Difficulté sexuelle de la femme : de quoi parlons-nous ? Par le Docteur Jacques Waynberg (3/7)
Le canevas, d'ordre psychologique et culturel, qui recense les sexualités endolories est aussi l'otage d'inégalités sociales pathogènes, dont l'invisibilité peut saboter les initiatives curatives les plus généreuses.

Préambule.
Éminent pionnier de la sexologie française, le Docteur Jacques Waynberg*, œuvre depuis plus d’un demi-siècle à la promotion d’un système holistique de penser les problématiques sexuelles. Se refusant de faire l’économie de la complexité, il voit dans la prise en compte et l’analyse de l’écosystème du patient l’unique moyen de déterminer les causes exactes de ses souffrances, défaillances personnelles et/ou de ses mésententes émotionnelles. D’une rigoureuse lucidité, son discours ravira toutes celles et ceux qui las des aprioris, préjugés et raccourcis conceptuels cherchent des réponses pertinentes à leur questionnement sur la sexualité et l’érotisme.
Aujourd’hui nous publions la troisième des sept parties d’un texte inédit : « Difficulté sexuelle chez la femme : de quoi parlons-nous ? ». Nous remercions le docteur Jacques Waynberg pour l’honneur qu’il nous fait en nous offrant la primeur de cette publication.
* Sexiatre, psychothérapeute, médecin légiste, criminologue, ancien expert médico-judiciaire, fondateur président de l'Institut de Sexologie et ancien Directeur du Diplôme Universitaire "Sexologie & Santé publique" à l'Université René Descartes - Paris VII.
III. Objet et limite de la prise en charge.
Un répertoire symptomatique caduc.
Il ressort de ce qui précède qu'une prise en charge éthique et responsable de la plaignante passe par une analyse globale de son mode de vie : du ressenti émotionnel au statut social, des contraintes domestiques au bilan de santé, de l'âpreté du conflit à l'éducation des enfants, du désir inassouvi à ses projets professionnels… en somme, tout ce qui compte dans cette vie déchue, éprouvante et triste est questionné, recensé. Le "symptôme sexuel" n'est, dès lors, qu'une coïncidence, un évènement fortuit, une difficulté supplémentaire à surmonter, et pour parler la langue des médecins du XVI° siècle, une syncope, qui ne peut résumer les périls de l'histoire individuelle en souffrance. L'étiquetage usuel ne permet donc aucune projection empirique sur l'environnement de la personne, n'ouvre aucune piste d'accompagnement et de prévention. Les épithètes d'anorgasmie, de dyspareunie, de frigidité ou de vaginisme… court-circuitent l'histoire individuelle et rendent inaccessibles tous les défis impliqués dans le huis-clos du lit.
Une démarche diagnostique plus réaliste cerne la totalité du vécu mis en cause, examine des conduites et non des dysfonctions, recherche des cohortes de facteurs de risque, limite si possible les angles morts de l'interrogatoire. Pour l'"accusatrice", en revanche, aucune envie de développer une vision panoramique de la situation n'éclipse la demande d'une solution quasi immédiate du "problème" : la curiosité du praticien s'en trouve affaiblie, voire discréditée. S'en tenir à des réponses ciblées sur le mot à mot de la plainte est une position de repli commode, mais contestable.
En bref, les forfaitures coïtales vont être classées par ordre croissant d'intensité, des banqueroutes du désir à l'anorexie sensuelle, puis de l'intolérable pénibilité du passage à l'acte à son ajournement définitif, et enfin, de la démesure périlleuse de l'hostilité à la rupture agressive de l'attachement et des liens familiaux.
Un "conflit sexuel" est, tout compte fait, une vie privée dévastée, mise en danger. Dénoncée en état d'urgence, elle induit trop souvent des ripostes de soins pragmatiques, mais miniaturisés, standardisés, palliatifs, hors sujet.
Quelles ressources thérapeutiques ?
Le concept de "difficulté sexuelle" est donc délaissé au profit d'un syndrome plus probant d'inadaptation relationnelle, aux contours néanmoins encore instables, tant dans le vocabulaire médical que celui des sciences de l'esprit. Situés au croisement de disciplines habituellement égoïstes, les protocoles de prise en charge s'en emparent dans le désordre de modes opératoires disparates à la faveur des aptitudes de chacun : psychothérapies brèves, hypnose, gestalt, relaxation, cothérapie de couple, conseil conjugal, groupes de parole, support pharmaceutique, sophrologie, art-thérapie, désensibilisation oculaire post-traumatique, yoga, massages, bioénergie, approche systémique, cognitivo-comportementale, chirurgie…
Que cette profusion d'outillages ne fasse pas illusion sur sa pertinence, elle signale au contraire qu'à défaut de viser le centre névralgique d'une plainte, ces divers remèdes sont prescrits de façon anecdotique, dans l'immédiateté de décisions aléatoires. Somme toute, le maillon faible de cette cacophonie "sexothérapeutique" est d'ordre méthodologique. A l'affiche, malgré l'extrême diversité des tableaux cliniques, il s'agit toujours de panser des blessures de l'amour de façon arbitraire, du déclin de l'envoûtement charnel au fiasco de l'attachement. En pratique, en effet, l'étalonnage de l'appel à l'aide n'est trop souvent étayé que par une recherche étiopathogénique approximative, comme si l'évocation des griefs suffisait à en comprendre la genèse et à en uniformiser le traitement. Peine perdue. Le vécu érogène est comparable à un psychodrame qui se déroule en trois temps successifs, chaque étape possédant en propre ses atouts et sa nocivité, à savoir, le besoin, le désir et la demande (Confer Fig.1)
Le besoin est l'étalon des pulsions instinctives à l'état brut, le versant disons, inné, compulsif de la sexualité, énoncé dans le langage populaire par tempérament, penchant, flamme, pulsion, frénésie, obsession…
Le désir amorce la phase "lisible" des ressources pulsionnelles précédentes. A l' invisibilité du potentiel sensuel, s'oppose maintenant l'enseigne manifeste d'une prise de conscience d'un manque, d'un appétit à saturer. Ce ressenti a un volet cognitif fondamental qui fait office de garde-fou, de résistance, de jugement moral, plus ou moins perméables aux débordements du besoin.
La demande est l'incarnation ritualisée du langage amoureux, lorsque le corps devient spectacle, le sujet parlant fait de l'action un récit à partager. Autrement dit, elle résume l'ensemble des signes révélateurs d'une transaction verbale et corporelle aussi délicate que contrôlée, rituels qui composent un dialecte intimiste, un autoportrait du désir, destinés à être compris et acceptés par autrui.
L'arsenal thérapeutique idéal doit s'arrimer à ces trois temps de l'épopée sensuelle, et travailler différemment, comme nous allons le montrer, les questions d'organicité, de langage sinistré, de norme, de corps à jouir, de sentiments, d'aspirations, d'hostilité…
Fig.1. Schéma directeur des trois étapes de passage à l'acte érogène.
À suivre...
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