Difficulté sexuelle chez la femme : de quoi parlons-nous ? Par le Docteur Jacques Waynberg (1/7)
Désormais, être Femme en Occident s'inscrit dans un contexte culturel et politique profondément bouleversé par l'ampleur de la popularité qu'offrent les réseaux sociaux à la cause féministe. À l'utopie d'une hypothétique "révolution sexuelle" succède une vision belliqueuse des rapports de genre qui déteint sur les aspirations et l'expression des revers de la vie privée de chacun. La pratique médicale courante s'en trouve aussi affectée puisque la prise en charge des doléances de l'intimité féminine doit tenir compte d'un nouvel ensemble de facteurs de risque psychosociaux capables de les aggraver.

Préambule.
Éminent pionnier de la sexologie française, le Docteur Jacques Waynberg*, œuvre depuis plus d’un demi-siècle à la promotion d’un système holistique de penser les problématiques sexuelles. Se refusant de faire l’économie de la complexité, il voit dans la prise en compte et l’analyse de l’écosystème du patient l’unique moyen de déterminer les causes exactes de ses souffrances, défaillances personnelles et/ou de ses mésententes émotionnelles. D’une rigoureuse lucidité, son discours ravira toutes celles et ceux qui las des aprioris, préjugés et raccourcis conceptuels cherchent des réponses pertinentes à leur questionnement sur la sexualité et l’érotisme.
Aujourd’hui nous publions la première des sept parties d’un texte inédit : « Difficulté sexuelle chez la femme : de quoi parlons-nous ? ». Nous remercions le docteur Jacques Waynberg pour l’honneur qu’il nous fait en nous offrant la primeur de cette publication.
* Sexiatre, psychothérapeute, médecin légiste, criminologue, ancien expert médico-judiciaire, fondateur président de l'Institut de Sexologie et ancien Directeur du Diplôme Universitaire "Sexologie & Santé publique" à l'Université René Descartes - Paris VII.
Introduction.
Les "difficultés sexuelles chez la femme" n'existent pas. L'objet de la plainte est une blessure de la féminité, de l'identité féminine, de la personne. Sa sexualité n'est pas détachable du vécu, réel, imaginaire ou symbolique, qui la constitue comme être humain global, à la fois unique et commun au genre féminin. Ainsi, l'accueil d'une confidence défie-t-il les protocoles diagnostiques habituels : le symptôme dénoncé en consultation avec un vocabulaire usuel n'est que la partie émergée de l'iceberg, un mot de passe qu'il faut saisir comme trace d'une souffrance inavouable, d'emblée dissimulée… A priori, les investigations médicales ne sont pas superflues – notamment dans un contexte à risque, à la recherche d'une organicité sous-estimée ou méconnue – mais elles sont impropres à dépeindre à elles seules la complexité des litiges en question. En effet, trois activités psychosomatiques solidaires contribuent à édifier la biographie sexuelle féminine : la fonction érotique, les suppliques affectives et les aspirations narcissiques. La défaillance d'un seul système – une débâcle sentimentale par exemple – ébranle les deux autres. Cette solidarité, innée entre des exigences vitales aussi hétérogènes, en apparence, rend l'acte "thérapeutique" plus complexe à établir mais aussi plus humble à célébrer.
I. Sexualité et fonction érotique.
L'assistance sexologique sollicitée en médecine générale butte sur trois obstacles : le premier est d'ordre linguistique, le deuxième est tributaire des motivations qui ont conduit à consulter, et le troisième assujettit le soignant à l'invisibilité des symptômes allégués.
De quoi parlons-nous ?
En français, la dénomination des faits et gestes "sexuels" est défectueuse. L'unique vocable normalisé de sexualité a pour destination toutes les formes de vécu et de représentations, à défaut d'en distinguer au moins les deux principales facultés : d'un côté celle de procréer et de l'autre, celle d'en jouir. Comme il est malaisé de surcroît de surmonter une certaine gêne à confesser des inclinations impudiques, l'entretien sexologique est approximatif et toujours inachevé. Inévitablement, une fois écarté le versant clinique de la plainte, s'engage une conversation sur-mesure que l'on souhaite franche et précise, capable d'établir une "zone de contact" entre le sang-froid du praticien et la verve parfois de l'interlocutrice. Mais cet oral est une épreuve fastidieuse, car il s'agit de nommer les désillusions, de dénoncer les échecs, de révéler les tricheries et les attentes… autant dire brosser le portrait d'un renoncement inadmissible à être heureuse, à être femme, tout simplement.
Besoin, désir et consentement.
La sexualité féminine révèle et exécute des besoins instinctifs adossés à un savoir-faire saturé de symboles, d'interdits, mais aussi de raffinements et de promesses d'épanouissement. En prendre conscience met en action des agissements et des émotions dont l'agencement crée le ressenti du désir. Cet appétit sensuel n'est véritablement comblé que s'il est partagé. En effet, l'avidité sexuelle n'est magnifiée que dans la réciprocité des sollicitations : désirer, et être désirée à parts égales. Cette interdépendance comportementale est l'essence même du concept de "rapport sexuel", de symbiose harmonieuse entre adultes, mus par une même impatience d'échanger du plaisir. Or, lorsque l'ardeur de l'engouement initial est amortie par la routine du dialogue sentimental, la place requise par la sensualité dans la vie quotidienne du couple peut différer de l'un à l'autre : consentir à être aimée peut perdre son rôle d'impérieuse nécessité. Le consentement mutuel est par conséquent l'atout prioritaire de l'accès au bonheur. En pratique quotidienne, cette composante de la biographie intime des patientes est la plus difficile à cerner, la plus ingrate à mentionner.
Des corps invisibles.
L'inventaire des écueils qui entravent les bonnes manières coïtales est irréalisable. Aucune preuve, aucun indice, aucune trace des dysfonctions sexuelles dont il est question lors de l'entretien ne sont identifiables, vérifiables : contre toute attente, la sexologie n'est qu'une science du verbe, une discipline de l'aveu déclaratif, du repentir, de la révolte, de l'hostilité… une clinique de l'invisible. Si les corps sont omniprésents dans la parole prononcée, ils ne sont dépeints qu'au figuré, virtuels, puisque leur étalage est strictement privé, confidentiel, tenu au secret. L'impossibilité d'examiner, de tester, d'apprécier l'authenticité d'un échec, de juger du niveau de tolérance d'une douleur, par exemple, élèvent des barrières infranchissables pour garantir le bien-fondé d'un diagnostic et l'efficacité d'une proposition d'accompagnement. L'expérience sexuelle est du domaine exclusif du langage. Ce constat ne présage que des incertitudes dans l'évaluation des enjeux responsables de la détérioration des liens affectifs et du mal-être physique : les "peines de sexe" ne sont que des récits autobiographiques, des chroniques de désillusions ordinaires capables néanmoins de fracturer le cours d'une liaison.
{reply-to}{comment}{status-info}
Poster un commentaire