en Europe et dans les sociétés occidentales.
Chez les Mayas contemporains, les femmes attendent avec impatience l’arrêt de la fertilité. À partir du moment où elles ont eu le nombre d’enfants qu’elles désiraient, l’âge confère aux femmes plus de pouvoir et de respect, leur vie sexuelle est plus épanouie puisqu’elles n’ont plus la crainte des grossesses. À l’inverse, dans une société d’Afrique de l’est, les Gisus, la ménopause est l’époque où le suicide féminin est le plus fréquent. Si une femme n’ayant pas eu d’enfant dans le cadre d’une union maritale stable arrive à la ménopause, elle n’a à ce moment-là plus aucune valeur sociale. Pour elle, le suicide est la seule issue.
Chez les Peuhls en Afrique de l’ouest, on note une marginalisation des femmes. Lorsqu’elle arrive à la ménopause, la femme Peuhl offre la dernière de ses calebasses décorées à la dernière de ses filles lors du mariage de celle-ci. Si elle ne possède aucune richesse, son statut change. Elle quitte son mari et va s’installer chez son fils le plus âgé. Elle est alors socialement morte, vit à la périphérie de la structure familiale et du camp de son fils.
En Nouvelle Guinée, on a aussi décrit une marginalisation assez rude ; dans le cas où la femme ménopausée tarde à mourir, elle est chassée du village et va s’établir en forêt. Lorsqu’elle meurt, on ne cherche jamais la cause du décès, qui n’apparaît pas comme une mort véritable mais comme l’extinction d’un être qui ne faisait déjà plus partie de la vie. La seule cérémonie organisée est celle de la fermeture d’un deuil déjà ouvert au moment de la ménopause.
Au Maroc, une sociologue, Soumaya Guessous, a fait une enquête, Printemps et Automne sexuel au Maroc. En arabe, le mot pour ménopause est سِنّ الْيَأسِ (sinw al-ْīaʾasi), c’est-à-dire l’âge du désespoir. À partir de trente ans, une femme n’a plus grande valeur mais quand elle n’a plus de capacité reproductive, elle n’est plus femme, n’est plus et ne vaut plus rien alors que l’homme est censé gagner en force, en valeur et en puissance sexuelle à mesure qu’il vieillit. Du point de vue masculin, un homme devient vieux à partir de 70 ans, une femme, à partir de 30 ans. Du point de vue féminin, le jugement est un peu moins sévères. Elles estiment qu’un homme est vieux à partir de 65 ans, et qu’elles-mêmes le sont à partir de 35 ans, mais reprennent à leur compte, les stéréotypes patriarcaux dévalorisants.
Dans la Noblesse féodale d’Europe, la femme se retrouve souvent seule à la tête de son domaine. Son mari est mort pendant la guerre ou parce que l’écart d’âge était considérable au moment du mariage. Elle arrange les épousailles de ses enfants puis se consacre à son époux céleste en entrant au couvent, parachèvement d’une existence après que ses capacités reproductives aient disparu, mais non sans avoir été exploitées au maximum. Norbet Hélias, un grand sociologue qui a étudié la société de Cour, a prétendu que c’était l’endroit où les femmes avaient le plus de pouvoir, à l’instar des patriciens romains. La Marquise de Sévigné par exemple, tenait un salon, avait une vie amoureuse, une indépendance politique, sexuelle. Au moment de la ménopause, les femmes sont au sommet de leurs connaissances de ce jeu très subtil et compliqué se jouant à la Cour, et elles en usent.
À l’inverse, après la Révolution, la société bourgeoise les renvoie dans leur foyer. On assiste à une vraie régression du statut des femmes, de nouveau assignées à leur fonction de reproduction. Cette dégradation de leur condition occasionne mécontentement et nombre de plaintes qu’elles adressent alors… aux médecins ! C’est ainsi qu’apparaît le concept de la ménopause et son cortège de pensées misogynes. En ce sens, on peut dire que la ménopause est une création de la société bourgeoise.
La culture populaire en Europe : le monde paysan en France.
Yvonne Verdier, ethnologue, a étudié Milo, un petit village de Bourgogne. Elle a écrit un ouvrage où elle analyse les contes pour enfants Blanche Neige et Le petit chaperon rouge.
Sans le savoir, lorsque nous lisons ces contes à nos enfants, nous leur parlons de la ménopause. Dans Blanche Neige, quand la reine interroge le miroir sur sa beauté, lui demande si elle est toujours « la plus belle », elle lui demande en réalité si elle a toujours ses règles. Lorsque le miroir lui répond qu’elle n’est « plus », la plus belle, cela signifie qu’elle n’a plus ses règles alors que Blanche Neige, elle, les a précisément à ce moment-là. Y sont donc décrits les deux passages de la vie sexuelle d’une femme, celui de la puberté et celui de la ménopause. La reine se transforme donc en la fameuse « sorcière », telles que sont décrites les femmes ménopausées au XIIIème siècle par le dominicain érudit Albert Le Grand et son ouvrage, Des secrets des femmes, ainsi qu'au XVIème siècle lorsque l'Inquisition espagnole brûle des milliers de femmes accusées de sorcellerie parce que ménopausées. Une condition que refuse la reine qui la fera se venger de Blanche Neige.
Quant au Petit chaperon rouge [ndlr : le rouge étant la couleur du sang, de la passion amoureuse et de la vie.] selon Yvonne Verdier, là aussi le conte met en scène le passage à la puberté d’une petite fille et celui d’une Mère-grand à la ménopause. La visite chez la grand-mère est considérée comme un rite de passage de l’enfance à la puberté. En revanche, il existe une version populaire méconnue où le loup se rend chez la mère/grand-mère, les deux ayant la même valeur symbolique, la tue et lui coupe les seins, lui arrache l’utérus et fait une fricassée du tout. Quand le Petit chaperon rouge arrive, elle lui dit : « Fricasse, fricasse, mes tétines et mes tétons et mange tout ça. », ce que fait la petite fille. Dans cette version, on note une transmission violente des attributs génésiques de la femme qui les perd, vers celle qui les reçoit quand, dans un repas cannibalique, le Petit chaperon rouge les mange et devient femme à son tour. Du point de vue de ce comte, une seule génération peut être fertile à la fois, et lorsque l’une d’elle ne l’est plus, elle est écartée violemment.
Dans le monde paysan qu’elle a étudié, Yvonne Verdier parle d’un certain nombre de figures.
Dans toutes les sociétés traditionnelles, les femmes ont un espace de déplacement très limité. Elles sont quasiment assignées à résidence selon un périmètre très restreint et ne peuvent pas s’éloigner de leur domicile ni se soustraire à la surveillance dont elles font l’objet, une manière pour les hommes de contrôler leur descendance. Or, la laveuse qui va de foyers en foyers, comme l’accoucheuse ou encore la couturière, sont des femmes ménopausées. Cette stérilité leur confère une liberté de circulation que l’on trouve dans beaucoup de sociétés de même type. C’est le moment pour les femmes de faire des activités jugées risquées : un voyage à la Mecque, être guérisseuse, devineresse. Yvonne Verdier dit qu’elles « deviennent invulnérables et inoffensives ». Invulnérables parce que leur fertilité n’est plus en danger (la fertilité étant considérée comme un bien précieux), inoffensives parce qu’elles ne risquent plus porter atteinte à autrui via leur sang menstruel toxique.
Dans les sociétés occidentales industrielles de la seconde moitié du XXème siècle.
Durant cette période, quelques auteurs nous transmettent des informations intéressantes sur les représentations, non médicales, mais plutôt intellectuelles de la ménopause.
Simone de Beauvoir qui a su défaire la construction sociale du féminin via Le deuxième sexe, quand elle parle de la ménopause, semble « caler ». Elle déclare que la femme est dépouillée de sa féminité et vit un drame moral. « Elle tisse tristement le néant de ses jours au moment d’une liberté dont elle n’a rien à faire. » Le ton de ces pages est absolument désespéré, l'intellectuelle à la fibre féministe reste finalement sur un déterminisme biologique qu’elle a pourtant critiqué et combattu par ailleurs.
Pour Hélène Deutsch, psychanalyste élève de Freud qui a écrit l’un des premiers livres sur la psychologie des femmes, « La ménopause est un désastre, une humiliation, la résignation sans compensation est souvent la seule solution. Une psychothérapie est rarement indiquée parce qu’elle ne sert à rien. »
Heureusement, une grande anthropologue américaine, Margaret Mead qui a étudié plusieurs sociétés et observé que la ménopause était vécue et représentée différemment selon les cultures, ne reprend pas la ligne de pensée de ses pairs. Pour elle, la ménopause peut être « une étape de la vie paisiblement acceptée, ou encore, heureusement surmontée, quitte alors à affronter la rivalité avec le mari sur le plan de la réussite professionnelle. »
Une enquête en population générale réalisée dans les années 1990 par le Dr Daniel Delanoë, anthropologue, psychiatre et chercheur associé à l’INSERM, a démontré trois grands types de représentations de la ménopause : une négative et minoritaire (39%), une neutre majoritaire (44%) et une représentation très positive (17%). Globalement, dans leur expérience, les femmes ont un vécu de leur ménopause plutôt neutre/positif ; certaines le vivent très mal, mais ce sont généralement celles qui ne travaillent pas, des maîtresses de maison, mères au foyer. D'autres issues de milieux populaires le vivent très bien, elles ont eu les enfants qu’elles désiraient, sont à la retraite, et ont du temps pour elles. Quant aux femmes qui ont un emploi valorisant, qui continuent à travailler, elles voient à peine passer la ménopause et en ont une représentation neutre. On voit donc que la symbolique et l’intégration des stéréotypes de la ménopause varient selon les situations des femmes – et non pas de « la » femme – et que l’assignation biologique peut être prise en défaut.
En définitive, le statut social des femmes à l’arrêt des règles et de la fertilité, dépend essentiellement du degré de domination masculine dans chaque société et dans chaque groupe social.
Ressources : pns-mooc.com
- Centre Virchow-Villermé
- Université Paris Descartes
- Université de Genève -
- Faculté de médecine
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