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Difficulté sexuelle chez la femme : de quoi parlons-nous ? Par le Docteur Jacques Waynberg (6/7)

Difficulté sexuelle chez la femme : de quoi parlons-nous ? Par le Docteur Jacques Waynberg (6/7)

En pratique abrégée, la "léthargie coïtale essentielle", c'est-à-dire asymptomatique, n'est pas d'ordre gynécologique, mais disons, existentiel. La discussion porte sur le choix des priorités que chaque femme adopte en grandissant… et la sexualité n'est pas toujours en tête de liste toute une vie durant. C'est le dilemme, alarmant, qui est au cœur de la consultation.

Difficulté sexuelle chez la femme : de quoi parlons-nous ? Par le Docteur Jacques Waynberg (6/7)

Préambule.

Éminent pionnier de la sexologie française, le Docteur Jacques Waynberg*, œuvre depuis plus d’un demi-siècle à la promotion d’un système holistique de penser les problématiques sexuelles. Se refusant de faire l’économie de la complexité, il voit dans la prise en compte et l’analyse de l’écosystème du patient l’unique moyen de déterminer les causes exactes de ses souffrances, défaillances personnelles et/ou de ses mésententes émotionnelles. D’une rigoureuse lucidité, son discours ravira toutes celles et ceux qui las des aprioris, préjugés et raccourcis conceptuels cherchent des réponses pertinentes à leur questionnement sur la sexualité et l’érotisme.

Aujourd’hui nous publions la sixième des sept parties d’un texte inédit : « Difficulté sexuelle chez la femme : de quoi parlons-nous ? ». Nous remercions le docteur Jacques Waynberg pour l’honneur qu’il nous fait en nous offrant la primeur de cette publication. 

* Sexiatre, psychothérapeute, médecin légiste, criminologue, ancien expert médico-judiciaire, fondateur président de l'Institut de Sexologie et ancien Directeur du Diplôme Universitaire "Sexologie & Santé publique" à l'Université René Descartes - Paris VII.


V. L'ORGASME ET SES AVATARS.

L'incandescence des plaisirs acquis.

L'orgasme est une émotion ; il n'est ni un comportement ni une fonction. Son rôle consiste, comme nous l'avons déjà signalé, à enjoliver l'exécution adéquate de l'instinct sexuel, vis à vis duquel il n'a, chez la femme, aucune autre attribution. Il s'agit d'un état "psychédélique" vécu tout à la fois comme captivant et libérateur. La musique possède à l'évidence des effets comparables, qui créent et subjuguent la conscience de façon si puissamment hallucinatoire (5).

Lorsque l'expérience est un succès irréprochable sa consommation devient addictive et le besoin de jouir supplante sa raison d'être. Le plus souvent néanmoins, le mirage de l'accès pour toutes à une volupté sur commande contraste avec la pénibilité éprouvée par de nombreuse femmes pour "se mettre aux normes". L'assouvissement des sensations est donc suspendu à la réalité du bagage érogène dont on dispose et que l'on veut bien déballer...

La frustration à l'horizon de l'anorgasmie.

Ne pas jouir n'est pas mortel, ça ne fait "même pas mal", c'est frustrant. Ce sentiment de privation injuste est très subjectif, c'est à dire qu'il ne dépend pas seulement de la situation vécue, mais aussi du ressenti qui en découle. L'effet de satiété émotionnelle est, en effet, diversement éprouvé et contribue à déstabiliser la symétrie des attentes de partenaires privés du tumulte d'une jouissance qu'ils croient devoir s'approprier. À l'inverse, l'affadissement de la libido masculine peut mettre en désarroi un couple parvenu au terme du stade passionnel de ses débuts : la fugacité des moments érogènes ne nourrit plus une féminité en quête de vertige.

Couple pacsé depuis deux ans, elle à 25 ans, lui 30, sans enfant, familles originaires du sud francilien, habitent Paris, lui est ingénieur informatique, elle sage-femme, se sont rencontrés étudiants il y a huit ans, cohabitent depuis 6 ans, plus d'attache religieuse, propriétaire de leur appartement parisien. Consultent pour "absence de rapports réguliers". C'est elle qui évoque sa panne de désir, mais aussi sa frustration. Elle s'ennuie au lit. Son imaginaire érogène est en éveil, son potentiel aphrodisiaque, divulgué en quelques mimiques, est "anesthésié" par la routine des gestes tendres. Lui, acquiesce, regrette son indisponibilité, ses  contraintes professionnelles. Les sentiments ne sont pas encore atteints, mais la crise couve. Il est rapidement évident que le projet de maternité a relancé la question de la cohésion du couple...

Les réactions à la frustration dépendent de la personnalité de chacun, mais empruntent à plus ou moins brève échéance une "issue de secours" pour se mettre à l'abri de l'anxiété ou du découragement. Cet autre levier d'autodéfense du moi représente le mécanisme psychique le plus important à explorer avant d'échafauder un protocole de soin. Effectivement, deux stratagèmes vont se concurrencer : le repli sur soi ou l'hostilité, la ruine du désir (comme dans cet exemple) ou la fixation hypocondriaque, accusant une pathologie connue d'inhiber l'orgasme. D'une façon générale, la réponse à la frustration est agressive : retournée contre soi-même — le défaut de plaisir est vécu comme une automutilation— ou dirigée vers les partenaires. Il s'agit d'une instrumentalisation de la plainte qui représente finalement la cible ultime de la prise en charge.

La frustration de ne pas jouir convenablement provoque une riposte belliqueuse contre soi-même, son corps, le sexe, le stress, son état de santé, le surmenage... mais aussi vis-à-vis d'autrui. Dès lors, l'anorgasmie perd son statut de symptôme-clé pur n'être que le faire-valoir d'un moral en deuil, qui est, aux antipodes des idées reçues, le principal enjeu thérapeutique.

Assouvir ou érotiser, exciter ou assagir, telle est la question.

La traversée du labyrinthe émotionnel que des corps amoureux ne parviennent pas à satisfaire butte sur un sujet tabou qui en augmente la complexité : la dimension intellectuelle de la fonction érotique qui la rend irréductible à un catalogue naïf d'attributs gynécologiques. Si les organes génitaux féminins possèdent un potentiel d'échauffement sensoriel, ils n'en livrent pas pour autant le code secret du déclenchement de l'orgasme ; nous y avons insisté plus haut. Pour le praticien avisé, il est fondamental, par conséquent, de vaincre la dépendance au totem clitoridien comme porte-bonheur de la libido : l'offensive dirigée contre la pudeur, l'ignorance ou les stéréotypes culturels, ne comblent qu'en partie les zones d'ombre qui permettent de jouir. Cependant, en consultation, force est de composer avec les courants d'opinion et surtout les préjugés des plaignantes qui s'attendent à ce que le dénouement de leur démarche passe par une leçon d'anatomie. Comment trouver le ton juste pour s'enquérir à haute voix, pêle-mêle, de la nudité, de la masturbation, du dédain de son sexe ? En s'éloignant d'une mise à l'épreuve retenue, aussi peu fructueuse que malveillante, en "recyclant" les doléances exprimées : 

"mais pour vous, qu'est-ce que jouir ?"

Désormais, en lui donnant la parole, l'entretien peut contribuer à faire dire à la plaignante ses épreuves, ses souhaits, son désarroi... Cet "effet boomerang" du dialogue va permettre de lever les doutes sur le niveau de ses priorités, de ses besoins, de l'empreinte de son passé. Bien sûr, cette exploration de l'envers du décor vise à ancrer le plan de relance sur une base réaliste personnalisée, mais le décryptage de la mécanique intime en souffrance n'est que survolé en pratique courante. Néanmoins, le vécu et le ressenti qui déterminent le rapport à l'orgasme peuvent faire l'objet d'une "reconversion narcissique"... dit autrement bien sûr, accompagner la patiente à n'être plus la spectatrice, mais l'interprète, l'actrice de sa recherche de plaisir. Il convient de toute toute urgence de faire accepter l'idée que l'orgasme féminin n'est pas un réflexe inné, obligatoire, de type masculin, mais bel et bien le fruit d'une habileté émotionnelle qui se construit, intégrée dans le vaste ensemble de la vie affective (6) :

"êtes-vous émotive, romantique, hypersensible ?"

(5) Vladimir Jankelevitch, La musique et l'ineffable, Éditions du Seuil, 1983, 175 p.

(6) Jacques Waynberg, Jouir c'est aimer, Edition Milan, 2004, 261 p.

À suivre...



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